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tant avec Rousseau et Mably que tout est bien dans la nature de l'homme, que tous ses penchants sont bons, que tous ses mouvements le portent au bonheur et à l'amour de ses semblables, mais qu'il a été corrompu par les institutions de la société, comme si ces institutions n'étaient pas son œuvre, se propose le problème suivant à résoudre : Trouver une situation, c'est à-dire un ordre social, où il soit presque impossible que l'homme soit dépravé ou méchant. Ce problème trouve sa solution dans un plan de législation ou de constitution dont voici les bases: communauté absolue des biens et répression sévère de tout acte, de toute parole qui tendrait à faire renaître la propriété privée; égalité politique poussée à ce point que les charges et les dignités de l'État ne sont pas même données à l'élection, mais qu'elles passent à tour de rôle à tous les citoyens ; disposition qui déclare chaque citoyen un homme public ayant droit à être nourri, entretenu et occupé aux dépens du public. On voit que le droit au travail n'est pas inventé d'hier. De la liberté, il n'en reste pas la moindre trace dans cette charte du communisme; tout tombe sous l'empire de la loi, tout est prévu, réglé et imposé

par elle, soit la nature, la durée et les procédés du travail, soit les vêtements et les aliments, soit les heures du sommeil, du repos et des récréations. Dans l'ordre moral, même servitude que dans l'ordre matériel. Tout citoyen arrivé à l'âge nubile est forcé de se marier: « Personne, dit l'auteur, ne sera dispensé de cette loi, à moins que la nature ou sa santé n'y mette obstacle. » Les enfants sont élevés en commun, d'après un système d'éducation immuable. Par exemple, il est défendu de leur parler de Dieu avant qu'ils demandent à le connaître, et que leurs questions se portent naturellement sur ce sujet. Il est défendu de feur expliquer la nature et les attributs de Dieu; on se contentera de leur dire qu'il est la cause de l'univers, et qu'il n'a rien de commun avec l'humanité; on leur persuadera que les sentiments de sociabilité qui sont dans notre cœur sont la seule expression de sa loi. Tous les pères et toutes les mères de famille, divisés par commissions de cinq membres, remplissent à tour de rôle les fonctions d'éducateurs. Tous les jeunes citoyens, après avoir terminé leur éducation, reçoivent des mains de l'autorité publique la profession à laquelle ils sont jugés

propres. Personne ne peut choisir celle qui lui convient. Pour les travaux de la pensée, ce système de contrainte et d'oppression est plus dur encore. Le nombre des citoyens à qui il est permis de cultiver les arts et les sciences est rigoureusement fixé; les autres ne peuvent goûter à ce fruit défendu qu'à partir de l'âge de trente ans, et à la condition de ne point négliger leur labeur ordinaire. Les ouvriers de l'intelligence qui ont obtenu ce titre de l'autorité ou de la loi, jouissent d'une entière liberté dans le domaine des sciences physiques et mathématiques; mais les sciences morales ont leur cercle tracé d'avance, dont elles ne peuvent jamais sortir. En un mot, il y a une philosophie de l'État, laquelle tient lieu de religion, et qu'il est absolument défendu de discuter ou de contredire. Étrange religion! qui défend de méditer sur les attributs de Dieu; qui déclare insoluble le problème de l'existence et de la nature de l'âme, qui ne permet pas de s'enquérir si la mort a un lendemain. Voilà, en fait de tolérance et de liberté, le dernier mot du communisme; voilà à la fois le principe et les conséquences de l'organisation du travail.

Babœuf est, comme je l'ai dit, l'homme

d'action de cette école. C'est lui qui a tenté, à l'aide d'une révolution sociale, et par l'instrument de la violence, d'en faire passer les principes dans la réalité. Il ne faut pas confondre les desseins de Babœuf avec ceux de Robespierre. Il y a entre ces deux personnages de notre révolution la même différence qu'entre Rousseau et Mably. Robespierre, c'est Rousseau investi de la dictature; ce que l'un a pensé, l'autre a essayé de le faire. Or nous avons vu que Rousseau ne reconnaît pas la propriété pour un droit ; il en fait, comme Puffendorf et Montesquieu, une institution purement civile, à laquelle l'État peut imposer les limites qu'il juge convenables. Cette même idée, Robespierre essaya de la faire passer dans la constitution de 93, et on la reconnaîtra sans effort dans son projet de déclaration des droits de l'homme, dont l'article 7 est ainsi conçu: «La propriété est le droit qu'a chaque citoyen de jouir et de disposer de la portion de biens qui lui est garantie par la loi. » Cette définition, repoussée par la Convention elle-même et remplacée par une autre beaucoup plus exacte, est en quelque sorte la justification anticipée de l'article suivant: Art. 2. « La société est obligée de pour

voir à la subsistance de tous ses membres, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d'exister à ceux qui sont hors d'état de travailler.» Avec cette disposition, qui n'est pas autre chose que le droit au travail, et à laquelle il faut encore ajouter l'impôt progressif, trèsclairement énoncé dans l'article 13, il est évident que la propriété n'est qu'un leurre, qu'en principe elle est détruite; cependant, dans le fait, elle est conservée sous la condition de ne pas faire tort à l'égalité : on n'exige pas que tous se nourrissent au même râtelier, mais que la ration de chacun soit exactement semblable à celle de son voisin. L'égalité, non de droit, mais de fait, tel fut l'idéal de Robespierre, comme il avait été avant lui celui de Rousseau; l'égalité, non pour elle-même, mais pour la liberté dont elle lui semblait être la première, sinon la seule condition. Par un de ces vertiges trop communs à notre espèce, et dont on trouve un autre exemple dans les bûchers allumés au nom de la charité, le moyen lui fit oublier la fin, et pour fonder la liberté il établit le règne de la terreur.

Ce que Robespierre entrevoyait dans l'avenir, ou si on le juge autrement (car la question n'est pas là), ce qui servait de prétexte à son atroce

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