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finit par s'alarmer, et il coupe court aux visées de son lieutenant, en favorisant, puis en confirmant l'élection de Rodolphe de Habsbourg comme roi des Romains. Charles voyant finir cette longue vacance de l'Empire qui lui avait laissé le champ libre en Italie, éprouve un violent dépit, mais est obligé de se soumettre.

En fait, il n'y eut pas de couronnement d'empereur à Rome avant le mois de juin 4342, mais l'Empire n'en était pas moins restauré en principe avec le concours de l'Eglise. Celle-ci empêchait par ce moyen Charles d'Anjou de prendre une situation prépondérante, et elle espérait bien conserver pour elle-même l'exercice de la souveraineté réclle sous le régne nominal d'un prince étranger résidant au fond de l'Allemagne et qui ne franchirait pas les Alpes sans sa permission. Il paraît même certain qu'en 1280 le pape Nicolas III avait formé le plan de partager le corps de l'Empire en quatre parties: l'Allemagne qui aurait appartenu à Rodolphe et à ses descendants à perpétuité ; l'ancien royaume d'Arles qui aurait formé la dot d'une fille de Rodolphe mariée à un prince de la maison d'Anjou; la Lombardie et la Toscane, érigées chacune en royaume et qu'il aurait données à deux de ses parents. Ce plan peut à bon droit passer pour chimérique; mais il montre tout au moins que la papauté se `croyait alors assez puissante pour régler à son gré les destinées de l'Empire et de l'Italie : ce qui faisait dire à un contemporain que l'Eglise était montée trop haut pour ne pas descendre, et l'Empire descendu trop bas pour ne pas remonter au sommet.

Cette prévision devait en partie se réaliser par la scène tragique d'Anagni, par la translation du Saint-Siége à Avignon, par l'abaissement de la papauté, par les déchirements du grand schisme, sans que pour cela l'Empire pût se relever au niveau qu'il avait atteint sous les princes de la maison de Souabe. En ce qui concerne l'Italie, il est clair que les deux pouvoirs sortirent également meurtris du sanglant débat dont la possession. de ce pays était le principal enjeu; et, par suite de leur affaiblissement successif, l'Italie, débarrassée à la fois de la suzeraineté de l'Empire et de la tutelle de la papauté, se trouva

comme abandonnée à elle-même et libre de s'agiter sans règle et sans direction.

Il arriva donc que le principe autoritaire représenté par la papauté ne servit pas en définitive à la fondation soit d'une monarchie italienne, soit d'un groupe d'Etats rattachés par le lien fédératif, parce que ce principe ne se montra favorable ni à l'émancipation de la société civile, ni au libre développement d'un nouveau droit public. Outre que l'autorité des papes était, en théorie et en pratique, tout aussi absolue que celle des empereurs, elle empruntait au caractère sacerdotal quelque chose de dogmatique et d'inflexible qui l'empêchait de modifier suivant la marche des idées humaines sa manière de concevoir le gouvernement temporel. Pouvoir abstrait et vivant d'abstractions, la papauté tenait peu de compte des formes particulières et changeantes qui sont la condition même du mouvement social. Et, quand ce pouvoir s'appliquait aux faits de l'ordre purement politique, il rencontrait en lui-même un double obstacle: d'abord son caractère cosmopolite, qui, en lui conférant une sorte d'hégémonie universelle, ne lui permettait pas, plus qu'à l'Empire, de se consacrer exclusivement aux intérêts italiens; en second lieu, la possession d'un patrimoine temporel qu'il songeait toujours à étendre, sans réussir à en faire un centre d'action pour les autres parties de l'Italie. Le souverain pontife n'était pas même le maître dans Rome; en dehors de Rome il luttait péniblement contre les aspirations des villes vers la liberté et contre les tendances des grandes familles vers la tyrannie. A peine en mesure d'administrer utilement ses propres domaines, comment aurait-il pu se flatter de gouverner directetement l'Italie entière? Après l'avoir essayé vainement, les papes se décidèrent à ressusciter l'Empire, comme un contre-poids nécessaire aux ambitions et aux rivalités individuelles. Jadis ils avaient appelé en Italie des empereurs étrangers de qui ils avaient reçu la confirmation de leur autorité temporelle. Au XIIIe siècle, après de longues luttes terminées par une victoire stérile, ils rétablirent en Italie un fantôme de pouvoir à qui le vieux droit traditionnel conservait encore quelques restes de

vie, pas assez cependant pour qu'il pût désormais y fonder quelque chose de durable. Enfin à partir du XVIe siècle, les papes s'entendirent si bien avec les descendants de Rodolphe de Habsbourg que, se réduisant au rôle modeste de princes italiens, ils finirent par identifier leur cause avec celle des autres princes vassaux de l'Autriche. Ainsi se trouva confirmé le jugement sévère de Machiavel quand il disait : « tantôt pour des intérêts religieux, tantôt pour la satisfaction de leur propre ambition, les papes n'ont pas cessé d'appeler en Italie des hommes nouveaux et d'y susciter des guerres nouvelles ; à peine avaient-ils contribué à l'élévation d'un prince qu'ils s'en repentaient et ne songeaient plus qu'à sa ruine, ne permettant pas que ce pays, qu'ils étaient trop faibles pour posséder, d'autres le possédassent. >>

TROISIÈME PARTIE.

DES COMMUNES ITALIENNES, DE LEURS LIGUES ET DE LEUR GOUVERNEMENT INTÉRIEUR.

Après avoir montré l'impuissance à laquelle se trouva réduit le principe d'autorité dont l'Empereur et le pape étaient les dépositaires par excellence, il reste à examiner pourquoi les communes italiennes, qui représentent au plus haut degré le principe de la liberté civile et politique, ne parvinrent ni à fonder sur cette base un gouvernement durable ni à constituer l'Italie en corps de nation. L'antagonisme des Guelfes et des Gibelins ne suffit pas à donner raison des causes complexes qui firent avorter le grand mouvement communal du XIIe siècle. En réalité, ces deux termes ne désignent pas autre chose que les partisans du Sacerdoce et les partisans de l'Empire. A la querelle dominante et générale viennent s'ajouter une foule de faits accessoires qui tiennent intimement aux origines mêmes, aux traditions, aux habitudes locales des populations de la Péninsule. Tantôt la démocratie prédomine, tantôt l'aristocratie; ici il y a un parti italien, là un autre parti qui appelle ou soutient les étrangers, et les dénominations de Guelfes ou de Gibe

lins n'expliquent point avec exactitude la diversité et la mobilité qui entraînent dans des sens différents les cités, les familles, les individus.

Sans prétendre donner à la question des races une importance exagérée, il convient pourtant de faire remarquer que la vie politique se développa chez les peuples de race latine autrement que chez ceux de race lombarde ou plutôt gallo-germaine, car on n'a peut-être pas assez tenu compte de l'élément gaulois toujours très-vivace dans le nord et le nord-est de l'Italie. Rien n'est plus frappant que la persistance des rapports de mœurs et d'institutions entre les Cisalpins et les Transalpins de Polybe et de César, et les Lombards des chroniqueurs du moyen-âge. Les assemblées délibérantes en usage dans la Haute Italie depuis la première ligue lombarde jusque vers le milieu du XIVe siècle font revivre la tradition des antiques concilia de la Gaule et de la Germanie, et l'expression officielle Societas totius Lombardiae, Marchiae et Romaniolae, qui sert à désigner la ligue, s'applique précisément aux anciennes provinces de la Gaule transpadane, de la Gaule cispadane, de la Vénétie et même de l'Ombrie, où l'élément gaulois persistait encore aux derniers temps de la domination romaine. Il n'est pas jusqu'au podestat lombard en qui ne se retrouvent les principaux traits du vergobret gaulois. Au contraire, dans les pays du centre, où l'élément latin était demeuré prépondérant, l'esprit municipal ne s'éleva guère jusqu'à la conception d'assemblées communes, et, au nord, ce furent surtout les cités issues des colonies romaines qui résistèrent le plus à la tendance fédéraliste pour se rattacher à l'unité du pouvoir, représentée par l'Empereur. Si l'on ajoute à cela l'unité de législation, on comprendra mieux que la race latine soit restée fidèle avec les Gibelins à l'idée de concentration monarchique, tandis que la race gauloise, plus pénétrée par l'individualisme germain et ayant adopté l'usage de la loi personnelle, inclina davantage vers le fractionnement de l'autorité politique.

Mais l'individualisme, source de fortes qualités et même de vertus civiques, a aussi ses dangers dont le plus grand est de

contrarier, dans un Etat à peine organisé, le jeu régulier des pouvoirs publics. Et les communes lombardes en éprouvèrent les funestes effets quand il eût été si nécessaire de donner à leur ligue assez de permanence et de cohésion pour qu'elle pût servir de base à une fédération durable. Chaque commune se comportant au mieux de ses intérêts et de ses droits particuliers, il n'y cut, en ce qui touchait aux affaires communes, ni action centrale bien définie, ni pouvoir exécutif reconnu, ni moyen légal d'empêcher les alliances séparées et les contrealliances. La ligue lombarde fut assez forte pour faire échec à l'établissement du gouvernement monarchique qu'avait essayé Frédéric II, et trop faible pour lui substituer un régime capable de faire vivre ensemble tant de cítés égales en droits, inégales en puissance. L'Italie supérieure conserva, il est vrai, quelque temps encore l'usage des parlements où les villes se faisaient représenter par des députés élus; mais ces parlements eurent presque toujours pour objet de déférer le pouvoir, dans les moments de péril, à un chef militaire, ce qui ne pouvait manquer d'être pour ce chef un acheminement vers la tyrannie.

Les Lombards n'auraient pu donner quelque stabilité à leur fédération naissante qu'à l'aide d'une constitution réglant les droits et les devoirs réciproques des membres qui la composaient. Or, l'établissement d'une constitution fixe suppose presque nécessairement l'existence d'une nationalité ou du moins la conscience d'une patrie commune, et c'est aux Lombards plus encore qu'aux Italiens d'origine que l'idée de nation, prise au sens moderne, semble avoir fait le plus complétement défaut. Ce n'est pas qu'on ne puisse signaler çà et là, au milieu de l'antagonisme des partis et de la rivalité des petites patries locales, le sentiment d'une sorte de solidarité entre les peuples italiens. De temps en temps s'élèvent des voix éloquentes qui, faisant appel à la concorde et à l'union, entraînent les multitudes à leur suite. Mais ces appels sont faits au nom de la charité chrétienne, au nom de la paix qui doit régner entre frères et ne produisent qu'un enthousiasme passager; ils ne se placent pas sur le terrain des faits pratiques, ils ne posent aucun programme politique

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