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comme la racine. Voici l'une des merveilles de la science: le Géomètre saisit cette surface élémentaire, être d'autant plus étonnant, qu'il n'a qu'une ombre d'existence, et que l'imagination qui le produit, le dépouille en même temps de la réalité ; le Géomètre promène ce fantôme dans l'espace, le long de la route qu'il lui assigne, lui fait produire l'image d'un corps revêtu de toutes ses formes extérieures; et cette géné→ ration miraculeuse relève à la fois et la nature et la capacité des dimensions offertes à nos regards. Ce n'est pas tout. Le Géomètre considérant, dans le corps dont il a déterminé l'étendue, le poids particulier de ses diverses parties, les en prive à son gré, pour en charger un point unique et indivisible qu'il sait démêler parmi tous les autres ; il commande à ce point d'obéir aux lois qui maîtrisent la masse entière; et ce centre imaginaire, véritable néant, pure abstraction de l'esprit, devient docile à la voix du philosophe, et se Soumet fidèlement à la marche qui lui est tracée comme si le corps lui-même n'existait plus et que lui seul en eût pris la place.

Ces prodiges qu'enfante le pouvoir du génie, il ne les réalise pas toujours avec la même facilité. Il est des lignes, des surfaces, des volumes où de pareilles recherches semblent arrêtées par des obscurités impénétrables. Tels étaient, aux yeux des plus grands géomètres, les segmens de la Cycloïde, les solides engendrés dans differens sens par cette courbe, et les diverses parties de ces solides. Ces questions d'une profonde Géométrie étaient les plus difficiles que l'on se fût encore proposées; elles l'étaient sur-tout à une époque où la Géometrie des courbes était encore privée des admirables secours de cette analyse transcendante appuyée sur de savantes erreurs qui se compensent ellesmèmes, méthode étonnante de calcul, capable de dompter les difficultés les plus rebelles de la science, dont elle a changé la face; qui, imitant la puissance de

la nature lorsqu'elle montre à notre imagination effrayée, l'échelle descendante des élémens de la substance corporelle, décompose de même la grandeur, en poursuit jusqu'aux derniers atomes, les tient, en quelque façon, suspendus au bord du néant, pour continuer l'examen de leur rapport jusques dans leur évanouissement même; et qui, après avoir enchaîné, avec des liens habilement disposés, ces êtres incompréhensibles qui échappent à la pensée sans pouvoir échapper au calcul, commande à la formule miraculeuse de leur restituer l'existence qui semblait les avoir abandonnés, et les reproduit tout-à-coup dans toute la plénitude de leur ensemble, dont elle fait connaître la loi ignorée jusqu'à ce moment.

Ici, il fallait, avant tout, par l'invention de méthodes spéciales, ouvrir une route inconnue dans les mystérieux abîmes de l'abstraction. Ces efforts semblaient être le terme de la puissance de l'esprit humain. Quelques nuits de douleurs suffisent à Pascal pour trouver à la fois et les moyens et les résultats cherchés, pour démêler avec netteté les plus savantes combinaisons que l'imagination, dans toute sa force, ait jamais pu concevoir. Il ne songe point à publier ces beaux fruits de quelques réflexions poursuivies au travers de tourmens à peine supportables; seulement il en parle à un ami qui le détermine à les écrire, et qui, de concert avec d'autres personnes, forme le louable projet de faire tourner ces découvertes au profit de la religion. On a attribué ces vues à Pascal luimême; mais la candeur et la simplicité de son ame universellement reconnues, nous commandent de rejeter la pensée d'une orgueilleuse présomption de sa part ( m ).

Il est donc vrai que l'envie ou l'esprit de parti ne manquent jamais de se donner les plus tristes soins pour obscurcir l'éclat d'un nom qui les offusque ! Mais ne craignons rien pour la mémoire de Pascal : sa

grande image ne s'élève que plus rayonnante et plus pure au-dessus de quelques nuages impuissans qui ne sauraient l'atteindre.

Les problèmes de la Cycloïde sont proposés au monde savant; un prix est promis à chacun des deux premiers Géomètres qui auront satisfait aux conditions prescrites ( n ).

Alors florissaient en Europe le grand Descartes, Fermat, Huygens, Roberval, Sluze, Wallis, Wren, Schootten, de Witt, Van - Henraët, de Beaune, Ricci, Hudde, le P. Mersenne, le P. Lalouvère et une foule d'autres géomètres distingués: âge brillant des sciences et de la philosophie, qui peut s'honorer de tous ces noms à la fois, et des belles et nombreuses découvertes qu'ils rappellent (o)!

Plusieurs de ces hommes célèbres, sans toutefois prétendre au prix, attaquent quelques-unes des questions proposées sur la Cycloïde, et trouvent des résultats plus ou moins intéressans (p). Deux seuls Géomètres, le P. Lalouvère et Wallis, entrent expressément dans le concours, mais leurs efforts sont impuissans: ils ne peuvent atteindre au but, et les prix ne sont point décernés (9).

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Pascal publie ses problèmes après l'expiration du terme qu'il a fixé; ils excitent l'admiration des Géomètres, et Wallis lui-même en témoigne la plus vive satisfaction au savant Huygens. Les différentes parties dont se compose le travail de Pascal sont un monument immortel de la force de son esprit, de la clarté frappante de ses idées, et de la manière heureuse et facile dont il manie en maître les matières géométriques de la plus haute difficulté. Les méthodes qu'il emploie dans ces sublimes théories touchent de près à l'analyse différentielle et intégrale; et l'on a pensé avec raison, que si Pascal eût accordé quelques instans encore à la Géométrie, il allait ravirà l'Allemagne

et à l'Angleterre la gloire de pouvoir se disputer cette mémorable découverte (r).

r

Lorsque Pascal étonnait le monde savant par ses travaux géométriques, déjà son nom était inscrit avec le mème honneur dans les annales de la physique, où il ne sera jamais oublié.

(

L'air atmosphérique sans cesse présent autour de nous, cet aliment nécessaire à la vie de tout ce qui respire, ce fluide dans lequel nous sommes plongés, n'était cependant guères connu que de nom, mème parmi les plus illustres philosophes. Cette branche de la physique était restée dans les ténèbres dès l'origine de la philosophie (s) L'opinion universelle de l'horreur de la nature pour le vide, était depuis plus de deux mille ans en possession des écoles et y régnait en souveraine, paisiblement et sans contestation. Tous les effets qui dépendent de la pression de l'air, sont expliqués par de vaines subtilités et par des mots illusoires; l'horreur du vide donne même la raison d'autres phénomènes importans: c'est par l'horreur du vide, que Galilée, l'oracle de l'Italie, explique l'adhé rence des molécules dans les corps solides. Il est réservé à Pascal d'anéantir cette vieille erreur philosophique; il va opérer en cela l'une des plus grandes révolutions qui jamais aient eu lieu dans l'empire des sciences. Qu'on nous permette de crayonner rapidement cette intéressante découverte : elle mérite toute notre attention. Galilée avait connu la pesanteur de l'air, il l'avait mème comparée à celle de l'eau; mais il n'avait pas soupçonné la cause de l'ascension des fluides dans ces canaux où il voyait une puissance inconnue les soulever et les suspendre contre leur propre poids. On sait que des fontainiers de Florence, ne pouvant élever l'eau à plus de trente-deux pieds, consultèrent Galilée sur la cause de l'obstacle que la nature opposait à leurs efforts. L'intérêt et l'honneur de

la philosophie, a-t-on dit, exigeaient une prompte réponse : l'oracle de l'Italie ne pouvait rester muet. Galilée répond que la nature n'a, pour s'opposer à la formation du vide, qu'une force limitée et mesurée par le poids d'une colonne d'eau de trente-deux pieds. Mais Galilée a l'esprit trop juste pour ne pas reconnaître bientôt toute la faiblesse de son explication: il a quelque regret à sa réponse, et il laisse à son disciple Torricelli le soin de discuter le phénomène et d'en rechercher le principe.

Celui-ci écarte une partie du voile qui cache une cause si long-temps ignorée; il fait une judicieuse application de ses conjectures au plus pesant des fluides connus, et le fameux tube de Torricelli, premier type du baromètre, est acquis à la physique et prend place parmi ses plus utiles appareils. Mais Torricelli n'a que soupçonné la vérité; sa mort l'empêche de consommer la découverte, et ses conjectures n'ont pas d'autres suites.

Pascal ayant eu connaissance des expériences faites en Italie, se saisit du tube de Torricelli en homme de génie ; il répète et varie les expériences. Il fait le vide au-dessus du fluide du réservoir, et l'autre colonne se précipitant au niveau de la première, il se confirme dans la pensée que la suspension antérieure dans le tube est l'effet de la pression de l'air dont il vient de priver la colonne correspondante : telle une balance recouvre l'équilibre, dès que l'un de ses bras est soulagé de l'excès du poids qui l'entraîne. Il fait voir en outre que la hauteur du mercure augmente ou diminue en raison des variations qu'il ménage dans la pression de l'air (1). Cette expérience capitale, qui

(1) Pascal, dans la lettre à M. Périer, où il invite celui-ci à faire l'expérience du Puy-de-Dôme, nous apprend qu'en travaillant à son premier opuscule, dont nous parlons ci-après, il avait la pensée de la pression de l'air, mais qu'il n'osa pas encore mettre cette cause en avant, faute d'ex périences assez convaincantes.

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