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XIVe siècle est pour les destinées de l'Italie un moment décisif, puisque l'on voit alors l'autorité de l'Empire, l'autorité de la Papauté et la liberté des Communes s'élever le plus haut, arriver à leur épanouissement le plus complet pour aboutir presque aussitôt à une chute profonde et au plus triste avortement.

PREMIÈRE PARTIE.

DU POUVOIR IMPÉRIAL EN ITALIE.

La paix conclue à Constance par Frédéric Barberousse avec dix-sept cités de la Lombardie, de la marche Trévisane et de la Romagne était un compromis entre une domination étrangère sans contre-poids et une autonomie locale sans restriction. Elle créait, il est vrai, pour l'une des parties contractantes, vis-à-vis de l'autre, des rapports de subordination moins étroits; mais ces rapports restaient fondés sur la base même de la société d'alors, c'est-à-dire sur le système féodal. Bien qu'à la distance où nous sommes le pacte de 1183 nous apparaisse comme le point de départ d'un droit public nouveau, la lettre des documents contemporains se prête mal à une aussi large interprétation. Barberousse, ainsi que les Lombards eux-mêmes, ne voyait dans ce traité qu'une concession de libertés civiles et politiques faite à des sujets auxquels ces libertés avaient pu être contestées jusque-là. De plus l'empereur considérait la permission d'user de ces libertés nouvelles comme accordée à titre révocable, car il était de principe que le domaine de l'Empire ne pût être aliéné ou que du moins aucune aliénation n'engageât définitivement l'avenir. Des textes précis montrent que la volonté impériale consentait bien à se limiter, mais qu'en se limitant elle s'affirmait encore et n'abdiquait point entièrement. De son côté la commune, reconnue comme une personne civile ayant capacité pour agir et pour posséder et comme un corps politique jouissant d'une juridiction propre et de la faculté d'administrer ses affaires, n'en demeurait pas moins rattachée à l'Empire par le lien féodal de l'hommage ainsi que par l'obligation du payement des redevances. Elle était admise dans une

assez large étendue au partage de la puissance publique; mais l'empereur, dépositaire suprême de cette puissance, se réservait la supériorité, et, avec la supériorité, le ressort, principale attribution de sa justice souveraine.

En effet, le pouvoir impérial, bien qu'exercé par un chef élu, était virtuellement absolu et de droit divin. C'était la loi vivante sur la terre, la loi affranchie de toutes les lois, la source même du droit civil. La volonté du prince faisait les lois, sa volonté les exécutait. On le considérait comme « le grand législateur séculier », et l'on regardait comme un déshonneur qu'il fût entravé dans l'exercice de la justice. En un mot l'empereur était le vrai, l'unique pouvoir constituant, législatif et exécutif, sauf l'avis qu'était appelée à lui donner, dans les affaires d'intérêt général, une diète ou cour convoquée à des intervalles qui variaient suivant les nécessités de la politique. Cet avis était un hommage rendu au principe de la représentation, hommage souvent illusoire, mais qui n'en avait pas moins donné lieu au célèbre axiome: Lex fit auctoritate regis et consensu populi. Les décisions de ces cours dites solennelles avaient force de loi dans les diverses portions de l'Empire: rendues en Allemagne, elles étaient obligatoires pour l'Italie, et réciproquement, sans distinction de limites territoriales, l'Empire, dans la langue officielle, s'étendant d'un côté jusqu'à la mer du Nord et de l'autre jusqu'aux frontières du royaume de Naples.

Les cours solennelles se composaient surtout de princes ecclésiastiques et laïques appartenant indifféremment aux divers groupes qui constituaient le corps de l'Empire et désignés sous les dénominations générales de Germains et de Latins. Mais d'autres personnes moins élevées en dignité y figuraient aussi, et les députés des villes italiennes étaient invités à prendre part à ces diètes, même à celles qui étaient tenues en Allemagne, quand on y devait traiter des affaires concernant leur pays. En outre les empereurs ou leurs légats présidaient quelquefois en Italie des cours particulières appelées colloquia, parlamenta, où non-seulement les communes, mais encore la noblesse et le clergé de l'Italie, se trouvaient spécialement représentés.

C'était une ébauche assurément bien imparfaite du système représentatif inauguré plus tard par le Parlement en Angleterre, en France par les Etats généraux. Toutefois ces colloques composés d'Italiens, où l'on s'occupait uniquement d'affaires italiennes, bien qu'ayant le caractère d'assemblées purement consultatives, bien que limités à l'Italie supérieure et réunis sans époques fixes, étaient pour l'Italie entière un élément sérieux, et qui aurait pu devenir fécond, de vie nationale.

Rattachée à la souveraineté de l'Empire par des liens que la paix de Constance tendait à relâcher de plus en plus, l'Italie était encore considérée, tout autant que l'Allemagne, comme un' Etat distinct, appelé royaume, regnum italicum. Elle avait son archi-chancelier particulier, quï était l'archevêque de Cologne. Les seigneurs d'Italie ne devaient pas être contraints de se rendre en Allemagne pour y recevoir l'investiture de leurs fiefs ni les députés des communes italiennes pour y prêter le serment de fidélité. Quant aux magistrats délégués pour exercer en Italie au nom de l'Empereur des offices judiciaires ou administratifs, ils étaient en grande majorité italiens, et ceux qui parfois étaient de race allemande s'abstenaient de porter le titre de leurs offices italiens quand ils séjournaient en Allemagne ou prenaient part à des actes relatifs aux affaires allemandes. Par conséquent l'existence propre ou, comme on dit aujourd'hui, l'autonomie de l'Italie était politiquement reconnue; comprise dans l'Empire, elle n'y était pas absorbée.

Néanmoins cette indépendance ne pouvait guère être entièrement sauvegardée par des souverains étrangers, et la liberté politique n'était que relative. Les princes de la maison de Souabe conclurent avec les villes italiennes relevant d'eux immédiatement des traités directs, des conventions faites de gré à gré; mais en établissant ou en confirmant les communes ils entendaient bien instituer des fiefs soumis comme tels à la loi féodale, et, tant que cette loi était observée, ils ne songeaient pas à modifier le contrat. Ne dépendre que de l'Empire, et n'obéir à aucun autre pouvoir intermédiaire et d'un ordre inférieur, c'était la liberté comme ils la comprenaient, celle

qu'allaient bientôt obtenir les villes libres impériales de l'Allemagne. Dans cette mesure les empereurs ne se montrèrent plus après la paix de Constance hostiles aux libertés municipales. Ils se dessaisirent même sans trop de peine en faveur des villes de la plupart des droits régaliens, tels que ceux de faire la guerre ou la paix, de battre monnaie, de lever des impôts, de créer des offices, d'exercer la basse, la moyenne et la haute justice dans l'étendue du district de chaque cité. Le corps de la cité représenté par ses consuls et par son podestat est un vrai feudataire assimilé, pour la juridiction et le pouvoir politique, aux comtes, aux marquis, aux ducs du saint Empire. Ce que les empereurs aiment moins, ce sont les confédérations. Obligés de compter avec la ligue lombarde, ils se soucient peu de voir s'organiser d'autres ligues, du moins sans leur autorisation expresse. Sur ce point ils appliquent à l'Italie le genre de prohibition qui était en usage dans les autres pays, et surtout en France, où l'on voit le roi aussi bien que le seigneur direct stipuler presque toujours dans les chartes d'affranchissement que les habitants devenus libres ne s'associeront pas sans son aveu à d'autres communes ou à d'autres châteaux.

Au surplus la concession des droits régaliens aux villes de la ligue lombarde et l'attribution de ces mêmes droits à d'autres villes assez puissantes pour les réclamer ou assez riches pour les payer n'avaient pas pour effet, comme on l'a indiqué plus haut, de supprimer la souveraineté impériale. A vrai dire la lutte au XIIe siècle ne porta que sur la mesure dans laquelle il était à propos d'accepter cette suprématie. Les cités mêmes qui passent pour avoir été le plus décidément guelfes l'admettaient sans difficulté, comme le prouve la clause restrictive constamment insérée dans leurs chartes: « sauf l'honneur de l'Empire et la fidélité due à l'Empereur. » Le serment de fidélité restait obligatoire pour tous les habitants mâles de quinze à soixante ans et même au-dessus de cet âge, et il impliquait la reconnaissance des deux droits essentiels que le chef de l'Empire s'était réservés par la paix de Constance à savoir le jugement des appels (appellationes), marque visible de leur pouvoir législatif

et judiciaire et la perception des contributions directes (fodrum) dont l'emploi était nécessaire à l'exercice de leur pouvoir exécutif. Mais par la force des choses les empereurs, très-souvent absents de l'Italie et n'y ayant point de tribunal organisé et permanent, durent renoncer à juger les appels, se privant ainsi d'une action qui devait donner tant de force à la monarchie capétienne; et, par suite des vicissitudes politiques, ils ne purent même lever les impôts ni avec régularité ni avec suite.

A tout prendre, il y avait donc en fait un certain équilibre entre l'empereur, source primordiale des droits civils et politiques, et les républiques ou les feudataires investis par voie de cession de la majeure partie de ces droits. Mais, en principe, l'inégalité subsistait, puisque ces mêmes droits, fondés sur des priviléges, étaient de leur nature révocables. L'Empereur, exerçant la fonction de législateur et de juge suprême, et se donnant pour mission le maintien ou le rétablissement de la paix sociale, n'hésitait pas à frapper les récalcitrants d'une sentence de révocation. La forme solennelle sous laquelle cette peine était prononcée s'appelait la mise au grand ban de l'Empire; elle avait pour effet la privation des droits publics et communs (ex communi) et des droits particuliers et individuels (ex diviso). Il est juste cependant de dire que ces sentences, trop facilement prodiguées, furent rarement exécutées à la lettre. L'apparence de la soumission suffisait pour les faire lever, et, s'il fallait absolument recourir à la force comme à l'ultima ratio, les empereurs victorieux n'appliquaient pas à ceux mêmes qui s'étaient rendus à discrétion l'entière rigueur de la peine.

Si, après avoir examiné la nature du pouvoir impérial en luimême et dans ses rapports avec l'Italie, on cherche quelle fut au juste la forme du gouvernement appliquée par les empereurs à ce pays, on est amené à y distinguer deux phases ou périodes d'un caractère différent : l'une où tout flotte dans une incertitude vague et confuse, l'autre où une pensée de stabilité et d'ordre se dégage assez nettement. Le renouvellement de la ligue lombarde (1226) semble être le point juste où ce mouvement s'opère. Depuis la paix de Constance jusqu'en 1226, le gouverne

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