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ou empeschiez en l'exécution de leurs priviléges, d'ancienneté à eulx octroiez, desquelx ilz ont joy notoirement et paisiblement partant et tel temps qu'il n'est mémoire du contraire, sans lesquelx ilz ne pourroient vaquer ne entendre à leur estude; lesquelles molestations, troubles et empeschements redondent à leur très grant grief, préjudice et dommages; requërans sur ce notre provision et remède; et pour ce, nous, ces choses considérées, et, avec ce, les grans et innumérables biens et fruis, qui, tant en ampliation, accroissement et deffense de la foy catholique, comme autrement, se sont ensuis et ensuivent de temps en temps, non seulement en notre dit royaume de France, mais généralement en toute christianté, et les grans sciences, labeurs et diligences de notredicte fille et des supposts d'icelle; les voulans pour ce favoriser, en tant que selon Dieu et raison faire le pouvons, en ensuivant le traicté de la paix final, fete entre noz très chiers seigneurs, aycul et père, auxquels Dieu pardoint: par l'advis de nostre très chier et très amé oncle Jehan, régent nostre royaume de France, duc de Bedfort, avons osté et ostons de présent lesdiz troubles et empeschemens, et voulons que lesdiz exposans jouissent de leurs priviléges, selon la forme et teneur de la paix dessus dicte. Si vous mandons, commandons, et expressément enjoignons, et à chacun de vous, si comme à lui appartendra, que lesdits troubles et empeschements vous ostez, et lesdiz exposants et chacun d'eulx fetes et souffrez joir et user de ceste nostre présente voulenté, selon sa forme et teneur, sans les molester, traveiller ou empescher en aucune manière au contraire (1).»

Dans les lettres patentes qu'on vient de lire, Henri VI, roi d'Angleterre, tient le langage qui convient à son rôle ; tout Anglais qu'il soit, il parle en roi de France, parce qu'il porte ce titre, aux termes d'un traité qui subsistera tant qu'il n'aura pas été brisé par la force des armes. Mais quels sentiments de tristesse et quelle humiliation ne devaient pas éprouver les vieux maîtres de l'Université de Paris, chez qui les dis

(1) Index chronologicus, p. 247.

cordes civiles n'avaient pas étouffé le patriotisme, lorsque, sous leurs yeux, cette grande école, qui s'honorait d'être appelée la fille aînée des rois de France, ne pouvait obtenir la confirmation de ses priviléges que par la grâce d'un duc de Bedford, à la condition de s'entendre appeler la fille aînée d'un roi d'Angle terre!

A partir de 1423, l'Université de Paris cesse d'envoyer des députations à Henri VI et de lui adresser des requêtes. Etait-ce qu'elle fût satisfaite, ou bien avait-elle la conscience de ne pouvoir rien obtenir désormais? Ce qui n'est que trop constant, c'est que la situation où elle se trouvait n'était rien moins que florissante. Le nombre de ses écoliers avait sensiblement diminué, de même que celui de ses maîtres. Au lieu de trente cours de médecine qui étaient en pleine activité à Paris, vers le commencement du XIVe siècle, on ne comptait plus que dix à quinze docteurs régents de la Faculté qui donnassent des leçons publiques (4). Les colléges étaient en pleine décadence. Celui de Navarre, un des plus considérables, avait été dévasté, et ses maîtres massacrés ou mis en fuite, lors du sac de la ville par lés Bourguignons en 1418 (2). D'autres colléges, moins importants, étaient, faute de ressources, abandonnés par leurs principaux; et, bien qu'il se trouvât encore des compétiteurs pour se disputer les postes vacants, le candidat préféré ne trouvait le plus souvent que la pauvreté et la ruine là où il avait cru découvrir pour lui des moyens assurés d'existence (3).

Cette lamentable situation, qui s'aggravait d'année en

(1) Voyez sur ce point une note de notre Index chronologicus, p. 223, no 3.

(2) Launoy, Regii Navarræ gymnasii Historia, Parisiis, 1677, in-4o, p. 126.

(3) Du Boulay, ibid., p. 385, cite cette déclaration du procureur de la nation de France: « Die 16 mensis maii 1429 congregavi nationem Franciæ... Exposui nationi quod erant plura collegia nationis quæ quotidie demoliuntur propter defectum magistrorum. » Cf. ibid., p. 350 et 351.

année, se continua, sans incidents remarquables, depuis l'avénement de Henri VI jusqu'à l'époque où les exploits de la Pucelle d'Orléans ranimèrent tout à coup l'espérance dans le cœur de ceux qui n'avaient pas subi sans une amère douleur l'autorité d'un prince étranger. Cependant cette fois encore, l'Université de Paris, malgré l'exemple du chancelier Gerson, se montra infidèle à ces traditions de patriotisme qui faisaient naguère son honneur et sa force. A la nouvelle des combats heureux livrés par les Français sous les murs d'Orléans, le pieux chancelier, retiré à Lyon au couvent des Célestins, avait pris la plume, et dans un écrit, qui peut être considéré comme son testament, car cet écrit est daté du 14 mai 1429 et précéda seulement de quelques semaines la mort de l'auteur, il avait défendu Jeanne d'Arc contre les imputations de sortilége, d'impiété et d'inconduite que la faction anglaise commençait à propager (1). Il avait montré que, combattant pour son roi et pour son pays contre des ennemis acharnés, la cause qu'elle défendait était juste et sainte; qu'elle n'avait usé ni de fraude, ni de maléfices contraires à la loi de l'Eglise ; que Charles VII et son conseil ne s'étaient pas décidés sans de bons motifs à suivre ses avis; qu'elle s'était conduite avec prudence dans la guerre, et n'avait jamais témoigné cette présomption ni cette témérité, qui est une manière de tenter Dieu (2); qu'enfin les œuvres qu'elle avait accomplies, quelle qu'en fût l'issue, ne devaient pas être nécessairement attribuées à l'esprit malin, mais plutôt à la puissance divine.

(1) Cet écrit de Gerson, publié dans le recueil de ses œuvres 4706, in-fol., t. IV, p. 864, a été produit au procès de réhabilitation de la Pucelle d'Orléans, et réimprimé à ce titre par M. Jules Quicherat, Proces de Jeanne d'Arc, t. III, p. 298 et s.

(2) Procès de Jeanne d'Arc, p. 304 Pie et salubriter potest de pietate fidei et devotionis sustineri factum illius Puellæ,... præsertim ex causa finali quæ justissima est, scilicet restitutio regis ad regnum suum, et pertinacissimorum inimicorum justissima repulsio seu debellatio. » Ibid., p. 303: Ponderandum est quod hæc puella et ei adhærentes militares non dimittunt vias humanæ prudentiæ...

ANNÉE 1869.

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Tel était le jugement du chancelier Gerson sur Jeanne d'Arc. Mais sa voix n'était plus écoutée dans les écoles qu'il avait dirigées si longtemps. L'Université ne comprit ni le caractère ni la mission de la jeune fille inspirée qui sauvait la France; elle ne sut même pas rester neutre, et prit parti pour les Anglais avec une ardeur aussi inconsidérée que pusillanime. A peine Jeanne d'Arc fut-elle tombée devant Compiègne au pouvoir des Bourguignons, commandés par Jean de Luxembourg, que l'Université de Paris se hâta d'écrire à ce dernier et au duc de Bourgogne (1) pour obtenir d'eux que la prisonnière fût remise aux mains de l'inquisiteur de la foi ou de l'évêque de Beauvais, dans le diocèse duquel la capture avait eu lieu. Elle ne cacha pas dans ses lettres la douleur qu'elle ressentirait de la délivrance « de cette femme qui se dit la pucelle, au moyen de laquelle l'honneur de Dieu a été sans mesure offensé, la foi blessée, l'Eglise déshonorée. » S'il faut en croire Du Boulay, ce serait à l'instigation de l'évêque de Beauvais, Pierre Cauchon, que l'Université aurait fait ces démarches (2). Je crains que, par un sentiment de respect filial, le docte historien ne se soit trop hâté d'amoindrir la part de déplorable initiative qui revient dans cette affaire à la grande école dont l'honneur lui était si cher. En effet, quelques mois s'étant écoulés sans que Jean de Luxembourg se fût dessaisi de sa captive, on vit l'Université de Paris gourmander la tiédeur de l'évêque de Beauvais (3); elle s'en prit en quelque sorte à lui-même de l'ajournement du procès qu'elle croyait urgent d'ouvrir devant un tribunal ecclésiastique (4); elle fit appel à l'autorité

(4) Procés de Jeanne d'Arc, t. I, p. 8 et s.

(2) Du Boulay, Hist. Univ., t. V, p. 395: « Universitas, instigante M. Petro Cauchon, episcopo Belvacensi, scripsit ad ducem Burgundiæ, ut eam Ecclesiæ traderet... »

(3) Procés de Jeanne d'Arc, t. I, p. 15.

(4) Ibid., p. 46: « Si forsan in ejus rei prosecutione vestra paternitas diligentiam præbuisset acriorem, nunc in ecclesiastico judicio causa præfatæ mulieris ageretur. »

du roi d'Angleterre (1); elle le conjura de mettre fin à « cette longue retardation de justice qui devait déplaire à tout bon chrétien », disait-elle: si bien que ce prince, en délivrant les lettres-patentes qui lui étaient demandées (2), se félicita publiquement de « déférer aux vœux de sa très-sainte et trèschère fille, l'Université de Paris, et de dévotement obéir aux docteurs et maîtres de sadite très-sainte et très-chère fille. »

Ces maîtres ès-arts, ces docteurs en théologie et en droit canon, qui auraient dû être les défenseurs de Jeanne d'Arc, et qui prenaient les devants pour la condamner, cédaient sans doute à la pression exercée sur eux par une faction dévouée à l'Angleterre; toutefois il faut reconnaître, non pour les absoudre, mais pour expliquer leur conduite, qu'ils obéissaient aussi à des préjugés et à des ressentiments partagés par la grande majorité de la population de Paris.

Les Parisiens avaient fait l'expérience du gouvernement des Armagnacs qui formaient le gros du parti de Charles VII. Ils se rappelaient les impôts forcés, les exactions et les pillages qu'ils avaient eus à subir, quinze ans auparavant, de la part de maîtres cupides et dissolus, et, quelque odieuse que fût pour eux la domination anglaise, ils se résignaient à la supporter plutôt que de retomber sous le joug de leurs anciens oppresseurs. Aussi quand les troupes de Charles VII parurent sous les murs de la ville, espérant l'emporter par un vigoureux coup de main, non-seulement la Pucelle ne reçut des habitants aucune aide, ils ne tentèrent en sa faveur aucune diversion, mais ils s'unirent résolument aux Anglais pour la repousser. Durant le combat, ils la traitaient de paillarde et de ribaude (3); effrayés des représailles qui auraient pu accompagner sa victoire, ils regardaient sa défaite comme une déli

(4) Procés de Jeanne d'Arc, t. I, p. 47.

(2) Ibid., p. 48 et 19.

(3) Journal d'un bourgeois de Paris, coll. Michaud et Poujoulat, p. 286.

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