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elle est habitée par de nombreuses tribus dont plusieurs sont restées chrétiennes. Leur langue est assez rapprochée du tigrin, qui est l'idiome du nord de l'Abyssinie, et que j'ai entendu désigner sous le nom de goudela. Ces populations s'occupent d'agriculture et sont arrivées, par leur intelligence et, par leur application, à un haut degré de perfection. Elles récoltent principalement du dourah, de l'orge, du froment et une espèce de banane (musa enseta). La position du territoire occupé par ces peuplades en fait, en quelque sorte, l'avant-garde de l'expansion abyssine vers le sud. Les femmes y sont d'une grande beauté, et c'est une coutume d'ancienne date pour la noblesse abyssine d'y aller prendre femme. Malheureusement, la lèpre et l'éléphantiasis étendent leurs ravages sur ces populations, et il n'est pas rare de rencontrer parmi elles des malheureux dont les membres sont complètement rongés par l'une ou l'autre de ces terribles maladies.

Les villages ne comptent jamais plus de trente à quarante maisons. Les habitations, construites en bois et en paille, sont de forme ronde; elles ne contiennent qu'une seule pièce, et sont entourées d'un amoncellement de branches épineuses formant un enclos destiné à préserver le bétail de la dent des fauves pendant la nuit.

On ne rencontre dans le Gouragué aucune ruine remontant à une époque assez reculée; par contre, les dolmens sont assez communs et sont ordinairement couverts de sculptures grossières représentant généralement des armes. Le sol, d'une couleur rouge brique, grâce probablement à la présence de l'oxyde de fer, constitue un humus d'une extrême richesse. Les essences qui dominent dans la flore sont : les ficus, le ricin, les acacias, les mimosas et les bananiers, dont on utilise le pétiole pour pétrir un pain d'une amertume extrême. Par contre, à l'époque où nous traversons le pays (début de juin), l'ornithologie est très pauvrement représentée, fait surprenant en Abyssinie, si riche en innombrables variétés d'oiseaux, généralement ornés du plus riant plumage.

Le 6 juin, près du mont Balchi, nous trouvons une vaste étendue lacustre, désignée sur la carte sous le nom de lac Touffa, mais que les habitants appellent le « lac Aroussi ».

Le 8 juin, laissant derrière nous les montagnes Ambaritcha et Dato, nous entrons dans le pays des Oulamo par la province de Kambata, jadis royaume vassal des monarques éthiopiens.

Ce pays peut être considéré comme le grenier d'abondance des provinces du Sud. Non seulement le bétail y est nombreux, mais on y trouve à profusion toutes les variétés de céréales ainsi que des pommes de terre, ce qui constitue une véritable rareté, même sur le plateau éthiopien. Dans cette région, la flore a un aspect différent; à côté des sycomores et des genévriers géants, on commence à rencontrer les premiers palmiers. Dans toutes les clairières de la

forêt, on trouve des plantations de maïs, de coton et de musa enseta. Les habitations également changent de forme et d'aspect; elles prennent le caractère franchement africain. Rondes à la base et très pointues au sommet, elles sont accessibles seulement par une entrée très basse.

Les gens du Oulamo, doux et intelligents, ont le teint plus clair que celui des autres Abyssins. Ils descendent d'une souche fort ancienne; leur langage est répandu dans les tribus voisines; leur religion est composée d'un mélange de christianisme et de paganisme. Les différentes tribus : Ouba, Gofa, Koutcha, Gamo, Bao, Zala, sont, à mon avis, de la même race, quoique continuellement en guerre entre elles.

Le Oulamo, qui, autrefois, a fait partie de l'Empire d'Éthiopie et a gardé quelques vagues notions du christianisme, en est resté séparé pendant des siècles. Ses habitants étant devenus redoutables par les excursions qu'ils faisaient pour se procurer des esclaves abyssins, l'Empereur Ménélik résolut de mettre fin à cette situation. Après les sommations d'usage, il dirigea, en 1894, une expédition contre le roi Thona, qui fut fait prisonnier et emmené quelque temps à Addis-Ababa. Ménélik lui a rendu, depuis, l'administration de son royaume, sous le contrôle d'un résident abyssin.

Avançant vers le sud, nous longeons le mont Yambo qui nous sépare du grand lac Abba, appelé aussi Oulamo, placé bien plus au sud, sous le nom de Lac de la Reine Marguerite sur la carte de Bottego'. Là nous rencontrons le roi Thona, qui, sur l'ordre de l'Empereur, nous fournit d'abondantes provisions. Le tribut que ce souverain vassal paie au Négus consiste en cinq mille chammas (toges portées en Abyssinie et dont le tissage indique un degré assez avancé dans l'industrie textile).

Le 21 juin, nous sortimes du Oulamo pour nous diriger vers la province d'Ouba, la plus septentrionale des provinces confiées à mon administration. Des deux routes qui y conduisent, l'une, montagneuse, se dirige vers le mont Koutcha, l'autre, plus directe, va droit au sud, traversant, pendant deux jours, le désert de Zala. Nous adoptâmes cette dernière, dont la région désertique constitue une zone entre les pays plus ou moins soumis à l'Abyssinie et ceux du sud, qui tendent à l'indépendance. Nous avons suivi le désert de Zala, où, par suite de cet état de choses, les attaques à main armée et le pillage sont fréquents. Nous y avons rencontré une grande quantité de fauves, tels que lions, léopards, etc., et nous y avons vu les premiers éléphants. Le ser

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1. La position du lac de la Reine Marguerite a été déterminée astronomiquement, par la seconde expédition Bottego, au mois de mai 1896. Voici le résultat des observations: extrémité méridionale du lac 5°59′32′′ de Lat. N.; extrémité septentrionale: 6°35′9′′ de Lat. N. Sa longitude, déduite de celle de Bourdji (Kiltayamo), est de 38°45' de Long. E. de Greenw. pour la rive occidentale, et, de 38°11′28′′ de Long. E. pour la rive orientale. D'après les renseignements donnés aux journaux par de récentes expéditions anglaises, la position des lacs Rodolphe et de la Reine Marguerite serait entachée d'une erreur assez forte, comme l'annonce le comte de Léonties. (Note du secrétaire de la Rédaction.)

pent, nommé effougnet, y est commun. D'après les indigènes, l'enflure causée par sa morsure est produite par l'introduction de l'air dans les chairs, sous l'action rapide et profonde de ses incisives. Sa peau est tigrée et non ocellée; sa longueur est de soixante-quinze centimètres environ. En fait d'oiseaux, on ne voit, à la fin de juin, que des tourterelles, les autres espèces ayant émigré vers le Nord.

La chaîne des monts Boreda nous sépare à l'est du pays Borana occupé par les Gallas. Cette région est fiévreuse, et, le soir, dans les campements, nous entendions nos soldats frapper dans leurs mains pour chasser, disaient-ils, le fantôme de la fièvre. Vers le sud, nous rencontrons les Gallas Aroussi, dont l'habitat est généralement placé, sur les cartes, plus à l'est.

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LA MISSION LÉONTIEFF ET LA COMPAGNIE DE TIRAILLEURS SÉNÉGALAIS.
Reproduction d'une photographie communiquée par le comte de Léontieff.

Toute cette frontière est couverte par une sorte de grande muraille; ce mur, construit en pierres, suit tout au long la frontière et met le pays à l'abri des agressions venant du sud.

Le fleuve Omo se trouve, nous dit-on, à une journée de marche seulement du désert de Zala. C'est là une découverte à coup sûr inattendue, car nous le supposions bien plus à l'ouest.

Pendant cette partie de notre marche, il fallut exercer la surveillance la plus sévère sur les quatre cents porteurs que le roi Thona nous avait donnés, tant ces gens étaient impressionnés par l'idée d'avoir à traverser de nouveau, à leur retour, le désert de Zala et de s'y trouver exposés aux attaques des Gallas. La route fut difficile; nous dûmes souvent porter nous-mêmes les charges et les mitrailleuses à travers des défilés rocheux. Ce trajet, relativement court, nous coûta un grand nombre de mules et d'ànes de charge qu'il fallut abandonner.

Le 22 juin, nous gravissons le mont Koutcha, puis redescendons à 400 mètres au-dessous. La température, qui s'élève le jour jusqu'à + 43°, descend la nuit à 18°. Près de la rivière Mazé, un affluent de l'Omo, large de quatre à cinq mètres, au courant rapide, sur les bords de laquelle nous croisâmes

LA GEOGRAPHIE. II.

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pour la première fois l'itinéraire de Bottego, je rencontrai quelques centaines de mes gabares, ou paysans d'Ouba, venus au-devant de moi pour m'offrir en cadeau de l'ivoire et du bétail. Depuis les bords du Mazé jusqu'à la chaîne des monts Ouba, le pays est couvert d'un fourré de roseaux si élevés qu'on disparaît parfois complètement dans leur inextricable fouillis.

Ayant appris que les habitants des provinces de Bana et de Kouré, profitant du départ des troupes de mon prédécesseur, avaient incendié les villes construites par le dedjaz Tessama, je me décidai, tout de suite, à déposer une partie de mes bagages dans les villages les plus proches, afin de pouvoir, ainsi allégé, me rendre le plus vite possible sur le théâtre de la rébellion.

Pendant quelques heures, notre route se poursuivit le long des rivières arrosant la vallée formée, à l'ouest, par les monts Gofa, et, à l'est, par les montagnes de Zala, sur le penchant desquelles nous pûmes remarquer la présence de nombreux villages.

Le 21 juillet au matin, nous nous rencontrâmes avec le roi de Bao, un des vassaux de mon gouvernement, qui venait au-devant de moi avec des boeufs et des porteurs. Le même jour, après avoir franchi une crête de 1200 mètres d'altitude, nous entrâmes dans le premier district de la province d'Ouba.

Je fus immédiatement frappé par la différence subite que présentaient l'aspect de la végétation et l'état des cultures. De tous côtés s'étendaient des champs de caféiers, d'orge, de froment, de tabac et de millet. Ces champs communiquaient entre eux par des chemins bordés de cactus, et partout l'on voyait des chaumières entourées de caféiers et de bambous. Le pays était parsemé d'immenses sycomores, dont l'ombre épaisse peut abriter jusqu'à deux cents hommes.

Avant d'entrer dans la ville d'Ouba, nous rencontrons une procession d'habitants vêtus de toges blanches à la mode abyssine, qui venaient au-devant de nous, précédés de leur petit roi, Tanga, âgé de douze ans. Cette ville constitue un centre commercial d'une grande importance les marchands d'ivoire y affluent de tous côtés. La monnaie abyssine est encore usitée dans les échanges et l'on trouve facilement à acheter de la verroterie, des tapis, de la soie, diverses étoffes, et même des fusils et des cartouches.

La ville est dominée par le Gebi ou palais du Gouverneur, bâti au sommet d'une montagne escarpée, suivant l'usage cher aux Abyssins qui cherchent toujours les sommets les plus inaccessibles pour y placer leur aire. Ce palais renferme de grands et petits aderachs ou salles de réceptions. Le Saganeyt, qui domine la cour de justice, les nombreuses chambres, les vastes écuries semblent copiées sur le modèle du palais de Ménélik.

A peine installé, je reçus les députations des anciens, des marchands et des artisans. Je distribuai des tuniques de soie aux chefs du pays, en signe

d'investiture de leurs fonctions, et déclarai à l'assemblée que dorénavant les impôts seraient réduits de moitié. La fête se termina, selon l'usage abyssin, par un festin monstre, offert à tous mes chefs et à tous mes soldats, festin auquel je présidai avec mon état-major.

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La première demande que m'adressèrent les chefs réunis du pays fut d'expulser l'un d'entre eux, un beau vieillard qui comparut enchaîné et qu'ils appelaient « Le Roi des Pluies ». Celui-ci était responsable, selon leur croyance, de la sécheresse qui régnait depuis trois mois; j'eus la plus grande peine à les faire revenir sur leur opinion; finalement, je fis mettre le « Roi des Pluies » en liberté.

Les Oubas parlent le dialecte oulamo; ils sont gouvernés par un roi qui

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VUE PRISE DANS LA VALLÉE DE L'OUBA. Reproduction d'une photographie communiquée par le comte de Léontieff.

partage son autorité avec vingt et un Danias, membres de la famille royale, et avec vingt et un juges ou Rachas. Ces dignités sont héréditaires et transmissibles même aux femmes qui sont, ainsi que leurs enfants, aptes à être investies de ces hautes fonctions. Chaque Racha a sous ses ordres une sorte de héraut ou crieur public, chargé de convoquer à son de trompe les administrés qui se réunissent avec une rapidité extraordinaire au point fixé.

Par suite de la minorité du jeune roi, la province est gouvernée par l'oncle de ce dernier qui, à son tour, recevait directement les ordres de mon prédé

cesseur.

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