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les plus favorables à l'amélioration de la race humaine. Campanella a parfaitement compris que la liberté, la propriété et la famille sont étroitement liées entre elles, et que si l'on sacrifie l'une, il faut nécessairement abandonner les deux autres. Que dire maintenant de la Bétique et de la République de Salente, ces douces créations de l'imagination pastorale de Fénelon? La seule conclusion qu'on en puisse tirer, n'estce pas que la communauté et l'égalité de fortune ne peuvent exister chez les hommes que dans l'enfance de la société, pendant le sommeil de l'imagination et de la raison, en l'absence des besoins qu'une civilisation un peu avancée amène nécessairement avec elle? Mais, encore une fois, on ne discute point des rêves: ce qu'il nous importe d'apprécier en ce moment ce sont des doctrines franchement avouées et proposées pour règles d'un nouvel ordre social.

Tout le monde a dans la mémoire ces paroles éloquentes de J.-J. Rousseau : « Le premier qui ayant enclos un terrain s'avisa de dire ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres; que de misères et d'horreurs n'eût point épargnés

au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables: gardez-vous d'écouter cet imposteur; vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous et que la terre n'est à personne (1). » Là se trouve le principe de toutes les idées socialistes sur la propriété, et particulièrement des idées communistes. Mais que le communisme ne triomphe pas trop d'un tel appui. En condamnant la propriété, Rousseau sait bien qu'il condamne la société, et c'est précisément pour cela qu'il l'attaque; c'est pour être conséquent dans le paradoxe qu'il les enveloppe l'une et l'autre dans la même proscription. « La propriété, ditil, est le vrai fondement de la société civile et le vrai garant des engagements des citoyens: car si les lois ne répondaient pas des personnes, rien ne serait si facile que d'éluder ses devoirs et de se moquer des lois (2).» Il y a plus : dans le même écrit dont je viens de tirer ces lignes il déclare le droit de propriété le plus sacré de tous les droits des citoyens, et plus important à certains égards que la liberté même. Qu'est-ce

(1) Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité, parmi les hommes, 2o part.

(2) Discours sur l'économie politique.

donc qui rend la propriété, je veux dire la société, si odieuse à Rousseau? C'est que, dans les conditions où elle existe actuellement, dans les conditions où elle s'est formée, elle consacre l'inégalité, et que l'inégalité lui paraît incompatible avec ce que l'homme a de meilleur et de plus cher, la liberté. A mesure que le genre humain s'est éloigné de l'état de nature, et que ses besoins se sont multipliés, il a ouvert son sein à toutes les passions et à tous les vices : à leur suite sont arrivées ces distinctions choquantes qui, en élevant les uns au comble de la fortune et de la grandeur, font descendre les autres au dernier degré de la misère et de la servitude. Devant ce tableau peint des plus noires couleurs de son imagination, Rousseau n'hésite pas ; il préfère la solitude, l'ignorance, les privations de la vie sauvage à toutes les splendeurs de la civilisation.

Il ne serait pas juste de supposer que l'esprit de paradoxe a seul produit ce résultat; on y reconnaît aussi l'effet d'une âme ulcérée, qui, apportant dans une société railleuse et sceptique l'imagination ardente, l'enthousiasme de la jeunesse et le feu des plus nobles passions; qui, au milieu des orgies d'une monarchie dé

crépite, évoquant les ombres des héros de Plutarque et les austères souvenirs de Rome et de Sparte; religieuse avec les philosophes, indépendante avec les croyants, repoussée de toute part et plus malheureuse encore de ses propres faiblesses que de l'injustice et du mépris des autres, n'a connu la vie que par ses amertumes, la société que par ses rivalités et ses luttes, la gloire que par ses épines. Cependant Rousseau est forcé de reconnaître que la société une fois fondée, il est difficile de la dissoudre et de retourner, comme il dit, vivre dans les forêts avec les ours. Il convient même que la société a du bon, et que c'est elle qui développe en nous l'idée de la justice, le sentiment du devoir; qui donne à nos actions la valeur morale dont elles manquaient auparavant; qui fait succéder la raison à l'instinct, le droit à la force; qui excite, provoque, étend toutes nos facultés et, pour employer ses expressions mêmes (1), d'un animal stupide et borné fait un être intelligent et un homme. Mais, à la place de la liberté physique qu'elle nous ôte, c'est-à-dire du droit illimité d'user de toutes les choses qui nous tentent

(1) Contrat social, liv. I, chap. 8.

et que nous pouvons atteindre, il veut que la société nous donne la liberté civile, fondée sur l'égalité. On sait quel est le moyen qu'il propose pour atteindre à ce but: c'est une association dont la première clause est l'aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté (1); c'est un contrat par lequel chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale (2). Voici maintenant par quel artifice Rousseau essaye, en partant de ce principe, de relever la propriété. Chaque membre de la communauté se donne à elle au moment où elle se forme avec toutes ses forces et, par conséquent, avec tous les biens qu'il possède actuellement. Tous ces biens réunis forment le territoire de l'État, ce qui n'empêche l'État de les laisser à leurs premiers possespas seurs. Mais alors ceux-ci étant considérés comme les dépositaires du bien public, et ce titre leur étant reconnu par tous leurs concitoyens, leur étant assuré par la volonté commune, la jouissance se change pour eux en droit, l'usurpation disparaît devant le caractère inviolable de

(1) Ubi supra, chap. 6.

(2) Ubi supra.

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