Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

comme la conscience, dont les lois inflexibles pèsent sur les arts, sur les sciences, sur l'industrie elle-même, et qui possède collectivement, à titre de propriété indivisible et inaliénable, plus des deux tiers du sol. On pourrait trouver là, si je ne me trompe, avec le régime de la communauté, ce qu'on appelle aujourd'hui l'organisation du travail; car, dans la même caste, l'exercice des arts, des professions, était divisé autant que le permettaient l'état des lumières ou les besoins d'une civilisation encore peu avancée, et jamais l'un ne pouvait déplacer l'autre; la concurrence était un mal inconnu chez ce peuple intelligent et laborieux; l'abandon ou l'envahissement d'un état au préjudice des autres était également impossible.

C'est un fait remarquable que chez les Juifs, où la servitude, plutôt tolérée qu'encouragée par la loi, n'était qu'une sorte de domesticité; où l'esclave, placé sous la sauvegarde de la religion, faisait partie de la famille, et, à la moindre violence de la part du maître, était déclaré libre; où les dogmes, bien supérieurs aux institutions, proclamaient l'unité originelle et la fraternité du genre humain, la propriété, sans être absolue, ait eu un caractère indivi

duel. Chaque Israélite avait son patrimoine qu'il cultivait lui-même, ou, comme dit l'Écriture, chacun vivait à l'ombre de sa vigne et de son figuier. Les femmes mêmes, quand elles n'avaient point de frère pour recueillir l'héritage paternel, pouvaient hériter et posséder, tandis que les autres peuples de l'Orient les assimilaient aux esclaves. « Une femme et un esclave, dit le législateur indien (1), ne peuvent rien posséder, parce que tout ce qu'ils peuvent acquérir est la propriété de celui dont ils dépendent. » La caste sacerdotale, qui était maîtresse de tout sur les bords du Nil et du Gange, ne possédait rien en propre chez les Juifs, et vivait exclusivement des sacrifices et des offrandes déposés sur l'autel. « Tu n'hériteras pas, dit Dieu par la bouche de son prophète à la race d'Aaron (2); tu n'hériteras pas, et il n'y aura pas de part pour toi au milieu de mon peuple; c'est moi qui suis ta part et ton héritage au milieu des enfants d'Israël. » Mais si la propriété était individuelle, elle n'était pourtant pas complète, comme je viens de le faire remarquer. A la communauté, telle qu'elle existait chez certains peuples et au (1) Lois de Manou, liv. VIII, stance 446, (2) Nombres, chap. XVIII, v. 20.

profit de certaines castes, avec l'esclavage pour condition, Moïse avait voulu substituer l'égalité. C'est dans ce but qu'après avoir partagé la terre promise entre toutes les familles d'Israël, et après avoir assigné à chacune d'elles un lot proportionné au nombre de ses membres, il institua l'année jubilaire comme le terme où tous les immeubles vendus devaient retourner à leurs premiers possesseurs ou à leurs descendants. Ajouté au lávirat, ou l'obligation pour un frère puîné de donner des héritiers à son aîné, quand celui-ci était mort laissant une veuve sans enfants, ce moyen était parfaitement propre à conserver l'équilibre des fortunes; mais aussi il changeait le propriétaire en usufruitier. C'est ce que le législateur hébreu reconnaît expressément lorsqu'il met dans la bouche de Dieu les paroles suivantes (1): « La terre ne peut jamais être vendue complétement; car la terre est à moi, et vous n'êtes que des étrangers avec moi. » Quel a été le résultat de cette restriction imposée au droit de propriété? C'est que chacun, excepté le prêtre et le lévite, étant fixé à une portion du sol, et attaché pour ainsi dire

(1) Lévitique, chap. XXV, v. 23.

à la glèbe de son patrimoine, il fut impossible de choisir une autre occupation que l'agriculture; c'est que l'industrie, le commerce, les sciences, les arts, excepté la musique et la poésie religieuse, restèrent étrangers à ce peuple intelligent et actif, et il fut obligé d'attendre la ruine de sa nationalité, sa dispersion sur toute la surface du globe, le dernier degré de l'oppression et de la misère, pour révéler la souplesse et la fécondité de son génie. N'a-t-il pas fallu qu'à l'époque de sa plus haute prospérité, sous le règne du plus grand de ses rois, il appelât dans son sein, lui si fier et si jaloux de son culte, des ouvriers étrangers pour élever un temple à son Dieu? Ainsi toute violation du droit de propriété, quelles qu'en soient l'étendue et la forme, est nécessairement une atteinte à la liberté humaine : la communauté, en même temps qu'elle l'amoindrit chez les uns, la détruit radicalement chez les autres.

Aucun exemple plus éclatant ne peut être cité à l'appui de cette loi que la république de Sparte. C'est là que les plus hardis novateurs du dernier siècle, que nos révolutionnaires les plus ardents et les plus terribles ont puisé leurs inspirations; c'est là encore que les commu

nistes de nos jours vont chercher des arguments en faveur de leur doctrine; il est donc important qu'on ait une idée exacte de cette cité fameuse et trop admirée. Lycurgue donna d'abord à la propriété à peu près la même constitution que Moïse. Il partagea la terre en portions égales entre tous les citoyens, faisant trente mille parts pour les habitants de la campagne et neuf mille pour ceux de la ville, et rendit ces patrimoines inaliénables (1). Mais comme les Spartiates, uniquement formés à la guerre, ne cultivaient pas eux-mêmes leurs champs, et étaient obligés par leurs lois d'en consommer les revenus en commun, cette possession individuelle n'eut qu'une faible influence sur leur esprit, leurs mœurs et leur condition civile. C'est véritablement le communisme qu'on voit établi chez eux dans toute sa force. Vêtements, nourriture, plaisirs, occupations, rien n'échappe à ce régime. Les enfants sont élevés en commun et appartiennent à l'État. C'est lui qui, dès leur naissance, les condamne ou les absout, selon les services que leur constitution leur permettra de lui rendre un jour, selon

(1) Aristote, Politique, liv. II, chap. 7.

« ZurückWeiter »