Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

littérature. Le désespoir est plus près qu'on ne croit du repentir, le fatalisme de la croyance : ces deux nuances sont la transition de la philosophie à la religion.

Animés par ces considérations, nous nous mîmes à feuilleter les Pères, et nous y trouvâmes ce que nous cherchions inutilement ailleurs. Nous ne saurions peindre tout ce que nous ont procuré de plaisir ces lectures faites en commun, dans les longues soirées d'hiver, près d'un foyer ami, à l'heure où la pensée est plus mystérieuse, plus expansive. Salvien nous parut celui de tous qui avait le plus de rapport avec notre époque de crise et de transition; nous commençâmes à le traduire, et voici que nous l'abandonnons au public.

Salvien dit clairement qu'il était né dans les Gaules (1), mais on ne trouve rien de bien précis, ni pour l'année ni pour le lieu de sa naissance; seulement, la suite de sa vie fait voir qu'il doit être né quelques années avant la fin du IVe siècle, ce que Tillemont (2) rapporte à l'an 390. On peut inférer aussi de ses ouvrages qu'il était de Cologne, et issu d'une famille qui tenait un rang considérable dans les Gaules. Si la ville de Trèves ne fut point la patrie de Salvien, comme cela est manifeste par ses œuvres, on conjecture du moins avec

(1) De Gubernatione, t. 1, livre vi, p. 368 de notre édition. (2) Hist. Ecc., t. xvi, p. 182.

vraisemblance qu'il y fut élevé, ou qu'il y fit dans sa jeunesse une assez longue résidence; les écoles de cette ville étaient encore célèbres à la fin du IVe siècle. Salvien fit de grands progrès dans les lettres et dans les sciences cultivées à cette époque. Il était très-jeune quand il épousa Palladia, fille d'Ypatius, que son père avait formée aux croyances du paganisme. De ce mariage naquit une fille nommée Anspiciola. Ypatius était engagé dans les ténèbres de l'idolâtrie, dont il sortit néanmoins pour suivre les lumières de l'Evangile. Peut-être Palladia était-elle d'abord païenne elle-même comme son père, mais elle eut depuis le bonheur d'embrasser la religion de Jésus-Christ et de garder la continence. Car, Salvien ne se contentant pas d'être simplement chrétien, voulut aspirer encore à la perfection du christianisme. Frappé sans doute de l'exemple admirable de saint Paulin et de Thérasie, qui depuis peu avait fait tant de bruit dans l'Eglise, et de celui de saint Eucher et de Galla, que Salvien avait alors sous les yeux, il proposa à Palladie de les imiter. Palladie fut docile, et consentit à devenir la sœur de celui dont elle était l'épouse.

Le nouveau genre de vie des deux jeunes époux irrita Ypatius, quoique déjà chrétien, par la considération peut-être que la continence qu'ils venaient d'embrasser, tendait à l'extinction de sa race. On ne saurait dire si ce fut pour se dérober

à sa colère, ou pour vivre dans la solitude, ou bien à cause des incursions des Barbares qui ravageaient les Gaules dès 407, que Salvien et Palladie s'en allèrent dans un pays éloigné d'Ypatius. Ils y vécurent près de sept ans entiers, sans y recevoir une seule lettre de lui, quoiqu'il ne lui eussent donné aucun sujet de mécontentement. Salvien, pour l'apaiser, lui écrivit une lettre que le temps nous a conservée : c'est un chef-d'œuvre de la plus pathétique éloquence. Cherchez dans les lettres de Cicéron à ses Amis, dans ces lettres de Pline si péniblement élaborées pour la gloire et la postérité, vous ne trouverez jamais rien qui vaille ces paroles si douces et si pénétrantes.

Salvien écrivit avec sa femme; ce fut dans la vue de certifier à Ypatius qu'ils étaient ensemble, afin qu'il n'eût rien à craindre de ce côté-là.

[ocr errors]

<< Nous ignorons, dit-il, si vous êtes également «< irrités contre nous, mais dans la conjoncture présente, nous ne saurions être divisés. Notre «< crainte à tous deux est la même, quoique l'of<«<fense ne soit pas la même néanmoins; car, ne << fussiez-vous pas irrités peut-être contre tous << deux, l'affection mutuelle qui nous unit fait cependant que, l'un de nous étant regardé comme coupable, l'autre aussi ne peut s'empêcher d'é<< prouver de la tristesse en pensant à la faute.<< Parens chéris, parens vénérables, souffrez, de grâce, que nous vous interrogions. Des enfans

«

[ocr errors]

7

« si aimans, peuvent-ils donc n'être pas

[ocr errors]
[ocr errors]

aimés ?

Que notre conversion vous ait irrité, lorsque << vous étiez encore païen, nous n'en avons pas été

[ocr errors]

surpris; la dissimilitude de goût dut faire sup<< porter alors la différence de volontés.

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

Au

jourd'hui, il en est bien autrement. Depuis que << vous avez embrassé le culte de Dieu, vous avez prononcé en ma faveur. Pourquoi vous fâcher «< contre moi si je cherche à perfectionner en mon «< cœur une religion que vous avez déjà commencé d'approuver en vous-même. -Avez-vous d'au<< tres motifs de plainte, je suis loin de dire que je n'ai pu vous offenser; mais à présent que << votre colère vient de ce que je parais aimer le « Christ, pardonnez ce que je vais dire. Je réclame, « à la vérité, votre indulgence, mais je ne puis << avouer que c'est mal, ce que j'ai fait. »

[ocr errors]

Salvien s'adressant ensuite à sa femme:

<< Toi maintenant, ô tendre et vénérable sœur, remplis et ton rôle et le mien. Prie, toi, afin << que j'obtienne. Demande, toi, afin que tous deux <«< nous gagnions notre cause. Conjure-les donc,

et dis-leur en suppliante : Qu'ai-je fait? qu'ai-je « mérité? Pardonnez, quoi que ce puisse être. Je « réclame indulgence, sans connaître ma faute. << Jamais, comme vous le savez, je ne vous offen<< sai ni par manque de respect, ni par insoumis<«< sion; jamais je ne vous blessai d'une parole

amère; jamais je ne vous outrageai d'un regard

<< insolent; par vous j'ai été livrée à un homme; « par vous, engagée à un mari. -- Vous m'ordon<«< nâtes, s'il m'en souvient bien, d'être avant <<< toutes choses, soumise à mon époux. Il m'a en« traînée dans sa religion, il m'a invitée à la con<< tinence. Pardonnez ; j'ai cru qu'il serait honteux << de résister; la chose m'a paru honnête, pudique <«<et sainte. Je me jette à vos genoux, parens << bien-aimés; moi, votre Palladie, votre chérie, « votre petite reine; moi avec qui vous badiniez << en m'adressant jadis, dans votre indulgence << affectueuse, ces termes de caresse. La voilà <«< celle par qui vous advinrent pour la première <<< fois et les noms de parens, et les joies d'aïeuls. »

Salvien ajoute qu'il va parler au nom de sa fille.

[ocr errors]

<< Nous ne vous offrons point une enfant in« connue, mais un gage domestique. C'est une <<< triste et malheureuse condition que la sienne, puisqu'elle n'a commencé de connaître ses <«< aïeuls que depuis la disgrâce de ses parens. << Prenez pitié de son innocence; laissez-vous flé<< chir aux droits du sang; elle est déjà contrainte << en quelque sorte de supplier pour les siens, << elle qui ne sait pas ce que c'est qu'une faute. »>

On ignore quel fut le succès de cette lettre; et depuis ce temps-là l'histoire ne dit plus rien ni d'Ypatius, ni de Quieta, ni de Palladie, ni même

« ZurückWeiter »