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son passé, majestueuse de son avenir, sauver l'Europe jetée en proie à d'innombrables essaims de Barbares, et ressusciter le culte sacré des lettres, des arts et des sciences.

Le christianisme, fort et puissant, jetait au loin des racines profondes; toutefois, il n'était point encore cet arbre gigantesque dont l'ombre hospitalière devait plus tard abriter l'univers; mais lorsque, fécondé par une rosée céleste, il commençait à prendre de rapides accroissemens, voilà que le sol gronde et s'agite, que le fer menace ses racines, que la flamme pétille autour de lui. Tentatives inutiles! les rameaux émondés reverdissent plus vigoureux et plus vivaces, le tronc défiant la coignée, se dresse plus majestueux et plus fier, l'arbre fixé dans les profondeurs de la terre, élève un front sublime vers le ciel, et atteste l'impuissance des tonnerres et des foudres.

D'où venaient donc à la religion du Christ, ces persécutions et ces attaques? -Le judaïsme recueillant ses débris épars, la philosophie cherchant à rajeunir le paganisme décrépit, les sectes nées au sein même de l'Eglise : tels furent les ennemis que les Pères eurent à désarmer et à vaincre.

Les Juifs déicides avaient subi l'arrêt de la céleste vengeance, des malheurs inouis avaient pesé sur eux, et Jérusalem les avait vomis de son enceinte. Elle était tombée, la ville superbe qui

tuait les Prophètes et versait le sang du Juste, elle était tombée avec son temple, avec ses palais, et il n'était pas demeuré pierre sur pierre, ainsi que l'avait annoncé l'oracle de vérité. Forcés d'abandonner des lieux tout fumans encore de la foudre, les Juifs s'éloignèrent à regret d'une patrie marquée par tant de désastres et qu'ils ne devaient plus habiter jamais; indociles à de si terribles leçons, ils emportaient avec eux ces rêves d'une domination universelle, cette attente d'un Messie conquérant, ces chimères d'une félicité terrestre; parfois ils se retournaient pour contempler encore les débris de leur cité, mais une irrésistible puissance semblait les pousser vers l'exil. Ils voyaient les peuples se détourner à leur passage, les cœurs se resserrer pour eux, et le glaive romain précipiter leur marche. La plupart promenèrent sur tout le globe leurs infortunes et leurs espérances; quelques-uns se fixèrent dans les lieux où jadis leurs ancêtres avaient été captifs; d'autres s'arrêtèrent sur les rives de la mer Rouge, vénérable retraite des Esséniens. D'autres adoucissant l'exil par l'étude des livres sacrés, fondèrent l'école de Tibériade et commencèrent à réduire en système ces rêveries cabalistiques, empruntées aux doctrines de l'Orient.

Mais, au milieu de leurs vastes douleurs, ce qui venait ajouter encore à l'amertume de leurs pensées, c'était de voir se propager avec une ef

frayante rapidité un culte odieux dont l'influence était si funeste à eux tous; de voir glorifié parmi les peuples ce novateur que leurs pères avaient flétri d'un infâme supplice; de voir Jéhovah, le Dieu de Sion, réserver aux disciples du Christ toutes les faveurs dont il était jadis si prodigue, pour eux la nation choisie, pour eux les fils d'Abraham et d'Israël!

Alors des torrens de haine bouillonnaient dans leurs cœurs, des pensées de vengeance fermentaient dans leurs ames; ils vouaient aux atrocités de la mort ces Chrétiens nouveaux-venus qui semblaient les déposséder de leurs droits antiques et les déshériter des magnifiques promesses du Sinaï; ils applaudissaient aux persécutions dirigées contre ces importuns rivaux; ils s'enivraient du spectacle de leurs supplices, ils se délectaient à voir couler leur sang, irrités de n'en avoir pu tarir la source au sommet de Golgotha; et plus d'une fois des mains juives allumèrent le bûcher, aiguisèrent l'épée, préparèrent les tortures qui devaient assurer le triomphe à de nombreux martyrs et enfanter une nouvelle race de Chrétiens.

Les siècles ont emporté la plupart des livres écrits en haine du christianisme, l'histoire non plus n'a pas transmis jusqu'à nous les attaques des Juifs contre le Christ et son culte; toutefois, l'on peut conjecturer que, au milieu de cette agitation des puissances, terrestres, quand les

princes s'épuisaient en efforts superflus, quand les nations frémissaient, quand les peuples méditaient de vains complots, l'on peut conjecturer que les Juifs vinrent grossir, eux aussi, cette ligue universelle. Quelques ouvrages des Pères, datés de cette époque, semblent confirmer cette opinion; car il n'est pas à présumer que, harcelés déjà de toutes parts, les orateurs chrétiens si tolérans alors et si inoffensifs, eussent provoqué sans cause des adversaires paisibles et silencieux.

Ah! qui nous eût donné d'assister à une de ces controverses privées qui parfois devaient s'engager entre les deux sectes rivales! — D'un côté, le Juif, tout fier de son passé, se reportant par le souvenir aux jours glorieux de ses pères, et déroulant dans sa pensée les grandes œuvres de Jéhovah, puis contemplant d'un œil sombre et mélancolique les lieux où avait été sa patrie, et comme l'Archange déchu, soulevant contre le ciel un front cicatrisé par la foudre. — D'un autre côté, le Chrétien né d'hier et comptant partout des frères, le Chrétien paraissant dans l'arène plein d'une humilité douce et d'une modestie sans fard, portant sur le front l'assurance de la victoire, et semblant en quelque sorte entrevoir dans l'avenir les triomphes réservés à la cause du Christ sur les traits du Juif, vous lisez le courroux voilé par l'ironie; sur les traits du Chrétien respire je ne sais quoi de sympathiquement

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débonnaire; — le premier se fie à des livres qu'il n'entend plus, et qui sont contre lui; le second s'appuie sur des prodiges récens encore et que le monde ne saurait contester; - le premier s'est fait le champion d'une cause qui a vécu son âge et qui s'en va mourante; — le second s'érige en défenseur d'une croyance toute palpitante de jeunesse et qui déjà touche à sa virilité, immortelle qu'elle doit être à jamais. Ce qu'il salue de ses adorations et de sa foi, le Chrétien, c'est un astre qui se lève dans sa pompe radieuse pour éclairer un jour sans fin; -ce qu'il voudrait ressusciter, le Juif, c'est un soleil plus qu'à demivoilé par de noires ténèbres, c'est une lumière éclipsée qui ne laisse plus entrevoir dans un terne horizon que de pâles et lugubres reflets!

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Une fois l'astre éteint, ils n'en ont pas moins poursuivi leur route au milieu des ténèbres; ils ont traversé en tout sens le monde épouvanté. Ils marchaient à l'aventure, là où les conduisaient leurs pas errans; semblables à ces malades que le sommeil ne saurait enchaîner, ils allaient, voyageurs endormis, à travers les générations qui s'agitaient bruyantes, sans pouvoir les distraire d'un rêve si long-temps continué! Parfois leurs yeux entr'ouverts semblaient se détourner d'une vision importune : c'était la croix, spectre effrayant, qui leur apparaissait terrible; on les voyait tâtonner et chercher, mais à peine saisi, le fantôme dis

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