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ont-ils abandonné leur poste à l'heure du danger? Toi, rhéteur, tu ne me jettes que des mots; eux, ils me donnent des exemples! Tes périodes sonores ne font que m'effleurer; eux, ils me remuent et me transportent. Veux-tu me toucher aussi, laisse - là tes prétentions oratoires, et offremoi dans la personne un modèle que je puisse imiter! Et puis, si vous le voulez, mettons les œuvres dans la balance : dites-moi donc ce qu'ils ont fait de si merveilleux, les orateurs de Rome ou d'Athènes; citez-moi un seul homme que le verbiage d'Isocrate ou de Cicéron ait jamais rendu meilleur; montrez-moi des sociétés régénérées, des nations entières entraînées, subjuguées comme par un ascendant irrésistible; moi, l'histoire en main, je pourrais vous les peindre ces hommes que vous ne rougissez pas de vouer à un dédaigneux et insultant oubli, je pourrais vous les peindre s'associant par l'éloquence à tout ce qu'il y eut jamais dans l'humanité d'efforts utiles ou d'élans généreux, apparaissant au milieu des crises sociales, comme les sauveurs de la civilisation revendiquant ces hautes et larges pensées dont vous êtes si fiers, et réclamant leur part de coopération à cet avenir de merveilles dont vous croyez entrevoir déjà l'aurore. Je vous le demande, où en était l'Europe avant l'éloquence chrétienne? et même, une fois le monde romain reconquis sur les Barbares, où en était l'Allemagne

aujourd'hui si grande en savoir et en philosophie? où en était la Pologne si prodigieuse toujours et naguère encore si imposante? où en était l'Amérique si avancée maintenant qu'elle semble marcher en tête de notre vieille Europe? où en sont les peuples chez qui la voix de l'Evangile n'a point encore retenti ou bien a cessé de se faire entendre? Et si l'Asie, si l'Afrique elle-même paraît enfin secouer son long sommeil de mort, à quoi faut-il l'attribuer, sinon aux germes de vie que déposa l'éloquence chrétienne dans ce sol inerte et abâtardi? Si le catholicisme semble refleurir de nos jours et reprendre racine au cœur de la génération présente, encore une fois, c'est à la même cause qu'il faut attribuer ce mouvement salutaire, c'est que l'éloquence chrétienne a des ressources admirables pour arriver au coeur et des armes puissantes pour opérer la conviction. Quel autre a su mieux qu'elle nous parler de l'Etre inénarrable et soulever le voile qui dérobait aux regards les divins attributs? Quel autre avait de plus hauts mystères à raconter, de plus nobles exemples à redire? quel autre avait de plus sublimes espérances à proclamer, de plus larges enseignemens à répandre, de plus hautes maximes à propager? quel autre avait mieux sondé la nature humaine, mieux étudié ses penchans, mieux approfondi ses besoins, mieux connu la portée de ses désirs? quel autre enfin s'était proposé un but plus géné

reux, celui d'inculquer à l'homme cet admirable précepte: Aime tes semblables!

Honneur donc à ces génies qui se sont faits les échos du Verbe et les continuateurs de son œuvre! honneur à ces héros de la parole qui combattirent les abus, qui fondèrent l'empire de la vérité, qui vainquirent les royaumes par la foi, qui assurèrent le triomphe de la raison et acheminèrent le monde vers une voie de perfectionnement! Gloire au christianisme qui féconda leurs pensées et jeta dans leurs ames les germes de cette éloquence si pleine de vie, de mouvement et de chaleur!

Voilà quelles hautes et consolantes pensées ont nourri bien souvent notre jeunesse triste et orageuse. La littérature classique nous paraissait froide et vieillie, celle de notre âge trop dévergondée, trop dénuée de sentiment et de foi. On le sait bien, c'est le caractère de l'époque où nous sommes qui marque la littérature de ce sceau de fatalisme et de désespoir. Après quarante années d'une révolution qui avait promis de réédifier l'Europe, et qui n'a su que faire des ruines, les esprits, revenus des décevantes promesses de la philosophie,

ayant perdu leur foi en ce guide trompeur qui les a égarés d'erreur en erreur et d'abîme en abîme, s'arrêtent éperdus et tremblans au milieu d'immenses débris, et sur les tronçons des trônes, des institutions, des mœurs et des empires, ils se prennent à désespérer de l'humanité.

S'il était permis de rapprocher deux époques qui, malgré les siècles qui les séparent, ont leur analogie, ne pourrait-on pas dire qu'il y a une sorte de ressemblance entre la destruction matérielle du vieux monde romain et la destruction morale qui a bouleversé le monde moderne jusque dans ses fondemens? En écoutant ce long gémissement, ce cri de désolation que pousse notre littérature, ne vous semble-t-il point être revenu à ce jour de misère ou au milieu des invasions de Barbares qui, maîtres de dix-sept provinces des Gaules, chassaient devant eux comme un troupeau, sénateurs et matrones, maîtres et esclaves, hommes et femmes, jeunes garçons et jeunes filles? Un captif, poète et chrétien, cheminant derrière les chariots et les armes, demandait au ciel, « pourquoi la terre était déserte, pourquoi << les villes détruites, pourquoi les champs sans <«< culture, pourquoi Dieu avait laissé envelopper « dans la ruine générale et ses saintes églises et << tant de jeunes enfans, dont l'âge était incapable « de pécher (1). >> Ne vous rappelez-vous point

(1) Châteaubriand, Études historiques, t. 1. p. 235.

saint Jérôme peignant les cités dévastées, les hommes égorgés, les animaux eux-mêmes disparaissant du sol, et la terre se couvrant d'épaisses forêts et de ronces? Ne croyez-vous pas entendre le cantique de ces exilés que Gildas nous montre, dans son histoire, gagnant les contrées d'outremer, et chantant avec de grands gémissemens sous les voiles : « Tu nous as, ô Dieu! livrés comme << des brebis pour un festin, tu nous as dispersés

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parmi les nations! » Dans ce temps-là, comme dans le nôtre, toute voix qui s'élevait était pleine de tristesse, toute parole était une lamentation. Les Bretons écrivaient à Aétius une lettre qui portait cette suscription mélancolique : «< A Aétius, <«< trois fois consul, le gémissement de la Bre« tagne. » Et du haut de sa chaire, saint Augustin s'écriait, en parlant du sac de Rome : « D'horribles << nouvelles se sont répandues, carnage, incendie, rapine, extermination. Nous gémissons, nous pleurons, et nous ne pouvons être consolés! » C'est que la grande époque de destruction matérielle doit avoir avec la grande époque de destruction morale, une mystérieuse, mais réelle analogie; c'est que les esprits sont sous le poids des événemens qui les entourent, c'est que voyant une seconde fois le monde emporté dans des régions inconnues, ils ne trouvent plus que des accens tristes et des pensées sombres comme la situation. Et ne nous plaignons pas trop de cet état de notre

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