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le Carême en 1662. Mascaron avoit aussi précédé Bourdaloue dans la carrière. Mais, par une singularité remarquable, les sermons de Senault et de Mascaron n'ont point été publiés. On n'a les sermons de Lingendes qu'en latin, et ceux de Bossuet ne sont que des esquisses, si on excepte le beau discours sur l'unité de l'Eglise.

« Qu'étoit-ce parmi nous que l'éloquence de » la chaire, dit l'abbé d'Olivet, avant que les » Bourdaloue eussent fait préférer à tout le reste » la raison mise dans tout son jour ? c'étoit >> mettre ensemble beaucoup de pensées mal >> assorties, souvent frivoles, et les énoncer avec » de grands mots (1). »

il

Ainsi Bourdaloue passe, avec raison, pour le véritable réformateur de la chaire; et, s'il n'est pas le premier qui l'ait purgée de ses défauts, a fait plus, il a créé l'éloquence et l'art de la prédication; si, dans l'art oratoire, il n'a point débrouillé le chaos, il y a créé la lumière. Il a done surpassé tous ceux qui l'avoient précédé ; il n'a été surpassé par aucun de ceux qui l'ont suivi; et Massillon seul a mérité l'honneur de lui être comparé.

Bourdaloue avoit exercé en province le ministère de la parole pendant quelques années, avec un grand succès, lorsqu'il fut envoyé par ses supérieurs dans la capitale, où sa renommée l'avoit déjà précédé. Il prêcha d'abord avec un

(1) Hist. de l'Acad. française, Paris, 1730, tom. 2,

p. 172.

éclat extraordinaire dans l'église de la Maison professe. Une foule prodigieuse accourut pour l'entendre. Son auditoire se composa bientôt de ce qu'il y avoit de plus distingué à la cour et à la ville. Egalement goûté des grands, du peuple et des savans, sa réputation croissoit d'un sermon à l'autre ; et plus on l'entendoit, plus on vouloit l'entendre encore. Il commença sa carrière comme d'autres auroient voulu finir la leur.

Il prêcha devant Louis XIV l'Avent en 1670, et le Carême en 1672. Il fut redemandé pour les Avens de 1684, 1686, 1689, 1693, et pour les Carêmes de 1674, 1675, 1680 et 1682. C'étoit une chose inouïe. Rarement le même prédicateur étoit appelé trois fois à la cour, et Bourdaloue y parut dix fois avec le même succès. Louis XIV avoit manifesté le désir de l'entendre tous les deux ans, aimant mieux, disoit-il, ses redites que les choses nouvelles d'un autre.

<< Jamais prédicateur, dit Mme de Sévigné, > n'a prêché si hautement et si généreusement » les vérités chrétiennes.... Le P. Bourdaloue » frappe toujours comme un sourd, disant des » vérités à bride abattue, parlant à tort et à » travers contre l'adultère; sauve qui peut : il va > toujours son chemin. » Louis XIV lui dit un jour : Mon père, vous devez étre content de moi; Mme de Montespan est à Clagny.--Oui, sire, répondit Bourdaloue; mais Dieu seroit plus satisfait si Clagny étoit à soixante-dix lieues de Versailles. On prétend que M. de Montespan

disoit de Bourdaloue qu'il préchoit assez bien pour la dégoûter de ceux qui préchoient, mais non pas assez bien pour remplir l'idée qu'elle avoit d'un prédicateur. C'étoit se montrer bien difficile. Peut-être quelque secrète inquiétude la troubloit-elle, ou quelque dépit mal déguisé la faisoit-il parler ainsi.

On a prétendu que Bourdaloue osa, dans le temps où Louis XIV aimoit Mme de Montespan, rappeler en chaire à ce prince l'adultère de David avec Bethsabée, et qu'il passa les bornes du ministère évangélique en adressant au monarque ces paroles du prophète Nathan à David: Tues ille vir. Mais cette anecdote est controuvée; Bourdaloue savoit, pour me servir des expressions d'un philo sophe académicien, qui n'a pas toujours lui-même suivi le précepte qu'il donne, que l'orateur chrétien doit se contenter de frapper à la porte des rois, et ne doit jamais la briser (1). Si Bourdaloue eût osé tenir un tel langage à son souverain, il eût mérité de s'entendre adresser ce mot de Louis XIV à un prédicateur qui, dans un sermon prononcé en sa présence, l'avoît désigné : Je prends volontiers ma part du sermon, mais je n'aime pas qu'on me la fasse (2).

(1) D'Alembert, éloge de Massillon.

(2) On est étonné de voir M. Anquetil, chanoine rêgulier, rapporter comme authentique, dans son livre intitulé, Louis XIV, sa cour et le Régent, cette prétendue apostrophe de Bourdaloue au monarque: Tu es ille vir. L'historien génovéfain n'est en général ni assez exact, ni assez circonspect.

i

:

Les succès du P. Bourdaloue surpassoient encore à Paris ceux qu'il obtenoit à Versailles. Mme de Sévigné ne parle de ses sermons en général qu'avec enthousiasme On dit qu'il passe toutes les merveilles passées et que personne n'a préché jusqu'ici; et, rendant compte d'un de ses sermons qu'elle venoit d'entendre: Cela fut porté au point de la plus haute perfection, et certains points furent poussés comme les auroit poussés l'apótre saint Paul.

On peut juger, par le trait suivant, de l'em་ pressement extraordinaire qu'on mettoit à l'écouter. Il devoit prêcher une passion que Mme de Sévigné avoit entendue l'année précédente, aux Jésuites, avec MTM de Grignan : Et c'étoit pour cela, dit-elle, que j'en avois envie; mais l'impossibilité m'en óta le goût. Les laquais y étoient dès mercredi, et la presse étoit à mourir,

Cette dame si aimable et si spirituelle, qui fut le modèle des mères, la gloire de son sexe, et qui vécut dans le monde en remplissant tous les devoirs de la religion, se servoit d'une expression. singulière, et qui peint bien la réputation popu laire dont jouissoit le célèbre prédicateur; elle disoit à sa fille : Je m'en vais en Bourdaloue, comme elle auroit dit : Je m'en vais en cour.

C'est encore Mme de Sévigné qui rapporte l'anecdote suivante: « Le maréchal de Grammont >> étoit l'autre jour si transporté de la beauté » d'un sermon du P. Bourdaloue, qu'il s'écria » tout haut, en un endroit qui le toucha;

» Morb...! il a raison. Madame éclata de rire, » et le sermon en fut tellement interrompu, » qu'on ne savoit ce qui en arriveroit.

»

La vertu de Bourdaloue égaloit son beau talent. Il étoit admiré de tous ceux qui l'entendoient, respecté même de ceux qui ne cherchoient point à l'entendre. Sa conduite, disoit un de ses contemporains, est la meilleure réponse que l'on puisse faire aux Lettres provinciales. Il prêchoit un carême à Saint-Sulpice. Un jour que le grand Condé s'y étoit rendu, on causoit dans l'église avant que l'orateur montât dans la chaire sacrée, et comme le concours du peuple étoit grand, le bruit l'étoit aussi. Dès le prince aperçut Bourdaloue, il s'écria: Voici les ennemis! et le silence et l'ordre furent soudain rétablis, autant par le respect qu'inspiroient sa présence et l'autorité de sa vertu, que par l'empressement de l'entendre.

que

Bourdaloue fut jugé par ses contemporains comme il l'a été dans le dix-huitième siècle, et comme il l'est de nos jours. La Bruyère, dans ses Caractères, le comparoit à Cicéron; le P. Sanlecque l'appeloit le Chrysostome français (1); Boileau le proclamoit dans ses vers le plus grand

orateur.

Dans le siècle suivant, d'Aguesseau (2) préfère

(1) Dans sa Satire contre les directeurs, adressée à Bourdaloue.

(2) Dans les Instructions sur les études propres à former un magistrat. Voyez le tom. 1 de ses œuvres, in-4°.

Bourdaloue

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