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Mais il n'est jamais sans une sorte d'empreinte qui se fait reconnaitre : c'est le cachet de l'écrivain de génie. Quelle liaison naturelle dans les idées! Quelle méthode dans le raisonnement ! Quelle sagesse et quelle force dans l'emploi de ses moyens! Quelle perspicacité dans l'examen des argumens qu'il combat! Quelle facilité dans ses attaques! Quelle manière heureuse d'associer le lecteur à sa victoire! Et toujours, quelle pureté de diction! Quelle distance il met entre le style de ses correspondans et le sien! On croit entendre des interlocuteurs de deux siècles différens, s'exprimer, dans leurs entretiens, chacun en sa langue particulière. Dois-je examiner ici les matériaux de ce grand mo→ nument que la main hardie de Pascal n'a pas eu le temps de construire pièces incomparables qui; quoique privées du mérite de l'ordonnance qui devait les lier entre elles, ne laissent pas d'étonner par leurs propres beautés ? Si le style ne peut entièrement se détacher du sujet, sur-tout dans les matières d'une haute importance, ce n'est pas ici le lieu de discuter ces morceaux, dont les uns présentent les traits d'une grandeur et d'une majestueuse éloquence qui n'ont jamais été surpassées, et dont les autres laissent apercevoir, au travers de l'imperfection du premier jet, le sceau du génie qui les a frappés.....

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Cédons à l'impatience des hommes de lettres, qui nous demandent compte d'un autre modèle chéri dont ils ne se lassent point de s'occuper, et qui veulent retrouver, dans l'examen qu'ils en attendent, l'analyse de ces beautés et de ces perfections tant de fois admi rées. Déjà tout le monde a nommé les Provinciales.

Si ce Livre célèbre se présente sur-tout ici comme un monument littéraire qui a marqué une grande époque dans l'histoire de la langue et de la littérature française, nous ne pouvons toutefois en parler avec justesse et en apprécier toute la valeur, sans revenir un instant sur les objets qui y sont traités,

jeter, au moins en passant, un coup-d'œil rapide sur ces trop fameuses disputes qui, peut-être, pour l'honneur de la véritable philosophie, autant que pour le repos de l'Eglise n'auraient jamais dû naître, osons le dire, et bien moins se prolonger si long-temps parmi des hommes éclairés.

L'immutabilité des décrets de la volonté divine est un dogme qui paraît avoir été généralement reçu dans l'antiquité, mais diversement défiguré sous les noms de Nécessité, de Destin, de Fatalité (c). Il n'est pas étonnant que les anciens, abandonnés à leurs seules lumières naturelles, se soient égarés en cherchant à découvrir les fils mystérieux par lesquels agit la Divinité sur les êtres soumis à sa puissance, et de quelle manière intervient sa volonté dans la conser→ vation et la direction de toutes choses; et sur-tout en s'efforçant de concilier cette liberté qui fait toute la moralité des actions humaines, avec la prévision éternelle, qui n'est pas moins incontestable, avec les immuables décrets du Tout-Puissant. Les incertitudes et les erreurs de l'antiquité sur des questions dont l'obscurité nous confond, erreurs qui étaient l'effet nécessaire des bornes de l'esprit humain, offraient une grande leçon aux philosophes chrétiens, mieux éclairés sur leur faiblesse et sur la nature de leurs devoirs. Ces hautes questions étonnaient et épouvantaient le plus savant des Apôtres. qui s'arrétait, frappé de respect et d'effroi, à la vue des voiles épais dont l'Eternel a couvert la profondeur de ses desseins (d).

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et

S. Augustin, combattant les opinions des Manichéens sur le pouvoir de la grâce, et celles de Pélage sur l'étendue de la liberté, avait eu l'occasion d'exposer sur cette matière une doctrine qui fut admise par toute l'Eglise. Il eût été sage de s'en tenir là. Mais de tout temps a régné la manie des interprétations; les écrits qui pouvaient le mieux s'en passer, n'ont pas

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moins été la proie des commentateurs et des scoliastes; et l'on sait qu'il n'est pas d'auteur, parmi les plus lumineux, qu'on n'ait réussi à couvrir de nuages, par des commentaires appliqués, en quelque sorte, les uns sur les autres. Le Docteur de la grace interprète la croyance de l'Eglise, à la satisfaction de l'Eglise même : on croit devoir interpréter cette interprétation, et l'on ne s'entend plus.

Cornélius Jansénius, évêque d'Ypres, travaille vingt ans à son Augustinus; ce Livre, qui ne paraît que quatre ans après la mort de son auteur, devient un instrument de discorde parmi les théologiens. Les Jésuites de Louvain l'attaquent les premiers; les Docteurs de l'Université de cette ville le défendent; et Rome impose silence aux Docteurs et aux Jésuites. Cinq propositions sont dénoncées à la faculté de Paris. Attribuées ensuite à Jansénius, elles sont déférées au Souverain Pontife, qui les condamne après les avoir fait débattre en sa présence. (e)

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Les savans de Port-Royal, qui cultivent avec tant d'éclat, dans leur retraite, toutes les sciences divines et humaines ; qui, secouant avec réserve et prudence les antiques préjugés de l'école, s'élèvent avec noblesse à des connaissances plus dignes d'une raison épurée; qui, travaillant à la lueur du flambeau de la saine philosophie, préparent les matériaux de ces Livres judicieux qui doivent régénérer les études; ces fameux Solitaires les maîtres de l'immortel Racine, les amis de Pascal qui se plaît dans leurs savans et religieux entretiens; ces hommes d'un si grand sens, qui, avec tant de lumières, n'ont pas la sagesse de rester étrangers à des querelles qui ne semblent pas faites pour eux, épousent avec ardeur la cause de l'Augustinus. Ils avaient indisposé contre eux une illustre et puissante corporation, et s'étaient rendus suspects à l'autorité. Parmi eux, le célèbre auteur de là Perpétuité de la Foi, le grand Arnauld,

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plein d'activité et de feu, infatigable dans ses travaux, et ne voulant de repos que celui de l'éternité Arnauld, en qui les Jésuites voient le fils d'un ennemi et un ennemi redoutable lui-même, Arnauld tourné contre les adversaires de Jansénius, ces armes qu'il doit manier dans la suite avec tant de vigueur contre les réformateurs du Christianisme. Dans une Lettre à un Duc et Pair, il avance une proposition qui paraît textuellement tirée de S. Chrysostôme et de S. Augustin, mais qui présente quelque analogie avec l'une des opinions attribuées aux Jansénistes; il assure en outre qu'il n'a point trouvé dans le Livre de Jansenius les propositions condamnées par la bulle.

Cet écrit excite une grande fermentation. Un orage violent se forme au sein de la Sorbonne; on s'assemble dans le trouble, on multiplie les discussions; on délibère sur la témérité de la proposition d'Arnauld, touchant le fait de Jansénius. Le savant théologien trouve parmi ses confrères soixante et onze défenseurs. Les magistrats civils prennent part à ce jugement. La Sorbonne prononce : elle décrète la censure d'Arnauld et l'exclut lui-même à jamais de son sein.

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Pendant toute cette agitation de la Faculté Arnauld avait fait paraître ses défenses; mais il sent que le ton sérieux du raisonnement n'est pas ce qu'il faut pour intéresser le public à des matières de cette nature. Il reste l'arme du ridicule, dont toute la force est dans l'habileté de la main qui s'en sert: Pascal sous un nom emprunté, est chargé de la saisir en faveur de son ami. La première Lettre à un Provincial paraît avant la censure; si elle ne peut la prévenir elle fait plus peut-être : elle fait naître à l'avantage de l'accusé cet intérêt puissant, qui s'élève toujours en faveur de l'homme que l'on croit victime d'une grande injustice; elle fait connaître toute l'influence de l'opinion publique; elle dirige cette opinion et la tourne toute entière du côté de l'illustre proscrit,

Il est une puissance qui s'élève au-dessus de toutes les autres, c'est la puissance du talent. Celui de Pascal était aussi grand que nouveau, et bientôt nous serons libres de l'admirer dans toute la richesse de ses moyens. Le plaisant et ingénieux auteur des Lettres au Provincial, amuse la France entière du pouvoir prochain et de la grâce suffisante. Il discute la censure de la Sorbonne, et trouve l'art de divertir le public, par le ton qu'il sait prendre, dans un sujet que l'on devait croire bien incapable de se plier." à un tel genre de style. Il fallait des moyens rares pour allier tant de gaieté avec des matières théologiques, pour créer une dialectique si réjouissante dans la rigueur de ses argumens, et pour faire rire si fort au milieu de tant de graves Docteurs. Pascal attaque ensuite l'opinion des Jésuites sur la grâce actuelle et les péchés d'ignorance, et bientôt il entreprend d'examiner les maximes morales de quelques membres de cette Compagnie et les décisions des casuistes (f).

Les ètres de raison, dont la scolastique avait peuplé le monde métaphysique, étaient une sorte d'image des doctrines qu'elle devait introduire dans la morale. On sait que les abus de ce genre de philosophie avaient porté, dans la théorie de la moralité humaine, le goût des vaines subtilités : c'était l'esprit du temps. Des vues frivoles, des distinctions puériles, des questions oiseuses prirent quelquefois la place des utiles et solides discussions, et ouvrirent une voie d'égarement aux esprits peu judicieux, qui ne tardèrent pas à s'y perdre. De-là quelques moralistes imprudens qui subordonnèrent les intérêts de la justice à des opinions en crédit, ou à la réputation d'un homme fameux; de-là quelques casuistes inconsidérés dont les sentences remplies d'incertitude et d'équivoque, et souvent mème, il faut l'avouer, pleines de folie ou d'artifice, pouvaient favoriser les sophismes de l'égoïsme et des passions.

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