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la chair, sanctifiait les passions et organisait le despotisme universel. Pour avoir raison de toutes ces sectes, il ne suffit pas de répudier leurs conséquences, ni de les écraser par la force ou par le jugement solennel d'une assemblée politique; il faut les étudier en ellesmêmes, dans leurs principes et dans les rapports qui les unissent ensemble; il faut remonter à leur origine et les suivre dans leur histoire. Le mal est ancien et profond, on n'en trouvera pas le remède si on ne l'observe depuis sa racine jusqu'à ses dernières ramifications. Telle est la tâche que je me suis proposée. Je parlerai d'abord du communisme, parce que là est le fond et pour ainsi dire le noyau des systèmes que je voudrais faire connaître. Tous les socialistes, qu'ils le sachent ou qu'ils l'ignorent, qu'ils le dissimulent ou l'avouent, les phalanstériens, les philosophes humanitaires, les prétendus organisateurs du crédit et du travail, sont nécessairement communistes.

C'est une étrange illusion de nous présenter le communisme comme la forme la plus accomplie de la société et le but de toutes les révolutions qu'elle est destinée à subir; il n'y a rien au

contraire qui la rapproche plus de son enfance, rien qui soit plus opposé aux idées de liberté et de justice, par lesquelles se mesurent tous ses progrès. Les témoignages ne nous manqueraient point pour établir que l'égalité des fortunes, que la communauté des biens telle que la comprennent les réformateurs les plus populaires de notre temps, a existé de fait chez des peuplades encore plongées dans la vie sauvage, qu'elle est le régime sous lequel notre vieille civilisation a rencontré il y a plusieurs siècles les tribus les plus avancées du nouveau monde; mais pourquoi nous arrêter à ces faits isolés, si instructifs et si authentiques qu'ils puissent être, quand nous avons pour nous l'autorité de l'histoire tout entière? C'est, en effet, une loi qui domine tous les événements et qui préside à la marche des sociétés humaines, que la propriété, aussi bien que l'individu, ne s'affranchit que par degrés des liens de la communauté, soit celle de l'État, ou de la famille, ou d'une caste privilégiée, pour revêtir un caractère entièrement libre et personnel en d'autres termes, la communauté et l'esclavage, la propriété et la liberté ont toujours existé ensemble et dans les mêmes proportions: partout où l'on aperçoit

l'une, on est sûr de rencontrer l'autre ; dès que l'une est niée, étouffée ou amoindrie, l'autre l'est également; et comme l'idée de la liberté n'est pas autre chose, après tout, que l'idée de la justice, l'idée du droit, l'idée du respect qui est dû à l'humanité pour elle-même, sans aucun égard pour sa condition extérieure, on peut dire que le degré d'affranchissement où la propriété est arrivée chez un peuple nous donne la mesure exacte de sa civilisation et particulièrement de son éducation morale. Quelques exemples suffiront pour nous convaincre de cette vérité et lui donner la valeur d'un axiome historique.

Nous ne connaissons pas de constitution plus originale et plus ancienne que celle que nous offrent les Lois de Manou. Les Lois de Manou sont pour les Indiens ce que le Zend-Avesta était pour les Perses et la Bible pour les Hébreux, c'est-à-dire un code révélé à la fois civil, politique et religieux, dont les dispositions ont tout prévu et tout ordonné d'après des règles immuables, depuis les relations générales sur lesquelles repose l'existence même de la société jusqu'aux actions les plus humbles et les plus secrètes de la vie privée. Eh bien! si nous jetons

les yeux sur ce curieux monument, nous y verrons la propriété collective, indivisible, et remise tout entière entre les mains des brahmanes ou de la caste sacerdotale, sous prétexte qu'elle est la première-née de Brahma et qu'elle est sortie de la plus noble partie de son corps. « Le brahmane, dit le législateur indien (1), est le seigneur de tout ce qui existe; tout ce que ce monde renferme est la propriété du brahmane ; par sa primogéniture et par sa naissance il a droit à tout ce qui existe. Le brahmane ne mange que sa propre nourriture, ne porte que ses propres vêtements, ne donne que son avoir; c'est par la générosité du brahmane que les autres hommes jouissent des biens de ce monde. >> Mais ce n'est pas assez que la terre ait des propriétaires et le pays des maîtres; il faut des bras pour le défendre, pour le cultiver, pour distribuer à sa surface les fruits de sa fécondité et les façonner à tous les usages de la vie. De là les trois autres castes indiennes, celle des guerriers, celle des laboureurs et des marchands et celle des artisans, toutes asservies, dans des

(1) Les passages que je cite sont tirés de la traduction de Loiseleur-Deslonchamps, liv. VIII, stance 37 ; liv. I, stance 100; liv. VIII, stance 416.

mesures diverses, à l'ordre des brahmanes : en un mot, c'est l'esclavage venant compléter l'institution de la communauté des biens. Cependant, il faut le dire à l'honneur de l'espèce humaine, la justice et la raison ne sont jamais complétement muettes; la conscience a des éclairs qui illuminent nos plus profondes ténèbres. Ainsi l'on rencontre dans ce code inique de la théocratie orientale ces paroles qui ne seraient pas désavouées par les philosophes de notre temps, et qui indiquent avec beaucoup de précision la véritable origine du droit de propriété: « Les sages qui connaissent les temps anciens ont décidé que le champ cultivé est la propriété de celui qui le premier en a coupé le bois pour le défricher, et la gazelle celle du chasseur qui l'a blessée mortellement (1).

D

La société égyptienne nous offre à peu près les mêmes caractères que celle de l'Inde : l'absence de toute vie, de toute pensée, de toute liberté individuelle; une nation divisée en plusieurs castes entièrement séparées et dont chacune était vouée à une profession héréditaire; une théocratie puissante qui gouverne la pensée

(1) Liv. IX, stance 44.

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