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et que celle qu'il me donne à moi-même. Après tout cela, sa vigilance se relâche-t-elle un moment; un bruit imprévu lui fait-il détourner la tête; je fais vingt pas dans la forêt, mes fers sont brisés, et il ne me revoit de sa vie.

Sans prolonger inutilement ces détails, chacun doit voir que les liens de la servitude n'étant formés que de la dépendance mutuelle des hommes et des besoins réciproques qui les unissent, il est impossible d'asservir un homme sans l'avoir mis auparavant dans le cas de ne pouvoir se passer d'un autre; situation qui, n'existant pas dans l'état de nature, y laisse chacun libre du joug et rend vaine la loi du plus fort.

Après avoir prouvé que l'inégalité est à peine sensible dans l'état de nature, et que son influence y est presque nulle, il me reste à montrer son origine et ses progrès dans les développemens successifs de l'esprit humain. Après avoir montré que la perfectibilité, les vertus sociales et les autres facultés que l'homme naturel avoit reçues en puissance, ne pouvoient jamais se développer d'elles-mêmes, qu'elles avoient besoin pour cela du concours fortuit de plusieurs causes étrangeres qui pouvoient ne jamais naître, et sans lesquelles il fût demeureé éternellement dans sa constitution primitive, il me reste à considérer et à rapprocher les différens hasards qui ont pu perfectionner la raison humaine en détériorant l'espece, rendre un être méchant en le rendant sociable, et d'un terme si éloigné amener enfin l'homme et le monde au point où nous les voyons.

J'avoue que les évènemens que j'ai à décrire ayant pu

arriver de plusieurs manieres, je ne puis me déterminer sur le choix que par des conjectures; mais outre que ces conjectures deviennent des raisons, quand elles sont les plus probables qu'on puisse tirer de la nature des choses, et les seuls moyens qu'on puisse avoir de décourvrir la vérité, les conséquences que je veux déduire des miennes ne seront point pour cela conjecturales, puisque, sur les principes que je viens d'établir, on ne sauroit former aucun autre systême qui ne me fournisse les mêmes résultats et dont je ne puisse tirer les mêmes conclusions.

Ceci me dispensera d'étendre mes réflexions sur la maniere dont le laps de temps compense le peu de vraisemblance des évènemens; sur la puissance surprenante des causes très légeres, lorsqu'elles agissent sans relâche; sur l'impossibilité où l'on est, d'un côté, de détruire certaines hypotheses, si de l'autre on se trouve hors d'état de leur donner le degré de certitude des faits; sur ce que deux faits étant donnés comme réels à lier -par une suite de faits intermédiaires, inconnus ou regardés comme tels, c'est à l'histoire, quand on l'a, de donner les faits qui les lient; c'est à la philosophie, à son défaut, de déterminer les faits semblables qui peuvent les lier; enfin sur ce qu'en matiere d'évènemens, la similtiude réduit les faits à un beaucoup plus petit nombre de classes différentes qu'on ne se l'imagine. Il me suffit d'offrir ces objets à la considération de mes juges; il me suffit d'avoir fait en sorte que les lecteurs vulgaires n'eussent pas besoin de les considérer.

SECONDE PARTIE

L'idée de propriété

La société civile

Le premier qui, ayant enclos un terrain, s'avisa de dire ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, de miseres et d'horreurs n'eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables: Gardez-vous d'écouter cet imposteur; vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n'est à personne! Mais il y a grande apparence qu'alors les choses en étoient déja venues au point de ne pouvoir plus durer comme elles étoient: car cette idée de propriété, dépendant de beaucoup d'idées antérieures qui n'ont pu naître que successivement, ne se forma pas tout d'un coup dans l'esprit humain: il fallut faire bien des progrès, acquérir bien de l'industrie et des lumieres, les transmettre et les augmenter d'âge en âge, avant que d'arriver à ce dernier terme de l'état de nature. Reprenons donc les choses de plus haut, et tâchons de rassembler sous un seul point de vue cette ente succession d'évènemens et de connoissances dans eur ordre le plus naturel.

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La vie bornée aux sensations

Le premier sentiment de l'homme fut celui de son existence, son premier soin celui de sa conservation. Les productions de la terre lui fournissoient tous les secours nécessaires, l'instinct le porta à en faire usage. La faim, d'autres appétits, lui faisant éprouver tour-à-tour diverses manieres d'exister, il y en eut une qui l'invita à perpétuer son espece; et ce penchant aveugle, dépourvu de tout sentiment du cœur, ne produisoit qu'un acte purement animal: le besoin satisfait, les deux sexes ne se reconnoissoient plus, et l'enfant même n'étoit plus rien à la mere sitôt qu'il pouvoit se passer d'elle.

Les difficultés à vaincre

Telle fut la condition de l'homme naissant; telle fut la vie d'un animal borné d'abord aux pures sensations, et profitant à peine des dons que lui offroit la nature, loin de songer à lui rien arracher. Mais il se présenta bientôt des difficultés; il fallut apprendre à les vaincre; la hauteur des arbres qui l'empêchoit d'atteindre à leurs fruits, la concurrence des animaux qui cherchoient à s'en nourrir, la férocité de ceux qui en vouloient à sa propre vie, tout l'obligea de s'appliquer aux exercices du corps; il fallut se rendre agile, vite à la course, vigoureux au combat. Les armes naturelles, qui sont les branches d'arbres et les pierres, se trouverent bientôt sous sa main. Il apprit à surmonter les obstacles de la nature, à combattre au besoin les autres animaux,

à disputer sa subsistance aux hommes mêmes, ou à se dédommager de ce qu'il falloit céder au plus fort.

Extension de l'espèce
Adaptation

A mesure que le genre humain s'étendit, les peines se multiplierent avec les hommes. La différence des terrains, des climats, des saisons, put les forcer à en mettre dans leurs manieres de vivre. Des années stériles, des hivers longs et rudes, des étés brûlans qui consument tout, exigerent d'eux une nouvelle industrie. Le long de la mer et des rivieres ils inventerent la ligne et l'hameçon, et devinrent pêcheurs et ichthyophages. Dans les forêts ils se firent des arcs et des fleches, et devinrent chasseurs et guerriers. Dans les pays froids ils se couvrirent des peaux des bêtes qu'ils avoient tuées. Le tonnerre, un volcan ou quelque heureux hasard leur fit connoître le feu, nouvelle ressource contre la rigueur de l'hiver: ils apprirent à conserver cet élément, puis à le reproduire, et enfin à en préparer les viandes qu'auparavant ils dévoroient crues.

La perception de rapports

Leur comparaison
La réflexion

Cette application réitérée des êtres divers à lui-même et des uns aux autres, doit naturellement engendrer dans l'esprit de l'homme les perceptions de certains

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