continua d'être en usage jusqu'après la guerre de Troie 1. Quoi qu'il en soit de l'époque où l'on commença en Grèce et ailleurs à philosopher sur la Religion, il est à observer que les esprits sérieux conservèrent, même dans ces pays, un grand respect pour l'antiquité, et par conséquent pour la tradition. Nous en avons cité des exemples remarquables dans les chapitres précédents : nous n'y ajouterons qu'un seul trait. Cicéron, écrivant son livre de la Nature des dieux, fait dire à un des interlocuteurs : « J'ai toujours défendu, je défendrai toujours les » croyances que nous avons reçues de nos pères, tou>> chant les dieux immortels et le culte qui leur est dû, » et les discours d'aucun homme savant ou ignorant » n'ébranleront jamais ces croyances..... Expliquez-moi >> maintenant vos sentiments, Balbus, car je dois ap» prendre de vous, qui êtes philosophe, la raison de la >> religion : et je dois croire nos ancêtres, lors même qu'ils >> n'apportent aucune raison de leurs croyances".>> 1 Nouvelle démonstration évangélique, par Leland, I part., cap. 1, § 12. 2 De naturâ deorum, lib. III, cap. 2, no 5 et 6. CHAPITRE VII. LES HOMMES SE CORROMPENT DIEU LES PUNIT PAR UN DÉLUGE UNIVERSEL. Adam avait eu d'abord deux fils, Abel et Caïn, on sait qu'Abel mourut victime de la jalousie de son frère. L'exemple de Caïn fut funeste à ses enfants, dont plusieurs se livrèrent à toutes sortes de crimes. Seth, troisième fils d'Adam, vint au monde après la mort d'Abel, et il vécut dans une grande innocence; son fils, Enos, témoigna beaucoup de zèle pour le culte divin; Hénoch, son petit-fils, distingué parmi tous les autres par sa piété, mérita que Dieu le retirât de ce monde, tout en lui conservant la vie. L'apôtre saint Jude nous apprend qu'avant cette disparition Hénoch avait prédit, de la part du Seigneur, que si les hommes ne se convertissaient pas, ils allaient subir un grand châtiment. «Voici, disait» il, voici le Seigneur qui va venir pour exercer son >> jugement sur tous les hommes, et pour convaincre les >> impies de toutes les impiétés qu'ils ont commises, et » des paroles injurieuses qu'ils ont dites contre le Sei» gneur 1. » Une ancienne tradition porte que ce saint 1 Épît. de saint Jude, I, 14, 15. personnage doit reparaître à la fin des temps pour prêcher la pénitence aux hommes et pour rendre gloire à Dieu. Malgré son zèle et celui des autres patriarches qui se succédèrent jusqu'à Noé, l'iniquité prévalait toujours: les mœurs furent profondément corrompues, les hommes suivirent les déréglements de leurs cœurs, ils devinrent injustes et corrupteurs, se laissant aller à des violences les uns envers les autres. Dieu, qui depuis longtemps leur faisait annoncer la pénitence, ne put supporter de si grands excès; il se prépara donc à donner au monde un exemple de rigueur qui dût avoir son retentissement jusqu'à la fin des siècles, pour inspirer aux hommes la crainte du péché. Il apparut à Noé et lui dit : Mon esprit ne demeurera pas dans l'homme, parce qu'il est chair; la terre est remplie d'iniquités; je vais détruire les hommes. Quoique cette menace ne dût s'exécuter que cent ans après, Noé reçut, dès lors, l'ordre de construire un vaisseau où il put se sauver avec sa famille et un grand nombre d'animaux de toute espèce. Sans doute, ce long délai et ce travail extraordinaire dont on ne pouvait ignorer le but, furent pour les hommes d'alors une occasion de salut: Noé leur parla de la justice divine1, et plusieurs, touchés de la grâce, se convertirent; mais leur conversion ne put changer l'arrêt porté dans le ciel. Lors donc que le moment déterminé par la volonté divine fut arrivé, la terre fut submergée par une pluie qui tomba 1 II Épît. de saint Pierre, II, 5; Ire Épît., III, 19, 20. Dans ces épitres saint Pierre appelle Noé prédicateur de la justice, justitiæ præconem, et il nous donne à entendre que plusieurs, qui avaient d'abord été incrédules à sa parole, finirent par se convertir. pendant quarante jours, et par les eaux que Dieu tira, soit des souterrains, soit du fond des mers, pour les rejeter sur la surface du globe. Ce serait bien inutilement que, pour expliquer le déluge, on voudrait ne recourir qu'à des causes naturelles, et ne voir dans ce grand événement qu'un phénomène résultant des lois générales, un affaissement du sol habité, l'exhaussement du fond de la mer qui aurait formé nos continents actuels, par suite de quelque grande révolution, comme il en est survenu quelquefois, quand des montagnes sont sorties par soulèvement du fond des mers, ou que des îles ont disparu sous les flots. Le récit de la Genèse éloigne de pareilles suppositions, et nous montre évidemment que la terre qui fut couverte d'eau par le déluge, est celle que les hommes habitèrent après, puisqu'il nous dit que Dieu fit tomber sur elle une pluie extraordinaire pour la submerger, que les eaux parvinrent à couvrir les plus hautes montagnes, et qu'après, il fit souffler un vent violent pour diminuer les eaux, découvrir le sol et le rendre de nouveau habitable. Dieu se servit sans doute de causes secondes; à sa parole, les eaux qu'il avait placées dans l'atmosphère à l'état de vapeur, se condensant, tombèrent comme des torrents; il put imprimer à la terre un mouvement qui fit verser sur elle les eaux de l'abîme; mais l'emploi de ces moyens, dans de semblables circonstances, après l'annonce solennelle qui en avait été faite longtemps auparavant, ne peut être considéré que comme un acte immédiat de la justice et de la puissance divines, en un mot, un vrai miracle. La terre demeura couverte d'eau pendant cent cin quante jours: tous les hommes avaient péri, à l'exception de la seule famille de Noé; l'inondation avait couvert la terre et atteint les plus hautes montagnes, quand Dieu fit souffler un vent violent; les eaux commencèrent alors à décroître. L'arche s'arrêta enfin sur le sommet d'une montagne d'Arménie, et Noé put en sortir. Son premier acte fut d'élever un autel sur lequel il offrit à Dieu en holocauste des oiseaux et d'autres animaux. Dieu agréa ce sacrifice, et dit à Noé: « Je ne maudirai plus la terre » à cause de l'homme; je ne frapperai plus désormais >> toute créature vivante, comme j'ai fait. Croissez et » multipliez, et remplissez la terre; que tous les ani» maux terrestres, tous les oiseaux du ciel, tout ce qui » se meut sur la terre et tous les poissons des mers vous >> redoutent. Vous pourrez prendre pour votre nourri» ture tout ce qui a mouvement et vie; seulement, vous >> ne mangerez pas le sang. » En souvenir des promesses qu'il venait de faire, il ajouta : « J'ai placé mon arc dans » la nue, et il sera un signe d'alliance entre moi et la » terre. Lorsque je couvrirai le ciel de nuées, mon arc » y apparaîtra; je me souviendrai de mon alliance avec » vous, et les eaux du déluge ne viendront plus détruire >> toute chair 1. » Ces paroles ne signifient peut-être pas que l'arc-enciel n'eût pas encore paru dans les airs avant le déluge, mais seulement qu'à cette époque Dieu le donna aux hommes comme un signe de la promesse solennelle qu'il venait de leur faire, qu'il ne détruirait plus le monde par un déluge. 1 Genèse, IX, 16. |