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religieux. Mais c'est surtout quand il parle contre les spectacles que son éloquence grandit et s'élève, qu'il est vif, impétueux, ardent et passionné. Les Pères de l'Eglise grecque et latine ont traité souvent le même sujet, mais aucun d'eux, ce me semble, n'est supérieur à Salvien. Je me contenterai de reproduire ici un seul passage; il s'agit de la ville de Trèves, prise et saccagée quatre fois par les Barbares. Or, les habitans de cette malheureuse cité, dans ce désastre immense, demandaient aux empereurs le droit d'ouvrir le théâtre et le cirque, afin de recommencer les jeux, interrompus par la présence et l'invasion de l'ennemi. C'est à ce propos que Salvien s'écrie:

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<< Des cirques, habitans de Trèves, voilà donc << ce que vous demandez, et cela quand vous avez << passé par les dévastations et les saccagemens, « et cela, après les désastres, après le sang, après << les supplices, après la captivité, après tous les << malheurs d'une ville tant de fois renversée ! quoi de plus déplorable qu'une telle folie! quoi << de plus douloureux qu'une telle démence! Je l'avoue, je vous ai regardé comme bien dignes « de pitié, lorsque vous avez eu votre ville dé<< truite; mais je vous trouve bien plus à plaindre, lorsque vous demandez des spectacles. Car, je pensais que dans ces désastres vous n'aviez per<«< du que vos biens et vos fortunes, j'ignorais que << vous y aviez perdu aussi le sens et l'intelligence.

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« Vous voulez donc des théâtres, vous demandez << donc un cirque à vos princes? Pour quelle situa«<tion, je vous prie, pour quel peuple, pour « quelle ville? pour une ville en cendre et anéan« tie, pour un peuple captif et massacré qui n'est plus ou qui pleure; dont les débris, s'il en est << toutefois, ne sont qu'un spectacle d'infortune; << pour un peuple abîmé dans la tristesse, épuisé << par les larmes, abattu par des pertes doulou<< reuses, devant lequel vous ne savez dire de qui <«<le sort est le plus déplorable, des morts ou des vivans; car l'infortune de ceux qui restent est si grande, qu'elle surpasse le malheur de ceux qui << ne sont plus.

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<< Tu demandes donc des jeux publics, habitant « de Trèves? Où les célébrer de grâce? sur les << bûchers et les cendres, sur les ossemens et le << sang des citoyens égorgés? quelle partie de la << ville ne présente encore l'aspect de ces maux? «< où ne trouve-t-on point de sang répandu? où << ne trouve-t-on point des cadavres gisans? où << ne trouve-t-on point des membres déchirés et << en lambeaux? Partout le spectacle d'une ville prise, partout l'horreur de la captivité, partout

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l'image de la mort. Ils sont étendus, les restes «< infortunés du peuple sur les tombeaux de leurs <«< morts, et toi, tu demandes des jeux! La ville << est noire d'incendie, et toi, tu te fais un visage << de fête! tout pleure, et toi, tu es joyeux! Ce n'est

<< pas tout, tu provoques Dieu par des plaisirs in<«< fâmes, et tu irrites la colère divine par de crimi<<< nelles superstitions. Je ne m'étonne plus, certes, << non, je ne m'étonne plus qu'il te soit arrivé tant << de malheurs consécutifs; car, puisque trois renversemens n'avaient pu te corriger, tu as mérité de périr au quatrième (1). »

Cette quatrième ruine de Trèves arriva en 455; ainsi, le livre De la Providence ne fut pas achevé plus tôt. Quant au traité de l'Avarice, on croit qu'il fut écrit vers l'an 440; il est au moins certain qu'il le fut avant l'ouvrage sur la Providence, où il se trouve cité sans le nom de son auteur (2).

Le troisième et dernier écrit qui nous reste de Salvien, est un recueil de neuf lettres adressées à diverses personnes, mais qui ne sont apparemment que la moindre partie de celles qu'il a écrites du- . rant le cours d'une longue vie. Gennade (3) en marque un volume entier, qui sans doute contenait plus de neuf lettres. Celles que nous avons sont toutes écrites avec beaucoup d'élégance, et donnent bien lieu de regretter la perte des autres. Salvien avait encore composé un Traité de l'avantage de la virginité, un poème (Hexameron) sur la création,

(1) Livre vi, p. 379.

un Commentaire sur

(2) Hist. litt. de France, t. II, p. 522. Dupin, Bibliothèque des auteurs ecclésiastiques, t. v, p. 516.

(3) Vir. ill. c. 67.

le livre de l'Ecclésiastique ou celui de l'Ecclésiaste, et enfin des Homélies dont Gennade avoue qu'il ne sait pas le nombre.

Le style de Salvien est étudié et poli, mais net et clair; il serait difficile de trouver un discours plus orné, plus coulant, plus diversifié, plus agréable. La physionomie de ce Père nous semble grave, sérieuse et mélancolique; les grandes catastrophes dont il fut témoin durent aisément faire naitre en lui cette empreinte particulière. Ce qui le rend intéressant, c'est le zèle qu'il fait paraître pour la gloire de Dieu et pour le salut des hommes. Il n'est rien qu'il ne mette en œuvre afin de leur rendre la vertu aimable, de les détourner du vice et de les ramener à la piété. Il les presse par des témoignages empruntés à l'Ecriture et quelquefois aux auteurs profanes, par la vue de leur propre intérêt et par les motifs de reconnaissance envers le Créateur. Les raisonnemens qu'il oppose aux vains prétextes des impies sont solides, et plus d'une fois nous nous sommes pris d'admiration en face de la logique forte et puissante qu'il déploie avec tant de magnificence. Le côté faible de Salvien, le défaut réel de'son génie, c'est la diffusion, mais en certains endroits seulement, et lorsqu'il est trop plein de son sujet. Il vous prend alors sa pensée, la tourne et la retourne, sans pouvoir la vêtir d'autres termes, la rendre différente d'ellemême. C'est à effaroucher le traducteur le plus intrépide.

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Quoiqu'il en soit de cette observation, il y a tant de richesses dans ses ouvrages, tant de pages savantes et magnifiques; le traité de la Providence en particulier, est si «< remarquable comme tableau « de l'état social et des mœurs de l'époque (1) où il vivait, que Salvien sera toujours placé au rang des hommes qui ont le plus honoré et l'Eglise de Jésus-Christ et l'empire des lettres.

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Et néanmoins des écrits aussi importans que les siens manquaient en librairie depuis un siècle; la dernière édition qui en ait été donnée est de 1684. Nous avons donc cru faire chose louable et utile, en venant les offrir, imprimés avec soin, à un public, léger peut-être, insoucieux, et qui n'aura cure ni de notre zèle, ni de nos veilles, ni même de notre argent. Mais, nous le savons, à côté des indifférens, il se cache quelques ames privilégiées, quelques hommes d'un autre âge, quelques Nodiers, qui apprécient tout ce qui se fait dans l'intérêt des lettres : c'est auprès de ceux-là que nous espérons avoir accès; un encouragement de leur part sera toute notre récompense.

Nous avons suivi, dans notre version, ce système de scrupuleuse et élégante fidélité, que les Lamennais et les Villemain ont essayé avec un si rare bonheur; nous avons cherché à reproduire, autant qu'il était en nous, toute la mâle énergie,

(1) Guizot, Cours d'hist. mod., t. 1, p. 163.

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