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discerne, qui juge ces divers objets, soit intérieurs, soit extérieurs? C'est la raison, c'est l'intelligence. Quand je vois les arbres d'une longue allée, quoiqu'ils soient tous à peu près égaux, se diminuer peu à peu à mes yeux, en sorte que la diminution commence dès le second et se continue à proportion de l'éloignement; quand je vois courbe, à travers l'eau, un bâton que je sais d'ailleurs être droit; quand, emporté dans un bateau par un mouvement égal, je me sens comme immobile avec tout ce qui est dans le vaisseau, pendant que je vois le reste, qui est pourtant immobile, comme s'enfuyant loin de moi; ces choses, et mille autres de même nature, où les sens ont besoin d'être redressés, me font voir que c'est par quelque autre faculté que je connais la vérité et que je la discerne de l'erreur. La raison est donc en nous pour nous élever au-dessus des sens et de l'imagination 1; elle nous dirige dans l'appréciation que nous faisons de ce que les sens nous rapportent ; elle se sert des connaissances expérimentales que l'on acquiert par leur intermédiaire, pour étudier la nature, pour s'élever à l'idée des lois qui la régissent, pour former, en un mot, la science.

La raison ne se borne pas à la connaissance de ce qu'il y a de vrai dans les phénomènes extérieurs, à l'étude des lois de la nature physique et des actes de la conscience: elle s'élève plus haut, elle remonte aux lois morales qui doivent nous diriger, elle va dans ses méditations jusqu'au principe premier de toutes choses, passant de la contemplation des choses visibles à la con

1 Bossuet, Connaissance de Dieu et de soi-même, chap. 1.

naissance des choses invisibles. Ce travail se fait sans effort, au moyen d'idées générales qui sont en nous, et qui constituent en quelque sorte le fond de la raison humaine. Ainsi, pour n'en donner qu'un petit nombre d'exemples, ces idées si simples: Tout ce qui commence d'être a une cause qui le produit... une même chose ne peut pas être et n'être pas... le tout est plus grand que sa partie... il ne faut pas faire à autrui ce que nous ne voudrions pas qu'il nous fit... mettent l'intelligence sur la voie de nombreuses et très-importantes vérités. Il y a dans l'âme des idées plus simples encore, qui sont en elles sans qu'elle s'en soit peut-être jamais rendu compte, sans qu'elle y ait jamais réfléchi, qu'il lui serait souvent impossible d'expliquer, et qui cependant la dirigent dans ses jugements, qui lui donnent l'assurance de la vérité, tant elles lui sont présentes, et éclairant de leur lumière les vérités dont elle s'occupe ou qui lui sont présentées.

Ces notions, ces idées premières sont universelles; elles se rencontrent également dans tous les hommes, quoiqu'ils n'aient jamais eu de relations entre eux; de de sorte que nous savons d'avance, sans nulle crainte de nous tromper, le jugement que porteront sur telle proposition, sur la moralité de tel acte, des hommes qui habitent aux deux extrémités du monde, qu'ils soient cultivés par les études ou qu'ils soient à l'état de sauvages. Ces idées sont immuables, car quelque changement qu'il puisse s'opérer dans les mœurs, dans les habitudes, dans les intérêts, elles demeurent constamment les mêmes, sans aucune altération. Elles sont absolues, indépendantes des hommes, et qui n'en subsisteraient

pas moins, essentiellement vraies, quand même il n'y aurait plus de monde ni une seule créature raisonnable capable de les entendre.

Ces idées sont en nous, mais comment y sont-elles venues, comment se sont-elles formées? Nous ne nous les sommes pas données, elles étaient avant nous, elles sont au-dessus de nous, indépendantes de nous; elles nous redressent quand nous nous trompons; elles ne nous laissent pas la liberté de juger autrement que par elles. Qui pourrait juger, par exemple, que deux et deux ne font pas quatre... que la reconnaissance n'est par pas préférable à l'ingratitude... qu'il y a des effets sans aucune cause qui les ait produits? Ce n'est pas la société qui les a formées en nous ces idées. Peut-être la parole, l'instruction extérieure a-t-elle été nécessaire pour mettre notre intelligence en activité; il se peut que, sans ce commerce de la vie, l'homme seul, privé de la parole et de toute communication avec ses semblables, fût demeuré dans une enfance perpétuelle. Quoi qu'il en soit, et quelle que puisse être la nécessité d'une instruction extérieure, on peut assurer qu'elle n'est qu'une simple condition pour le développement de l'intelligence, elle excite la pensée, elle provoque l'attention; ce n'est pas elle qui forme en nous ces notions premières. La preuve en est bien simple; dites à un enfant qui n'a reçu encore aucune instruction sur les éléments de l'arithmétique, que deux et deux font cinq, dès qu'il comprendra le sens des termes, l'idée attachée aux mots, il sourira de votre proposition, persuadé que vous ne parlez pas sérieusement. L'enfant a donc une idée en lui-même, il y a une raison supérieure qui l'instruit et

qui lui fait accepter ou rejeter l'instruction extérieure selon qu'elle est conforme ou contraire à cette raison.

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« Il y a, dit Fénelon, un soleil des esprits qui les éclaire >> tous mieux que le soleil visible n'éclaire les corps. Ce » soleil de vérité ne laisse aucune ombre, et luit en » même temps dans les deux hémisphères, il brille au>> tant sur nous la nuit que le jour; ce n'est point au >> dehors qu'il répand ses rayons, il habite en chacun » de nous. Un homme ne peut jamais dérober ses » rayons à un autre homme on le voit également en >> quelque coin de l'univers qu'on soit bien caché. Ce >> soleil ne se couche jamais, et ne souffre aucun »> nuage que ceux qui sont formés par nos passions: >> il éclaire les sauvages mêmes dans les antres les >> plus profonds et les plus obscurs; il n'y a que les >> yeux malades qui se ferment à la lumière, et encore » n'y a-t-il pas d'homme si malade et si aveugle, qui ne » marche encore à la lueur de quelque lumière sombre » qui lui reste de ce soleil intérieur des consciences. » Les hommes de tous les pays et de tous les temps se >>> sentent invinciblement assujettis à penser et à parler » de même. Le maître qui nous enseigne nous fait tous » penser de la même façon 1. » Le devoir de l'homme est de se recueillir pour voir toutes choses aux rayons de cette lumière; c'est d'écouter intérieurement le maître qui seul, à parler proprement, nous instruit, et sans lequel on n'apprend rien. Quelquefois il nous montre la vérité d'une manière si claire, que nous la voyons comme intuitivement, sans nul effort de notre esprit. Ce sont

1 Fénelon, Existence de Dieu, IIa part., no 58.—32.

les premiers principes dont nous venons de parler. Ils sont si clairs que nous les admettons sans preuve. Au surplus, quand on voudrait se les prouver, on n'y réussirait pas, parce que l'on chercherait inutilement d'autres notions plus simples et plus claires dont il fût possible de se servir comme d'un point de départ pour arriver à une démonstration. Si l'on croyait en trouver une, la difficulté se reproduirait tout entière; car on voudrait aussi se la démontrer, se prouver à soi-même que cette idée est vraie, et ainsi, pour me servir des expressions d'un auteur célèbre, on ferait des reculons à l'infini. Il faut donc avouer qu'il y a pour l'esprit humain une voie plus simple pour saisir la vérité, une voie qui précède tout raisonnement: c'est celle de l'évidence. Vous n'irez pas prouver à votre voisin qu'il fait jour en plein midi quand le soleil jette ses mille feux sur la terre, vous lui direz: ouvrez les yeux et voyez ; s'il n'est pas aveugle, il verra; de même en serait-il dans l'ordre intellectuel, par rapport à ces vérités premières dont nous parlons.

De ces vérités premières nous déduisons des conséquences, nous servant de ce que nous savons déjà, pour parvenir à des connaissances que nous n'avons pas; ce qui se fait quand, par l'opération de notre pensée, par une réflexion sérieuse, nous faisons ressortir d'une idée d'autres idées qu'elle renferme. Dans ces raisonnements, qui nous conduisent d'un principe aux conséquences plus ou moins éloignées, c'est toujours la même lumière intérieure qui nous dirige. Voilà pourquoi, toutes les fois que, par suite d'un raisonnement que nous avons bien conçu, on nous montre une conséquence nécessaire des principes admis, nous avons la conscience de la vé

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