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humaine, c'est sur-tout à l'égard des systèmes qui n'ont pas encore subi l'épreuve critique du temps et de l'expérience: il exige qu'ils produisent leurs titres de certitude. Il est prêt à se rendre à l'évidence; mais, pour ne pas s'exposer à prendre pour la vérité, une nouvelle erreur souvent pire que la première, il ne recule qu'avec réserve; de peur d'abandonner le terrain avec imprudence, il le dispute long-temps, et il ne met bas les armes que lorsqu'il lui est démontré qu'il défendait un mauvais poste.

Comme Descartes, Pascal oppose un doute salutaire au prestige de l'erreur; mais tandis que le doute de Descartes se reporte en arrière et s'exerce sur le passé, celui de Pascal, au contraire, se dirige sur l'avenir, et prend pour objet les réformes qu'on propose l'un discute les anciennes maximes, avant de les admettre; l'autre tire de l'examen des nouveautés, le jugement qu'il faut porter sur les idées reçues.

Descartes veut que la raison, dans la revue sévère qu'elle fait et dans la discussion des idées et des principes, n'admette que ce qui est, à ses yeux, marqué du sceau de l'évidence. Pascal, de son côté, prétend que l'évidence seule a le droit d'attaquer notre croyance aux systèmes établis, qui peuvent être des erreurs sans doute, mais qui peuvent aussi avoir quelque fondement dans les motifs qui les ont fait admettre et qui en ont prolongé l'existence.

Ne craignez point que le doute de Pascal, protecteur des anciennes maximes, favorise le règne des préjugés et de l'habitude: essentiellement observateur, il cède peu à peu la place à une conviction raisonnée; il ne sacrifie point les vérités nouvelles à l'autorité des vieilles erreurs. Pascal dit expressément et à plusieurs reprises que si l'on ne doit pas se départir légèrement des opinions transmises par l'antiquité, mais seulement lorsqu'on s'y trouve obligé par des preuves invincibles, ce serait une extrême faiblesse d'en faire le

moindre scrupule dans ce cas, et qu'on doit avoir plus de vénération pour les vérités palpables, que d'obstination pour les maximes régnantes.

Il est difficile que l'homme qui se croit ou se sent assez fort pour peser à la balance de sa raison les opinions de tous les âges, ne soit tenté de substituer ses vues personnelles à celles qu'il rejette; de-là l'esprit de système qui renaît de son propre tombeau, avec toutes ses illusions et toute sa puissance; d'autant plus fort, qu'il se prend alors lui-mème pour la vérité si long-temps attendue, et qu'il se croit fait pour remplacer toutes les opinions qui l'ont précédé. Mais Pascal se fait remarquer parmi les plus illustres fondateurs de cette philosophie observatrice qui, laissant là tous les vains systèmes, s'est bornée à interroger la nature, a ouvert le chemin à tant de brillantes vérités, et a répandu en si peu de temps des torrens de lumière sur l'horizon des sciences (z ).

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Eminemment conservatrice, la méthode de Pascal ne détruira jamais rien d'utile; sauvegarde naturelle des anciennes vérités, et n'opposant aucun obstacle aux lumières nouvelles, le caractère important qui semble la distinguer, est de garantir ainsi la certitude des sentimens qu'elle embrasse. Enfin, elle est d'un usage permanent, elle est de tous les temps et de tous les lieux, elle convient à tous les âges de la philosophie, parce qu'elle est indépendante de ce qui est fait et de ce qui reste à faire.

Nous avons maintenant à considérer, dans cette première classe des travaux de Pascal, un genre de mérite qui, bientôt appliqué à d'autres sujets, nous fera voir l'auteur du Traité de la Roulette s'élancer en maître dans une autre carrière et s'y placer au premier rang.

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SECONDE PARTIE.

CHEZ toutes les nations lettrées, la Poésie a fleuri avant l'apparition des bons écrits en prose. Le plus célèbre auteur de notre âge a dit que la plupart des grands ouvrages en prose du siècle de Louis XIV n'auraient pas enrichi la littérature française, sans les chefs-d'œuvre de poésie qui les ont précédés. Lorsque trente ans après le Cid, les Horaces et Cinna, on entendit les Bossuet et les Bourdaloue faire retentir les églises de France des accens d'une haute éloquence qui paraissait toute nouvelle, ces grands orateurs semblaient confirmer la remarque touchant leur langue propre, tandis que déjà Pascal avait établi l'exception. C'est en effet, pour l'ordinaire, entre les mains des poètes, que les langues se perfectionnent, qu'elles reçoivent la grâce, la richesse, l'harmonie ; qu'elles apprennent à varier leurs tours, qu'elles s'exercent dans le choix des expressions. Tel, en quelque sorte, se forme le jeu de ces artistes qui, pour assouplir leurs organes, s'imposent des entraves volontaires, se mettent aux prises avec les plus grandes difficultés, et, qui, rompus au mouvement par ces durs exercices, en sortent légers et dispos, pleins de force et d'agilité (a).

Lorsque Pascal écrivait les Provinciales, on peut dire que, malgré quelques ouvrages qui commençaient à se distinguer par une certaine correction malgré les premiers plaidoyers du sage et judicieux Patru que Vaugelas, Boileau, et le grand Racine ne dédaignèrent pas de prendre pour juge de leurs écrits, malgré les réformes et les améliorations que déjà la langue devait aux premiers travaux de l'Académie française, on peut dire qu'à cette époque il n'existait qu'un seul ouvrage en prose, digne d'être considéré comme classique; et l'auteur y avait travaillé trente ans. Le style de cet écrit manquait

encore de ce charme qui attache, première règle de l'art, dont le secret restait à trouver, ou plutôt, seule qualité que l'art ne donne pas, et dont le secret est tout entier dans l'ame des écrivains.

C'est dans cet état de choses que Pascal prend la plume. Pour obtenir le succès qu'il cherche, il rejette les faux ornemens dont les écrivains se paraient avec complaisance, il méconnaît l'autorité des modèles consacrés avant lui. Inspiré par le vrai génie de la langue, il va créer d'autres moyens; il entrevoit l'espèce de perfection à laquelle cette langue est réservée, et il sait y atteindre d'un seul coup. Il pose ainsi pour l'avenir de nouveaux modèles, qui loin d'avoir à craindre que leur mérite et leur poids ne viennent à être contestés par les juges éclairés des siècles futurs, sont au contraire destinés à commander leur hommage et leur constante admiration.

Tous ceux qui ont envisagé Pascal comme écrivain, se sont bornés à parler des Provinciales et des Pensées, productions fameuses, qu'on semble avoir regardées comme le seul titre auquel il doive cette partie de sa gloire. Pour nous, ne négligeons aucun des ouvrages de Pascal : la touche d'un grand maître se décèle dans les traits les plus fugitifs de son pinceau, et peut donner par-tout quelques leçons utiles dans son art. Le mérite d'un écrit ne consiste pas toujours et tout entier dans la solennité du style, ou dans les fleurs dont il peut être embelli; mais le ton doit varier avec le sujet, et il est des matières qui ne s'accommodent ni de ce brillant attirail, ni d'une pompe soutenue. Le bon goût ne consiste pas moins à savoir rejeter des ornemens déplacés, qu'à bien choisir d'autres fois ceux que le sujet comporte. Si, dans les ouvrages de tous les genres, il faut tenir quelque compte de la justesse des pensées, de leur disposition la mieux choisie; si l'on doit faire cas de la rigueur et de la clarté des raisonnemens; de l'ordre,

de

de l'ensemble et de l'unité dans la composition; enfin, de la convenance parfaite du style au sujet; si, par-dessus tout, l'auteur, malgré la sécheresse ou la gravité de sa matière, trouve encore l'art de plaire et d'intéresser, il me semble qu'il n'a pas bien mal rempli son objet, et que son travail mérite toute l'estime qu'on accorde aux bons écrits. Or, tels sont les caractères des Lettres physiques et mathématiques de Pascal, et tel il se montre dans ces pièces écrites sans apprêt et sans prétention, pressé par les circonstances qui ne lui permettent pas ces soins laborieux et de longue haleine qu'apportaient ses devanciers à la composition d'une simple lettre de compliment, fruit pénible de plusieurs mois de travail, qui laisse voir, dans sa forme maniérée et toute artificielle, la trace des malheureux efforts auxquels il doit son existence (b).

Mais gardons-nous de croire qu'il y ait, dans l'exemple de Pascal, de quoi autoriser une imprudente précipitation et justifier cette dangereuse maxime, que le talent peut se passer de travail. Si Pascal jouissait en effet de ce privilége, qui pourrait prétendre le partage avec lui? Mais il n'hésiste jamais à refaire six ou dix fois le même ouvrage, moins, il est vrai, pour y effacer des taches, que pour y ajouter de nouvelles beautés qui naissent en foule de la prodigieuse richesse de son esprit.

Pascal est, dans tous les sujets dont il s'occupe, un écrivain du premier ordre: soit qu'il combine les arides abstractions de la Géométrie, soit qu'il se réjouisse de la science et du plein du P. Noël; qu'il se livre aux épanchemens de l'amitié, ou qu'il rédige un projet de mandement, on le retrouve toujours dans cette grande diversité de matières, où il fait couler avec la mème aisance sa plume élégante et suave. Non qu'il soit par-tout de la même perfection, et qu'il inspire à tout propos le même intérêt: quel auteur en serait capable?

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