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vérités incontestables. Or, nous savons combien les Européens ont eu et ont encore de peine à se libérer d'antiques superstitions; comment pourrait-on en quelques années affranchir ces prosélytes plus ou moins volontaires de leurs fausses croyances et leur imposer des dogmes nouveaux, ouvrir leur esprit à la raison, modifier leur moralité traditionnelle!

Prenons Madagascar comme champ d'études, cette île étant depuis longtemps, et en ce moment plus que jamais, l'objet de nos préoccupations.

Quand on lit les récits des premiers marins et des premiers voyageurs qui l'ont visitée, on est surpris et embarrassé de voir que des auteurs, qui sont tous dignes de foi, expriment des opinions complètement opposées sur le caractère de ses habitants. Suivant les uns, ils étaient d'un naturel doux et pacifique, honnêtes, hospitaliers, curieux d'apprendre et doués d'une intelligence vive, en somme des gens de sens, sympathiques, de relations faciles et, comme dit le général de Beaulieu, «< gaillards et nullement brutaux »; suivant d'autres, ils avaient tous les vices et étaient capables de tous les crimes, ils étaient traitres, menteurs, voleurs, débauchés, vils et humbles avec leurs supérieurs, arrogants et cruels avec leurs inférieurs, en un mot de vraies brutes qui « n'avaient pas leurs pareilles au monde ».

Dans toute agglomération humaine, il y a des bons et des méchants; il suffit de jeter un rapide coup d'œil autour de soi pour se convaincre de l'existence dans nos nations, toutes supérieures qu'elles soient à tant d'égards, de ce triste et regrettable mélange de bien et de mal qui est partout et contre lequel les religions, comme les civilisations, restent impuissantes. Mais ce ne sont pas des individualités isolées, des groupes particuliers que certains voyageurs incriminent, c'est la race entière qu'ils prennent à parti et maudissent, c'est la race entière à laquelle ils attribuent les vices qu'ils énumèrent avec mépris et colère.

Or, la race malgache ne mérite pas et surtout ne méritait pas avant la venue des Européens qu'on l'accablat de semblables anathèmes. Il n'est pas douteux, en effet, que, tout en ayant les défauts et les vices inhérents à la vie sauvage qu'ils menaient, les habitants de Madagascar avaient beaucoup des qualités que leur ont reconnues et qu'ont louées divers voyageurs. Ce sont les étrangers qui ont peu à peu dénaturé leur caractère, vicié leur nature : d'abord les Indiens, les Arabes et les Malais qui, venus successivement à Madagascar et trouvant cette île habitée par des nègres orientaux qui vivaient patriarcalement divisés en une foule de clans, leur ont imposé plus ou moins impérieusement leur autorité despotique; ils ont forcément accru en eux l'esprit d'hypocrisie et de lâcheté; puis les Européens qui, comme nous l'allons montrer, textes en mains, ont non seulement développé dans une très large mesure le commerce des esclaves, en fomentant des guerres intestines qui seules pouvaient leur fournir le bétail humain qu'ils venaient ache

ter, mais qui, par leur conduite souvent cruelle et inique, ont modifié les mœurs du pays en changeant la douceur et l'hospitalité traditionnelles des Malgaches en trahison et en perfidie: attaqués, volés, ceux-ci ont vite pris en haine les étrangers. Ce que disent les vieux historiens est probant à cet égard.

C'est en l'an 1500, le 10 août, qu'un navigateur portugais, Diogo Diaz, qui se rendait aux Indes par la route nouvellement découverte par Vasco de Gama, ayant été séparé des autres navires de la flotte par un ouragan, aperçut une île qu'il nomma île de Saint-Laurent. Ainsi fut révélée à l'Europe, par le caprice des vents, l'existence de Madagascar.

Quatre nations européennes ont fréquenté plus ou moins longtemps Madagascar et ont cherché à fonder des établissements dans cette île dont on a longtemps célébré les prétendues richesses naturelles, malgré les récits de la plupart des marins ou voyageurs qui l'ont visitée. Ce sont les nations portugaise, hollandaise, anglaise et française. Nous allons successivement rappeler les relations plus ou moins amicales que chacune d'elles a établies avec les Malgaches pendant les xvi, xvII et xvш° siècles, et, comme à tout seigneur tout honneur, nous commencerons par les Portugais.

I

PORTUGAIS. En février 1506, l'amiral Fernan Soarez, en retournant de Cochin au Portugal, s'arrêta sur la côte sud-est pour y prendre de l'eau dont il manquait. C'était la première fois que des Européens y accostaient. Il s'empara de force de vingt et un indigènes, dont il garda deux qu'il emmena à Lisbonne, et il en blessa quelques autres.

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envoyé par le roi Dom Manoel à la tête d'une flotte de seize vaisseaux et de treize cents soldats pour étendre et affermir la domination portugaise en Afrique et dans les Indes, visita en novembre la côte nord-ouest. Se fiant aux récits enthousiastes de l'un de ses capitaines, Jean Rodrigues Pereira, qui, ayant atterri à divers ports de Madagascar, lui amenait deux indigènes pris de force sur la côte et affirmait qu'on pouvait s'y procurer en abondance du gingembre, du girofle et toutes sortes d'épices ainsi que de l'or et de l'argent, il partit à la découverte de ces richesses, emmenant avec lui quatre navires.

1. Camoëns, As Lusiadas, X, 89.

Arrivé en vue de terre et apercevant une pirogue montée par deux indigènes, il lui fit donner la chasse par ses chaloupes qui eurent vite fait de s'en emparer; puis il entra dans une vaste baie, la baie de Boina, où les Arabes avaient un comptoir important. A la vue de tous ces navires, les habitants de la ville s'enfuirent dans la brousse; les Portugais débarquèrent, et, se mettant à leur poursuite, en tuèrent plusieurs, puis ils incendièrent la ville, et, sans s'attarder en ce lieu, ils mirent à la voile et se dirigèrent vers le nord, en longeant la côte. Ils arrivèrent ainsi à la grande baie de Mahajamba, où vivait, en partie sur un îlot, l'îlot de Langany ou Nosy Manja, en partie sur la terre ferme qui n'en était distante que de quelques centaines de mètres, une population nombreuse composée d'Arabes et de Malgaches adonnés les uns au commerce, les autres à la culture et à l'élevage du bétail. L'amiral envoya en avant deux embarcations armées de pierriers pour surveiller le chenal et empêcher les habitants de la ville bâtie sur l'îlot de s'enfuir, puis il embossa ses quatre navires devant cette ville. Affolés, les habitants cherchèrent à gagner la terre ferme, se jetant pêle-mêle dans des pirogues qui, trop chargées, chavirèrent sous le choc des lames, en un instant la mer fut couverte de cadavres d'hommes, de femmes et d'enfants, plus de deux cents, dit l'historien Barros. L'amiral et ses marins descendirent alors à terre et massacrèrent la plupart de ceux qui n'avaient pu fuir et qui étaient mal armés: Il y eut bien, a écrit Alphonse d'Albuquerque au roi Dom Manoel, un millier de morts. Puis, ils saccagèrent la ville, prenant tout ce qu'ils y trouvèrent, étoffes, argent et or. C'est dans ce port que se faisait le principal commerce avec les Arabes et les Indiens qui y venaient chercher des esclaves, de la cire et des vivres. Les Portugais s'emparèrent en outre de 500 femmes et enfants dont l'amiral fit rendre une partie contre une honnète rançon, bien entendu, « n'ayant, disait-il, nullement l'intention de faire du mal aux habitants de ce pays, voulant seulement s'y procurer des vivres et des renseignements sur ses productions ».

Poursuivant sa route vers le nord, il atterrit à la baie de Sada (la baie actuelle de Radama). L'ancre jetée, il fit mettre toutes les embarcations à l'eau et s'en fut à terre avec tout son monde. Les habitants de Sada, très effrayés, s'enfuirent dans la montagne. Les matelots s'amusèrent à mettre le feu aux maisons, feu qui, dit l'historien portugais, se propagea si vite que, avant qu'ils fussent revenus à bord, toute la montagne était en flammes.

Tels furent les premiers rapports des Européens avec les Malgaches. II n'est pas besoin de dire que cette entrée en relations n'était pas pour les leur rendre sympathiques, et, cependant, tandis que les Portugais les traitaient sans raison d'une façon aussi barbare, ils usaient à l'égard des quelques Européens abandonnés ou perdus en divers points de Madagascar de bons procédés; par exemple Jean Gomes d'Abreu qui, ayant été abandonné à terre en

1507 à la suite d'un fort raz de marée, reçut, ainsi que les matelots qui l'avaient accompagné, une franche hospitalité; Lopes de Sequiéra, qui explora la côte sud-est en 1508, Louis Figueira qui atterrit à la côte orientale en 1314, Jean de Faria qui y hiverna en 1522, un matelot dieppois venu en 1527 avec le premier navire français qui ait touché à Madagascar et quatre Portugais que recueillit en 1531 Diogo da Fonseca, etc., qui tous n'eurent qu'à se louer de leurs relations avec les indigènes. Il en fut de même pour d'autres naufragés dont les navires se perdirent sur la côte sud de Madagascar et qui prirent femme parmi les indigènes et eurent de nombreux enfants, dont les descendants, reconnaissables à leur teint clair et à leurs cheveux droits, vinrent demander à des Hollandais qui abordèrent en 1600 dans la baie de Sainte-Luce des « Pères», afin de les instruire dans la religion de leurs aïeux.

A la fin du XVIe siècle, vers 1586, le gouverneur de Mozambique, Dom Jorge de Meneces, fit une expédition contre les Antalaotra (musulmans) de Boina auxquels il reprochait d'avoir accaparé le commerce de la côte nordouest, commerce qui en réalité existait depuis le x ou le xn siècle. Les Portugais détruisirent leur ville et tuèrent un grand nombre d'habitants, auxquels ils attribuaient, à tort probablement, la mort d'un religieux dominicain, le Père de San Tomas, qui travaillait avec une grande ferveur à la conquête spirituelle du pays et qui mourut empoisonné, dit-on, mais plutôt de maladie, de fièvres. L'année suivante, les Antalaotra se vengèrent sur l'équipage d'un navire portugais venu se ravitailler à Boina; plusieurs matelots qui étaient descendus à terre furent massacrés.

En 1613, le vice-roi des Indes, Dom Jeronymo de Azevedo, envoya une caravelle, la Nossa Senhora da Esperança, sous le commandement du capitaine Paulo Rodrigues da Costa et avec deux Jésuites, les Pères Pedro Freire et Luis Mariano, pour explorer l'ile de Madagascar et en reconnaître les côtes. Partis de Mozambique le 1er avril, ils mouillèrent le 15 dans la baie de Boina où se trouvait la ville musulmane dont nous avons déjà parlé plus haut et qui ne comptait pas moins de 7 à 8 000 habitants; ils y restèrent dix jours et signèrent avec le roi du pays, Tsimamo, un traité d'alliance et d'amitié. Puis ils longèrent la côte, s'arrêtant successivement à l'embouchure du Sambao, à celle du Manambolo, dont le roi leur confia de bon cœur son fils pour les accompagner dans leur voyage de circumnavigation, à Morombé, à Manombo, dans la baie de Saint-Augustin et dans celle des Masikoro; partout, ils furent accueillis avec des témoignages d'amitié, et les chefs de tous ces lieux signèrent avec le capitaine Da Costa des traités par lesquels ils s'engageaient à ne donner aucune aide aux Anglais ni aux Hollandais qui viendraient dans leurs états et à laisser les Pères y prêcher librement la religion catholique, y élever des églises et baptiser ceux de leurs sujets qui se convertiraient.

Doublant le cap Sud, ils jetèrent l'ancre dans la baie d'Andranofotsy (non loin du Fort-Dauphin actuel) où ils furent accueillis par la population avec de grands témoignages de joie. Tous les chefs et seigneurs des environs accoururent voir les étrangers et leur vendre des denrées, notamment Tsiambany, le plus puisssant de tous, qu'accompagnaient cinq cents hommes vêtus de beaux pagnes de coton rayés de couleurs vives et armés de sagaies et de hachettes. Tous paraissaient animés des meilleures intentions et Tsiambany accepta le plus facilement du monde (parce qu'il n'y attachait pas la la moindre importance) les propositions que lui firent les Portugais; il signa une convention où il s'engageait, en outre des conditions semblables à celles faites avec les différents rois de la côte occidentale, à confier au capitaine Da Costa son fils aîné pour être conduit à Goa auprès du vice-roi et y connaître. les usages et la grandeur des Portugais. Ce traité fut conclu et signé de la meilleure grâce du monde, et le roi fit spontanément donation aux Pères d'une île à l'embouchure du Fanjahira, pour qu'ils y construisissent une église, jurant que lui et ses fils seraient fidèles à ces engagements.

Les Pères étaient enchantés de demeurer dans ce pays et de prêcher la religion aux habitants dont beaucoup étaient des descendants de naufragés portugais et ils étaient pleins d'espérance, car la plupart portaient au cou des croix d'étain, non pas certainement par dévotion, mais par respect pour leurs ancêtres et aussi par coquetterie, et venaient en foule causer familièrement avec eux, n'ayant pas de cesse qu'ils ne leur eussent appris à faire le signe de la croix. Le roi lui-même leur témoigna tant d'amitié « qu'ils ne pouvaient douter qu'il désirât vivement les avoir dans son pays ».

Mais quand, le navire étant prêt à partir, les Portugais vinrent prendre congé de lui et voulurent emmener son fils à bord, il nia énergiquement avoir jamais promis de le leur confier pour le conduire aux Indes et dit qu'il s'était simplement engagé à bien traiter les Pères qui resteraient dans ses états, jurant qu'il était toujours dans les mêmes sentiments; il leur proposa toutefois d'emmener, s'ils le voulaient, un jeune Malgache « qu'il aimait à l'égal de son fils ». Les Portugais furent outrés de la « mauvaise foi », et, jugeant qu'ils ne pouvaient tolérer un semblable affront si préjudiciable à leur honneur, décidèrent que, puisque le roi ne voulait pas leur donner son fils de bonne grâce, ils l'enlèveraient de vive force. Le lendemain, en effet, ayant attiré le jeune prince, qui avait une douzaine d'années, auprès de leur chaloupe sous prétexte de lui faire un cadeau, ils le saisirent soudain à bras-le-corps, le jetèrent dans l'embarcation et s'éloignèrent de terre à force de rames, pendant que l'artillerie de la caravelle bombardait à grand bruit les Malgaches qui s'étaient rapidement amassés sur la plage et que la mitraille força à fuir.

Le navire mit à la voile pour Mozambique d'où le prince fut mené par l'un des Pères, le P. Freire, à Goa où il arriva le 16 mai 1614. Reçu avec de

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