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2. Ne perdons point ceci de vue. Une autre observation bien importante, c'est que la volonté est libre dans ses actes, et qu'elle en porte par conséquent toute la responsabilité. Nous ne parlons pas des actes qui se font sous la seule direction de l'instinct ou sous l'empire d'une émotion violente qui ne laisse pas à l'àme la possibilité de la réflexion; il y a bien toujours alors activité, mais ce n'est pas une activité libre telle que nous la concevons. La liberté morale consiste à se déterminer par son propre choix. Nous savons que nous sommes libres parce que nous en avons la conscience, et ce sens intime de la liberté est si inhérent à l'âme, que nous ne pourrions essayer de nous persuader le contraire sans aller contre notre nature et contre la conviction universelle et invincible de tous les autres hommes; nous ne réussirions même pas, car il ne nous est pas plus donné de douter si nous sommes libres que de douter si nous pensons ou si nous existons. Si quelqu'un vient par hasard vous soutenir que ce n'est qu'un préjugé, cet homme avance un système auquel il ne croit pas le moins du monde. Pourquoi, en effet, le voyez-vous réfléchir et délibérer avant de prendre un parti dans les affaires qui l'intéressent? D'où viennent ces calculs, ces hésitations, cette appréciation des avantages et des inconvénients? D'où vient cette fermeté à soutenir ses droits? Pourquoi ces plaintes contre ceux qui les auraient violés? Se conduirait-il ainsi, celui qui ne croirait pas à la liberté ?

Nul sophisme ne peut donc prévaloir contre le sens intime de la liberté heureusement pour l'individu, pour la famille, pour la société!... Si jamais l'idée du

fatalisme prévalait, elle anéantirait tout, jusqu'à l'idée du bien et du mal. Le vice, la vertu, ne seraient plus que des chimères; on ne comprendrait rien aux législations, qui toutes supposent la liberté d'observer ou de violer les lois. L'homme serait profondément dégradé dans sa pensée. On le dresserait comme une brute, on agirait sur son organisation physique; mais lui donner une idée morale, lui inspirer le sentiment du bien, ce serait impossible.

Pour prévenir quelques difficultés, observons que l'homme agit ordinairement, peut-être même toujours, sous l'influence de quelques motifs d'utilité ou d'agrément qui le déterminent, sans toutefois que ces motifs le nécessitent. A l'instant où il se détermine, il sent très-bien qu'il pourrait faire autre chose qu'il ne fait. On peut lutter contre des motifs, on le peut contre ses passions, contre le tempérament; l'expérience montre tout ce que l'éducation et une forte résolution peuvent sur les caractères les plus mauvais. Il peut y avoir des instants de surprise où la raison soit prévenue par un mouvement violent de passion qui ne laisse pas lieu à la réflexion, mais en dehors de ces circonstances fort rares dans le cours de la vie, quand l'âme conserve l'usage de ses facultés intellectuelles, quand elle est éclairée et qu'elle a la conscience d'elle-même, elle est libre. Celui qui, dans une situation pareille, sacrifie le devoir à la passion, commet une lâcheté; il pourra bien trouver dans ses passions une circonstance qui, jusqu'à un certain point, atténuerait sa faute, mais il sentira pourtant qu'il est coupable.

§ IV.

CONCLUSION DE CE CHAPITRE.

9

Des doctrines que l'on vient d'exposer sur la nature et les facultés de l'homme, ressortent deux conséquences, entre plusieurs autres : la première relative aux sceptiques, qui veulent que nous doutions de tout; la seconde relatives aux phrénologues, qui veulent que l'âme soit dans une dépendance absolue du corps.

10 Ce qu'il faut penser des sceptiques.

Il y a diverses sortes de sceptiques. Les uns voudraient que l'on doutât de tout, l'homme, selon eux, ne pouvant être certain de rien. D'autres n'admettent de vérités certaines que dans les mathématiques; d'autres enfin restreignent leur scepticisme à l'histoire, qui, selon eux, ne donne jamais que des probabilités.

1. Les sceptiques qui veulent douter de tout ne parlent pas sérieusement, ou bien ils ne connaissent pas la nature humaine; car, pour peu qu'ils l'eussent étudiée, ils auraient bien vu que le doute, le doute absolu est impossible. Il ne serait pas moins contraire au sens commun de dire que l'intelligence n'est pas faite pour connaître la vérité, que de soutenir que l'œil n'est pas fait pour voir, ni l'oreille pour entendre; mais si l'intelligence est faite pour connaître la vérité, comment prétendre que jamais elle ne peut s'assurer qu'elle la connaît effectivement? elle serait donc dans un état con

I.

tre nature? Il y aurait donc une fatalité qui condamnerait l'homme à vivre dans une continuelle contradiction avec lui-même ; il ne serait certain de rien, et cependant il est invinciblement assujetti à penser, à parler et à agir sur une infinité de points, comme s'il était certain. La vie serait un cercle d'illusions, le cœur serait desséché, puisqu'il ne saurait si ses affections se terminent à des fantômes ou à quelque chose de réel; la volonté serait sans force, puisqu'elle n'aurait aucun motif sur lequel elle pût compter; les liens de la famille et de la société se briseraient; quel devoir s'imposerait, quel lien croirait devoir respecter celui qui ne croirait à rien? Tout, en un mot, tomberait dans une sorte de chaos. « Si les paysans s'avisaient de douter de l'existence de >> leur bailli, disait Euler, ou les soldats de celle de leurs >> officiers, dans quelle confusion serions-nous plongés? >> De telles absurdités n'ont lieu que parmi les philoso>> phes; tout autre qui s'y livre doit avoir perdu le bon >> sens 1.

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Nous l'avons dit : le doute est impossible; l'homme a besoin de vivre, et il ne vit qu'à la condition de croire à quelques vérités. Ceux qui, dans leurs théories, préconisent le doute, pensent et agissent, dans la pratique, comme les autres hommes, ne doutant pas plus qu'eux d'une infinité de choses. Il y a contradiction chez eux, et même dans les raisonnements spécieux qu'ils font contre la certitude. Ne voient-ils pas, en effet, que soutenir comme ils font que nous ne pouvons parvenir à la certitude, c'est affirmer qu'il y a incompatibilité entre la

1 Lettre cxvii.

connaissance de la vérité et la nature de l'esprit humain; or comment osent-ils l'affirmer, tandis que, selon eux, il nous est impossible de rien affirmer? Dirons-ils qu'ils n'affirment pas, mais qu'ils doutent?... La contradiction ne sera pas moins choquante, car c'est encore une affirmation très-positive que de déclarer que l'on doute et qu'il faut douter. Peut-être seront-ils réduits à dire qu'ils doutent, s'ils doutent, ce qui serait avouer, en d'autres termes, qu'ils ne savent pas ce qu'ils disent.

Les philosophes sceptiques de ce siècle n'ont pas été plus heureux que leurs prédécesseurs pour éviter cette contradiction, qui seule suffit pour renverser leur système. Ils ont distingué des vérités relatives ou subjectives et des vérités absolues. Ils ont dit: Nos esprits conçoivent quelques idées comme fort claires, nos âmes éprouvent des impressions; il ne dépend pas de nous de concevoir les choses ni de sentir autrement. Mais si nos esprits avaient une autre nature, s'ils étaient dans une condition différente, ils verraient peut-être les mêmes idées tout autres, ils les jugeraient aussi fausses que dans l'état actuel ils les croient vraies... En raisonnant de la sorte, nos philosophes sont-ils du moins certains que leur esprit est affecté de ces idées, ou n'en sont-ils pas certains? Dans le premier cas, nous aurions, de leur propre aveu, une certitude absolue sur ce point. Il serait certain, dans un sens absolu, que ces messieurs pensent, qu'ils raisonnent. Or, s'il y a une certitude absolue sur ce point, pourquoi pas sur d'autres que l'on serait également forcé d'admettre, puisque le principe qui fait admettre la certitude dans un cas mène logiquement aux autres? S'ils nous disent qu'ils

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