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soumettre à une puissance arbítraitre qui le traite à sa fantaisie: Car, ajoute-t-il, ce seroit vendre sa propre vie, dont on n'est pas le maître. Je demanderai seulement de quel droit ceux qui n'ont pas craint de s'avilir euxmêmes jusqu'à ce point, ont pu soumettre leur postérité à la même ignominie, et renoncer pour elle à des biens qu'elle ne tient point de leur libéralité, et sans lesquels la vie même est onéreuse à tous ceux qui en sont dignes. Pufendorff dit que tout de même qu'on transfere son bien à autrui par des conventions et des contrats, on peut aussi se dépouiller de sa liberté en faveur de quelqu'un. C'est là, ce me semble, un fort mauvais raisonnement: car, premièrement, le bien que j'aliene me devient une chose tout-à-fait étrangere et dont l'abus m'est indifférent; mais il m'importe qu'on n'abuse point de ma liberté, et je ne puis, sans me rendre coupable du mal qu'on me forcera de faire, m'exposer à devenir l'instrument du crime. De plus, le droit de propriété n'étant que de convention et d'institution humaine, tout homme peut à son gré disposer de ce qu'il possede: mais il n'en est pas de même des dons essentiels de la nature, tels que la vie et la liberté, dont il est permis à chacun de jouir, et dont il est au moins douteux qu'on ait droit de se dépouiller: en s'ôtant l'une on dégrade son être; en s'ôtant l'autre on l'anéantit autant qu'il est en soit: et comme nul bien temporel ne peut dédommager de l'une et de l'autre, ce seroit offenser à la fois la nature et la raison que d'y renoncer, à quelque prix que ce fût. Mais quand on

pourroit aliéner sa liberté comme ses biens, la différence seroit très grande pour les enfans, qui ne jouissent des biens du pere que par transmission de son droit; au lieu que la liberté étant un don qu'ils tiennent de la nature en qualité d'hommes, leurs parens n'ont eu aucun droit de les en dépouiller: de sorte que, comme pour établir l'esclavage il a fallu faire violence à la nature, il a fallu la changer pour perpétuer ce droit: et les jurisconsultes qui ont gravement prononcé que l'enfant d'une esclave naîtroit esclave, ont décidé, en d'autres termes, qu'un homme ne naîtroit pas homme.

Les gouvernements n'ont pas commencé par
le pouvoir arbitraire

Il me paroît donc certain que non seulement les gouvernemens n'ont point commencé par le pouvoir arbitraire, qui n'en est que la corruption, le terme extrême, et qui les ramene enfin à la seule loi du plus fort dont ils furent d'abord le remede; mais encore que quand même ils auroient ainsi commencé, ce pouvoir, étant par sa nature illégitime, n'a pu servir de fondement aux droits de la société, ni par conséquent à l'inégalité d'institution.

Nature du pacte de gouvernement: un contrat

entre le peuple et les chefs qu'il se choisit.

Sans entrer aujourd'hui dans les recherches qui sont encore à faire sur la nature du pacte fondamental de tout gouvernement, je me borne, en suivant l'opinion

commune, à considérer ici l'établissement du corps politique comme un vrai contrat entre le peuple et les chefs qu'il se choisit, contrat par lequel les deux parties s'obligent à l'observation des lois qui y sont stipulées et qui forment les liens de leur union. Le peuple ayant, au sujet des relations sociales, réuni toutes ses volontés en une seule, tous les articles sur lesquels cette volonté s'explique deviennent autant de lois fondamentales qui obligent tous les membres de l'état sans exception, et l'une desquelles regle le choix et le pouvoir des magistrats chargés de veiller à l'exécution des autres. Ce pouvoir s'étend à tout ce qui peut maintenir la constitution sans aller jusqu'à la changer. On y joint des honneurs qui rendent respectables les lois et leurs ministres, et pour ceux-ci personnellement des prérogatives qui les dédommagent des pénibles travaux que coûte une bonne administration. Le magistrat, de son côté, s'oblige à n'user du pouvoir qui lui est confié que selon l'intention des commettans, à maintenir chacun dans la paisible jouissance de ce qui lui appartient, et à préférer en toute occasion l'utilité publique à son propre intérêt.

Limites du pouvoir des magistrats
Sanction

Avant que l'expérience eût montré, ou que la connoissance du cœur humain eût fait prévoir les abus inévitables d'une telle constitution, elle dut paroître d'au

tant meilleure que ceux qui étoient chargés de veiller à sa conservation y étoient eux-mêmes les plus intéressés: car la magistrature et ses droits n'étant établis que sur les lois fondamentales, aussitôt qu'elles seroient détruites, les magistrats cesseroient d'être légitimes, le peuple ne seroit plus tenu de leur obéir; et comme ce n'auroit pas été le magistrat, mais la loi, qui auroit constitué l'essence de l'état,/ chacun rentreroit de droit dans sa liberté naturelle.

Le droit des parties à renoncer au contrat
Abdication et Destitution

(Intervention salutaire de la religion)

Pour peu qu'on y réfléchît attentivement, ceci se confirmeroit par de nouvelles raisons et par la nature du contrat; on verroit qu'il ne sauroit être irrévocable: car s'il n'y avoit point de pouvoir supérieur qui pût être garant de la fidélité des contractans ni les forcer à remplir leurs engagemens réciproques, les parties demeureroient seules juges dans leur propre cause, et chacune d'elles auroit toujours le droit de renoncer au contrat sitôt que l'autre en enfreindroit les conditions ou qu'elles cesseroient de lui convenir. C'est sur ce principe qu'il semble que le droit d'abdiquer peut être fondé. Or, à ne considérer, comme nous faisons, que l'institution humaine, si le magistrat, qui a tout le pouvoir en main et qui s'approprie tous les avantages du contrat, avoit pourtant le droit de renoncer à l'autorité, à plus

forte raison le peuple, qui paie toutes les fautes des chefs, devroit avoir le droit de renoncer à la dépendance. Mais les dissensions affreuses, les désordres infinis qu'entraîneroit nécessairement ce dangereux pouvoir, montrent plus que toute autre chose combien les gouvernemens humains avoient besoin d'une base plus solide que la seule raison, et combien il étoit nécessaire au repos public que la volonté divine intervînt pour donner à l'autorité souveraine un caractere sacré et inviolable qui ôtât aux sujets le funeste droit d'en disposer. Quand la religion n'auroit fait que ce bien aux hommes, c'en seroit assez pour qu'ils dussent tous la chérir et l'adopter, même avec ses abus, puisqu'elle épargne encore plus de sang que le fanatisme n'en fait couler. Mais suivons le fil de notre hypothese.

Origine des diverses formes de gouvernement

Les diverses formes des gouvernemens tirent leur origine des différences plus ou moins grandes qui se trouverent entre les particuliers au moment de l'institution. Un homme étoit-il éminent en pouvoir, en vertu, en richesse ou en crédit, il fut seul élu magistrat, et l'état devint monarchique. Si plusieurs, à-peu-près égaux entre eux, l'emportoient sur tous les autres, ils furent élus conjointement, et l'on eut une aristocratie. Ceux dont la fortune ou les talens étoient moins disproportionnés, et qui s'étoient le moins éloignés de l'état de nature, garderent en commun l'administration su

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