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l'homme dans le système universel des êtres. La première chose qui s'offre à l'homme qui se regarde c'est son corps. Mais cette portion de matière qui lui est propre, quelle place tient-elle dans la vaste enceinte des mondes? Allons mesurer l'étendue de l'infini qui s'ouvre à nos regards; qui nous montrera les bornes de l'Univers? Notre imagination va braver la puissance créatrice de la nature; elle s'élance au-delà de tout ce qu'on lui laisse entrevoir. O aveugle confiance dans ses forces! Elle a beau enfler ses conceptions, elle n'enfante que des atomes au prix de la réalité des choses. Etre présomptueux, reviens sur tes pas, ramène ta vue sur toi-même; vois ce que tu es, égaré dans cette infinité qui t'éblouit. Mais, que sera-ce donc, si l'homme descend maintenant du côté du néant, au travers de ces corpuscules qui décroissent toujours? Qui lui donnera des instrumens pour pénétrer dans ces nouvelles profondeurs, des sens pour apercevoir cette nouvelle espèce d'infini, une intelligence pour concevoir ces mondes sans fin, contenus dans un point qui lui échappe ? Qu'il revienne encore une fois à lui-même: Qu'est-il donc et qui pourra le comprendre? Suspendu entre les deux abîmes du néant et de l'infini, il est un néant à l'égard de l'un, un tout à l'égard de l'autre, un milieu entre tout et rien, également et infiniment éloigné des deux extrêmes.

Telle est encore sa pensée dans l'ordre des choses intelligibles : elle y occupe le même degré que son corps dans la nature étendue; elle ne peut qu'entrevoir une sorte de milieu en toutes choses, également incapable d'en connaître le principe et la fin.

Que l'homme essaye donc d'abandonner ce milieu d'où il part; bientôt il s'offusque, il chancelle et tombe. Il n'aperçoit rien d'extrème : la lumière, le bruit, la distance, le froid, le chaud, rien ne peut agir convenablement sur lui sans se rapetisser, sans

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se resserrer sur son étroite capacité; sa frêle existence ne peut comporter qu'une certaine mesure de sensations, qu'une médiocre quantité d'efforts que circonscrivent encore l'âge, le sexe, le tempérament, la maladie, la saison, les heures du jour; son esprit ne peut supporter qu'une certaine symétrie qui soulage sa faiblesse, qu'un certain degré de perfection minutieusement calculé; il ne peut marcher qu'armé de règles et de préceptes, témoins perpétuels de son impuissance et instrumens peu capables d'y suppléer, qui l'égarent plus souvent qu'ils ne le dirigent (a).

L'homme trouve donc sur ce point même où il s'agite sans cesse, les bornes de toutes ses puissances; tout porte témoignage autour de lui des limites de ses facultés. Mais s'il est incapable de tout connaître, il l'est aussi de tout ignorer: il a reçu le don de l'intelligence et le principe actif de la curiosité; il entre une certaine mesure de connaissances dans sa condition. Quels moyens a-t-il de se juger lui-même, de reconnaître sa place dans le grand tout, d'apprendre sa destination et de marcher à sa fin? Pascal jette un coupd'œil sur les facultés intellectuelles et morales de l'homme, et ce coup d'œil est encore celui du génie (b).

Il juge l'homme d'un regard. Il voit qu'en toutes choses il se détermine par conviction ou par l'amour du plaisir, par le raisonnement ou par le sentiment: il voit que les vérités, comme les erreurs, passent toujours par l'une de ces deux portes de l'ame; que les seuls moyens d'agir d'homme à homme et d'obtenir l'assentiment d'autrui, sont d'éclairer ou d'émouvoir, de persuader ou d'entraîner, d'enchaîner l'attention ou de captiver le cœur. Voilà bien tout ce que l'on connaît là-dessus, voilà tout l'art de déterminer les puissances morales de l'homme. Mais si l'homme a la raison qui l'instruit, les passions sont là pour l'égarer; si son esprit est disposé à céder à la force des preuves,

l'ame préoccupée de ce qui flatte ses désirs, se ménage souvent des intelligences secrètes dans le tribunal de la raison, et fait pencher la balance de son côté.

Dans l'état ordinaire de l'ame, un fait évidemment démontré, ou un raisonnement rigoureusement déduit entraîne invinciblement la persuasion. De même, si la raison se tait en présence des objets de nos désirs, nous allons au-devant de la nouveauté, nous lui tendons les bras. Notre empressement ne peut qu'aug menter encore, si la preuve et l'agrément se montrent à la fois. Mais lorsque le raisonnement d'une part, et le plaisir de l'autre, se disputent notre aveu que deviendra la vérité dans ce moment de crise? Hélas! l'issue du combat peut-elle être douteuse ? La raison attaquée est déjà vaincue, à moins d'un rare prodige de vertu. Et cependant nous prétendons ne céder en tout, qu'au jugement de l'esprit ; c'est condamner intérieurement l'impulsion du cœur, c'est lui reconnaître une sorte de bassesse et d'indignité, puisque c'est désavouer sa puissance : mensonge de l'orgueil, qui rend hommage à la justice.

Tel est l'homme marchant à la découverte de la vérité.

La nature lui montre les matériaux primitifs des connaissances : il existe encore des principes premiers qui se sentent, mais qui ne se démontrent pas. Le sens commun ou la lumière naturelle, n'est autre chose que la perception et l'aveu de ces principes. La raison doit s'appuyer sur ces vérités fondamentales d'intelligence et de sentiment; il serait absurde qu'elle cherchât une base plus assurée (c).

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Quelles sont maintenant les preuves qui déterminent l'esprit ? Elles sont de deux sortes les unes se tirent du témoignage des hommes, et les autres du raisonnement. L'autorité humaine n'a de force que pour établir ou attester les faits; elle est nulle pour les conséquences qu'il en faut tirer. Ne pensez point qu'en

admettant des bornes à l'autorité des anciens dans les objets de raisonnement, Pascal contredise ce système de réserve et de prudence touchant les opinions reçues, que nous avons développé ailleurs; il y met au contraire le sceau de la perfection, et il répond victorieusement à ceux qui prétendraient voir en lui le défenseur de la routine et du préjugé (d).

Pascal distingue trois choses dans l'étude de la vérité la découverte de la vérité qu'on cherche, la démonstration de celle que l'on connaît, et la distinction du vrai d'avec le faux, laquelle rentre dans les deux premiers points. Il déclare ne vouloir pas s'occuper de la méthode d'invention; lui qui pourrait tracer en maître le chemin des découvertes, il se borne modestement à renvoyer à ceux qui l'ont recherché avant lui. Mais quoi ? ne l'a-t-il pas montrée lui-même, cette route, en la parcourant avec tant d'assurance, et n'y a-t-il pas répandu la lueur brillante de son esprit ? Pascal s'en tient donc à convertir en doctrine l'art d'exposer la vérité.

Il fait d'abord connaître une méthode éminente et accomplie, où les hommes ne peuvent arriver (e). Mais si cette méthode parfaite n'est pas à notre usage, il en est une qui peut la remplacer, c'est la méthode des Géomètres. Celle-ci diffère de l'autre, en ce qu'elle ne peut ni tout définir, ni tout prouver; différence qui ne lui ôte rien de sa certitude, puisque la nature vient au secours de la méthode. Il est des objets dont la nature nous donne elle-même une notion si claire, que vouloir les définir, c'est y jeter l'obscurité; tels sont l'espace, le temps, le nombre et le mouvement (ƒ). Et c'est ici l'une des sources de tant de débats inutiles, qui n'ont fait qu'amonceler les nuages dans les obscures régions de la philosophie.

Pascal s'arrète un instant en passant sur les propriétés du mouvement, de l'espace et des nombres qui ne sont pas seulement le fondement de la Géomé

trie, mais qui comprennent tout l'Univers; il en discerne avec une haute intelligence les divers rapports', et nous y montre un grand exemple de cette double infinité qui, en toute chose, trouble et accable la raison.

Revenant à la méthode qu'il nous propose, il la ramène à ces deux règles fondamentales, définir et prouver; méthode que nous voyons caractériser plus tard l'école de Leibnitzet de Wolff, comme celle de Locke, et en faire à la fois le mérite et la gloire. La simplicité paraît niaise et puérile aux yeux de la suffisance et du demi-savoir; mais Pascal se moque des logiciens qui, pensant avoir adopté ces règles, prétendent n'y rien voir de nouveau.

Ici, son esprit supérieur s'élève comme un'aigle audessus de la philosophie ténébreuse de l'école; il témoigne tout le mépris qu'il a pour cet art de déraisonner avec tant d'appareil, dont il voit d'un coup-d'œil la vanité, les vices et le danger.

L'art de persuader, dit Pascal, consiste autant en celui d'agréer qu'en celui de convaincre; il y a des règles aussi certaines pour plaire que pour démontrer; mais les moyens en sont bien plus difficiles, plus admirables et d'un usage bien plus étendu. Il signale les causes de cette difficulté qu'il met au grand jour; mais tout-à-coup il s'arrête et se prononce incapable de réussir dans cette partie de l'art. Eh! quel autre que lui pourrait donc l'espérer ? Toutefois, s'il porte ici la même réserve que sur les voies qui mènent à la vérité. il nous laisse aussi le même dédommagement: il nous refuse les préceptes, mais il nous offre les modèles; et nous avons admiré jusqu'à quel point il a déployé le talent d'intéresser dans les sujets qui paraissaient les moins propres à supporter les grâces du langage.

Pascal ne se borne pas aux moyens de communiquer la vérité; il examine encore la trempe des esprits

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