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sur lequel les magistrats puissent délibérer et s'entendre. Quant à l'Empereur et au pape, le caractère tumultueux et mystique de ces manifestations leur déplaît également; ils y voient un danger aussi bien pour l'ordre public que pour l'orthodoxie.

La commune indépendante, mais isolée, voilà quel fut le dernier terme auquel parvint et où s'arrêta malheureusement la liberté italienne, sans parvenir à édifier sur cette base une société politique dans la véritable acception de ce mot. A la mort de Frédéric II, la vie municipale avait acquis son plus complet développement, et, dans les temps qui suivirent, elle s'affermit encore par l'affaiblissement de l'Empire et de la Papauté. Mais, de même que les cités prises dans leur ensemble ne surent pas former un corps d'Etats réunis par un lien indissoluble, de même chacune d'elles se montra impuissante à maintenir les bonnes institutions qu'elle s'était données faute de stabilité dans son gouvernement intérieur.

Aussi haut qu'on puisse remonter dans l'histoire municipale de l'Italie moderne, c'est-à-dire au Xe siècle, on trouve le gouvernement des villes remis à des magistrats appelés consuls, désignés d'abord par les comtes impériaux, puis par les évêques, enfin par le libre choix des citoyens. Le grand développement du consulat coïncide avec la mort de la comtesse Mathilde (1145), qui fut un signal d'émancipation pour les villes situées entre le cours inférieur du Pô et la chaîne de l'Apennin, et ce régime intérieur domina presque partout en Italie jusque vers l'année 1180. Mais déjà on voit apparaître une autre institution, celle du podestat, magistrat unique, investi d'une espèce de dictature, et qui se substitue, temporairement d'abord, puis habituellement, à l'autorité des consuls dont le nombre et les attributions variaient suivant les localités. La dénomination de podestat et la fonction autoritaire que ce terme exprime sont aussi un mot italien et une chose italienne. Néanmoins cet office, dans les conditions où il s'exerça de 1160 à 1250, peut être considéré comme une importation étrangère ou du moins comme un instrument de domination entre les mains des empereurs allemands. Aussi fut-il d'abord impopulaire dans les villes guelfes

qui voyaient dans le podestat non-seulement le magistrat suprême de leur communauté, mais aussi le représentant du pouvoir impérial; les villes gibelines l'acceptèrent plus aisément, puisqu'elles admettaient en principe que la liberté communale consistât à ne relever immédiatement que de l'Empire. Tout en laissant aux citoyens le droit d'élire les podestats, les empereurs se réservèrent la faculté de les confirmer et intervinrent souvent soit pour obliger ces officiers à se conformer aux lois générales de l'Etat, soit pour les protéger contre les caprices ou le mauvais vouloir de leurs administrés.

Par sa nature propre, qui était la concentration de la puissance exécutive, comme par le caractère de l'intervention souveraine qui lui servait de support, cette institution devait nécessairement incliner vers l'excès de l'autorité. Aussi, la liberté jalouse ne tarda point à s'alarmer, et, dans la seconde moitié du XIII® siècle, les villes restreignirent l'action de leur podestat, tantôt lui retirant le commandement militaire pour le transférer à un capitaine du peuple, tantôt réduisant à six mois au lieu d'un an la durée des fonctions qui lui étaient conférées. En se prémunissant par là contre des empiétements possibles, on retombait d'un autre côté dans le morcellement et dans l'instabilité du pouvoir.

La conciliation de l'autorité et de la liberté sous cette forme de gouvernement était du reste chose difficile. On voulait trouver réunis chez le podestat républicain les mérites très-divers du bon orateur, du bon légiste, du bon chevalier, et les partis sans cesse en présence lui contestaient ces qualités dès qu'il en faisait usage dans un sens qui leur déplaisait. Pris constamment dans une ville étrangère, le podestat ne devait amener avec lui ni sa femme, pi ses enfants, ni personne de sa famille, ni se rattacher à la ville qu'il était appelé à gouverner par aucun lien de parenté ou d'amitié; il était obligé de vivre sous les yeux de tous dans une majesté solitaire, presque désarmé et n'ayant pour faire exécuter la loi que l'ascendant de son énergie et de sa droiture. C'était trop demander à la nature humaine que de lui imposer sans compensations une aussi lourde tâche. Les modérés et les

timides finirent par refuser ces fonctions pénibles, les audacieux et les violents les acceptèrent, se firent haïr ou chasser, et préparèrent l'avénement des tyrans indigènes, lesquels finirent par régner sous le nom des anciens magistrats officiellement rétablis. Le régime des podestats servit donc comme de transition naturelle entre le régime consulaire et celui du principat.

Cette dernière évolution, qui marque pour l'Italie l'époque de sa déchéance politique, ne s'accomplit pas néanmoins sans que quelques àmes élevées eussent conscience du danger et protestassent contre une abdication si funeste. Ce fut du parti latin et gibelin que partit ce suprême appel; ce furent Dante et Pétrarque qui essayèrent de ramener l'Italie vers le principe d'autorité, lequel, en se conciliant avec la liberté, devait seul, à leurs yeux, sauver la Péninsule de la discorde et d'un morcellement irrémédiable. L'autorité ne pouvait être restaurée que par le rétablissement de l'unité, et cette unité, à qui la demander, sinon au chef unique, au monarque par excellence, à l'empereur des Romains? La conception d'un dépositaire de la puissance souveraine élu pour sauvegarder à la fois la liberté de chacun et le bon ordre dans l'Etat se rattachait à une longue tradition dont le maître de Dante, Brunetto Latini, avait conservé le souvenir; et c'est cette conception qui inspira au grand Florentin son traité De monarchia, écrit en vue de provoquer et de justifier l'expédition de Henri de Luxembourg en Italie. Dans ce traité fameux aussi bien que dans ses lettres, Dante demande qu'on en revienne à la tradition. Toute sa théorie, dégagée des arguments que sa logique expose et que son éloquence colore, se résume en ces deux points principaux : <« la vraie liberté, c'est la soumission libre à une autorité juste;

l'Empereur représentant de cette autorité est l'expression du droit général et supérieur qu'il n'exerce qu'à la condition de respecter les droits individuels et particuliers.»>

Quant à Pétrarque, sans qu'il ait composé comme Dante un traité didactique sur la Monarchie, ses opinions politiques, consignées en divers passages de sa correspondance, sont à peu près les mêmes, et le langage qu'il adresse à Charles de Bohême

ne diffère guère des exhortations que Dante prodiguait au grandpère de cet empereur. Les termes dont se sert Pétrarque, pour être plus emphatiques, ne sont pas moins véhéments. C'est César qui est destiné à effacer les souillures de la république et à rendre au monde son ancien aspect, c'est lui qui pacifiera la région italienne (orbis italicus) et l'organisera complétement; mais, dans la pensée de Pétrarque, cette organisation doit avoir pour base une association d'Etats libres recevant du César romain l'impulsion que les membres du corps humain reçoivent de la tête qui les dirige.

Au moment où Henri de Luxembourg entreprit son expédition, le parti des honnêtes gens, ou, comme on dirait aujourd'hui, des modérés, était encore assez fort pour seconder les vues de Dante. Henri avait d'ailleurs personnellement des qualités éminentes, un esprit de justice, une douceur et en même temps une énergie qui le rendaient plus propre qu'aucun autre à réussir dans son rôle difficile et tardif de pacificateur et d'arbitre suprême. Il ne voulait pas qu'on prononçât en sa présence les noms funestes de Guelfes et de Gibelins, partout il ramenait et rétablissait les proscrits. Néanmoins, quand bien même il eût vécu plus longtemps, et eût persévéré jusqu'au bout dans cette haute impartialité, on peut douter encore qu'il fût parvenu à restaurer le gouvernement de l'Empire en Italie. La résistance des chefs du parti guelfe, les intrigues du roi de Naples, la politique indécise, pour ne pas dire cauteleuse, de la cour d'Avignon, par dessus tout une vague appréhension « des nouveautés redoutables » que pouvait amener la venue d'un roi étranger, bien des motifs se réunissaient pour faire échouer cette tentative. On peut même dire qu'en ressuscitant le régime des vicaires impériaux Henri de Luxembourg ne fit que hàter l'avénement du principat; car ces vicaires indigènes, se couvrant des apparences de la légalité, parvinrent plus aisément à se perpétuer dans l'exercice de l'autorité qu'ils s'étaient arrogée sur leurs concitoyens.

L'expédition de Louis de Bavière (1327-4329) coïncide avec le moment où plusieurs vicaires impériaux, pris parmi les po

destats ou les capitaines du peuple, vont devenir des princes indépendants, et la papauté par la voix de Jean XXII contribue à cette transformation en proclamant alors la séparation de l'Italie d'avec l'Allemagne et en affranchissant l'Italie de tout lien de sujétion envers l'Empire. Cette grave mesure, prise contre un adversaire politique, avait porté les fruits qu'on en pouvait attendre, quand un prince ami du Saint-Siége et appelé par Pétrarque passa les Alpes à son tour. Vainement Charles de Bohême pose sur sa tête la triple couronne de roi d'Italie, d'Empereur et de roi d'Arles, rien ne peut rendre à l'Empire son ancien prestige. Les Italiens se jouent d'un monarque étranger qui se présente à eux pauvre et mal équipé, et ce monarque ne songe de son côté qu'à remplir sa bourse en renouvelant à prix d'argent les priviléges des princes et des cités. Cette prétendue confirmation des libertés publiques ne fait en réalité que consacrer le despotisme des uns et l'anarchie des autres. Et pendant que les revendications.des empereurs avaient cette misérable issue, la maison angevine de Naples se déshonorait par ses désordres et s'épuisait en discordes sanglantes; de telle sorte que, dans la seconde moitié du XIVe siècle, l'Italie n'avait plus à espérer ni à craindre soit le retour de la prépondérance impériale soit la suprématie et le triomphe d'un souverain pris dans son sein. La papauté restait confinée à Avignon, sans exercer d'action directe sur la Péninsule. Enfin l'autonomie municipale, à laquelle les Guelfes avaient tout sacrifié, périssait étouffée sous la tyrannie de quelques dynastes ou se déchirait au milieu des dissensions de quelques républiques mal équilibrées.

En résumé l'Italie avait créé et tiré en quelque sorte de son sein deux choses immenses, la Papauté et l'Empire, mais ces deux pouvoirs, plus universels qu'italiens, ne lui servirent à rien pour asseoir les fondements de sa nationalité. Elle-même d'ailleurs, en se rattachant pendant de longs siècles à la tradi- . tion de l'Empire romain restauré, et en se proposant pour idéal une grandeur et une prépondérance chimériques, négligea les occasions qui lui furent offertes de se donner des limites, des

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