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LIVRE LXXVIII

MAZARIN, SUITE ET FIN.

LE TRAITÉ DES PYRÉNÉES. Désordre financier. Suite de la guerre contre l'Espagne et de la lutte entre Turenne et Condé. Belles campagnes de Turenne. Défaite des Espagnols devant Arras. Prise du Quesnoi. Prise de Landrecies. Échec de Valenciennes. Alliance avec Cromwell. Prise de Montmédi. Victoire des Dunes. Dunkerque pris pour le compte de l'Angleterre. Prise de Gravelines. Invasion des Flandres. Les Français établis aux portes de Bruxelles. - Succès diplomatiques de Gramont et de Lionne en Allemagne. ALLIANCE DU RHIN, ou confédération de l'Allemagne occidentale sous la protection de la France. — L'Espagne demande la paix et offre l'infante Marie-Thérèse à Louis XIV. Louis XIV et Marie Mancini. Traité des Pyrénées. L'Artois, le Roussillon, une partie du Hainaut, plusieurs places de la Flandre et du Luxembourg sont cédées à la France. Mariage du roi. - MORT DE MAZARIN. Louis XIV annonce la résolution de gouverner par lui-même,

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Le ministère de Mazarin entrait dans sa troisième phase. La première avait montré un pouvoir modeste à son origine, rapidement grandi, puis arrêté, au milieu de ses plus brillants succès, par la violente explosion des éléments contraires; dans la seconde, on avait vu la lutte adroite et opiniâtre, les revers supportés avec persévérance, la victoire enfin. La troisième sera la période du pouvoir incontesté, la période où l'homme va se déployer librement avec ses qualités et ses défauts, sans que rien puisse entraver l'action des unes ni obliger à déguiser les autres.

Le gouvernement, après la Fronde, fut, bien plus complétement et plus ostensiblement qu'auparavant, personnifié dans un homme. Mazarin ne fut plus le ministre de la régente, mais le ministre du roi, et ne se cacha plus derrière Anne d'Autriche. La reine mère avait si bien répété à son fils que le cardinal était l'unique appui de la royauté contre l'ambition des princes et les

prétentions factieuses du parlement, que le jeune roi était plus à son ministre qu'à sa mère, et qu'Anne aurait eu maintenant grand'peine à défaire son ouvrage'.

Elle n'en eut jamais la pensée, bien qu'elle ne subît pas sans quelque amertume l'autorité directe et personnelle qu'affectait maintenant Mazarin, ni surtout le changement survenu dans leurs relations intimes2 on entrevoit que le cardinal, depuis son retour, s'assujettit beaucoup moins envers la reine aux apparences d'une passion romanesque que leur âge à tous deux rendait ridicule, et l'on voit clairement qu'il ne lui laissa presque aucune part dans la puissance qu'il lui devait. La paresse de la reine et son éloignement pour les affaires l'aidèrent à se résigner, si ce n'est dans quelques occasions décisives où le cardinal dut compter avec elle.

Quel usage Mazarin fit-il de cette puissance, désormais inébranlable? La réponse sera bien différente, selon que l'on regardera le dehors ou le dedans de la France. Au dehors, la guerre et les négociations sont reprises et dirigées avec la même vigueur et la même habileté qu'au temps du traité de Westphalie: on fait d'énergiques et d'heureux efforts pour ramener la France à la haute position militaire et politique qu'elle avait en 1648 et d'où la Fronde l'a fait déchoir. Au dedans, les sources du revenu public, les droits et impôts rétablis avec l'autorité absolue, sont détournés ou épuisés par une administration qui, d'abord poussée au désordre par l'entraînement des circonstances, semble finir par ériger le désordre en système toute règle financière, toute comptabilité a disparu; le trésor est au pillage; les coffres de l'État sont traités comme le butin du vainqueur de la Fronde et de ses lieutenants. C'est que Mazarin voulait assurer à la fois sa renommée par l'heureuse fin de la guerre et sa fortune par le partage du revenu de la France entre l'État et lui, deux buts qu'il

1. Suivant une tradition de cour rapportée par la princesse Palatine, mère du régent, dans ses Mémoires, il n'aurait plus dépendu d'Anne de rompre le lien qui l'enchainait à Mazarin; la reine et le cardinal, qui n'était pas prêtre, auraient été mariés secrètement. Il n'y a aucun indice à cet égard ni dans leur correspondance ni dans ce que nous connaissons des Carnets de Mazarin.

2. V. la curieuse lettre d'Anne à Mazarin, publiée par M. Walckenaër; Mém. sur madame de Sévigné, t. III, p. 471.

tâche de ne pas sacrifier l'un à l'autre, tout contradictoires qu'ils puissent être dans la pratique.

Richelieu avait aussi voulu la fortune, mais comme instrument de puissance pour lui et d'utilité pour le pays; il l'avait conquise à la face du soleil; il s'était attribué, par le cumul des plus hauts emplois et des plus riches bénéfices, les revenus d'un roi qu'il dépensait en roi. Mazarin aima l'or pour l'or même : il entassa, d'année en année, d'avares trésors; tour à tour parcimonieux et d'un faste immodéré, il s'enrichit et usa de sa richesse en partisan plus qu'en ministre-roi, sauf sur un point, mais d'importance, où il rivalisa dignement avec Richelieu, la protection des lettres et des arts'.

On a dit, afin d'excuser Mazarin, qu'il ne puisait pas directement à l'Épargne (au trésor public); « qu'il ne prenoit pas sur le peuple »; qu'il s'enrichissait en s'attribuant à lui seul des bénéfices et des revenus qui eussent été partagés entre un certain nombre de particuliers, chose indifférente au public. Pour que l'excuse fût valable, il eût fallu que Mazarin se fût contenté de cumuler charges, gouvernements et bénéfices, comme faisait Richelieu, et, à la rigueur, de vendre les charges de cour2, ce que Richelieu ne faisait pas. Il n'en était pas ainsi. Comme on l'a vu plus haut (p. 442), le gouffre des acquits au comptant, des fonds secrets, où l'on jetait tout ce qu'on dérobait au contrôle de la chambre des comptes, avait été rouvert dès la rentrée du roi à Paris : on arriva à ce point, que le contrôle de la chambre des comptes devint l'exception et que les acquits au comptant devinrent la règle. Les acquits au comptant, que la chambre des comptes, en 1648, avait bornés à 3 millions par an, atteignirent, dans certaines années,

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1. Il avait déjà l'idée, si glorieusement appliquée depuis par Colbert, de perfectionner le goût des artistes et des industriels français par des modèles exquis importés de l'étranger. V. ses Carnets, cités par M. Renée, les Nièces de Mazarin, p. 442. 2. Lorsque le roi se maria, Mazarin vendit les charges de la maison de la nouvelle he, jusqu'à celle de lavandière, et les charges de la maison du duc d'Anjou, frère lu roi il en tira trois millions et demi; dans la maison du roi, il avait vendu même la charge de premier médecin. Mémoires de madame de Motteville, p. 507. Lettres de Gui Patin, t. II, passim. Testament du cardinal Mazarin, ap. Œuvres de Louis XIV, t. V, p. 301. Mazarin ne vendait pas seulement les charges de cour, mais faisait acheter aux magistrats les provisions royales pour les charges de judicature. V. Montglat, p. 350. Il trafiquait de toute espèce d'offices.

le chiffre de 80 millions! Cette somme énorme était formée en partie par les intérêts usuraires, par les remises exorbitantes. accordées aux traitants sur leurs avances, par toutes ces mauvaises ressources auxquelles on était peut-être inévitablement forcé de recourir, dans la voie où l'on était engagé; mais, ce qui n'était pas inévitable, c'était que le ministre partageât avec les traitants les bénéfices d'opérations frauduleuses par lesquelles ils doublaient encore les intérêts et les remises; c'était, par exemple, que le ministre rachetât à vil prix de vieilles créances douteuses et discréditées sur le trésor, pour se les faire rembourser sur le pied de la valeur nominale! Ce n'était pas tout sur le total des acquits au comptant, il y avait 23 millions par an pour certains états ou chapitres, dont Mazarin se réservait la disposition à lui seul, la maison du roi, les ambassades, la marine, l'artillerie '; la marine ne se ressentit que trop des économies de Mazarin !

Mazarin s'attribuait, de plus, la disposition exclusive des revenus de quelques généralités, qu'il surtaxait au besoin par simples lettres de cachet; enfin, il partageait, avec les personnes qu'il gratifiait au nom du roi, les dons qu'il leur avait procurés et spéculait sur les fournitures de la maison du roi et des armées 2.

Le principe du désordre était ainsi chez Mazarin le désordre fut porté plus loin par un autre homme d'état, par un homme qui se saisit de l'administration, pendant que Mazarin dirigeait le gouvernement, par Fouquet, qui, beaucoup plus apte aux finances que son collègue, le diplomate Servien, agrandit peu à peu sa position et se fit une grande fortune et une grande puissance, non point en fermant l'abime, mais en l'élargissant et le creusant sans fin.

1. C'est ce qu'avoua le ministre Le Tellier à madame de Motteville, tout en cherchant à disculper Mazarin de prendre sur le peuple. Mém. de madame de Motteville, p. 507. Forbonnais, t. I, p. 265-268. - Mem. de Montglat, p. 351.

2. V. Fouquet, OEuvres, t. V, p. 56-76. · Forbonnais, t. I, p. 267. Mém. de madame de Motteville, p. 465. V. une lettre du chancelier Séguier, qui recommait que le don à lui fait par le roi, des lais et relais de la mer, terres vaines et vagues, marais appartenant à Sa Majesté sur les côtes de Poitou et d'Aunis, depuis La Ro chelle et Marans jusqu'aux iles d'Olonne, doit appartenir pour moitié à monseigneur le cardinal Mazarini, qui le lui a fait accorder. Bulletin de la Société de l'Histoire de France, t. I; Documents originaux, p. 170. Ceci fait comprendre comment on traitait le domaine de la couronne.

Le malheureux exemple donné par le premier ministre produisit des résultats bien opposés parmi les hommes qui l'entouraient. La plupart imitèrent à l'envi le maître; certaines âmes vigoureusement trempées, sans essayer immédiatement une résistance inutile, méditèrent une salutaire réaction. L'exemple de Mazarin, en un mot, forma Colbert et perdit Fouquet, facile et brillante intelligence qui aurait eu sans doute un meilleur destin, si elle eût abordé les affaires publiques dans d'autres temps et sous d'autres auspices!

Au commencement de la troisième période du ministère de Mazarin, Colbert n'était encore que le régisseur des affaires particulières du cardinal, mais il y avait déjà dans le ministère, à côté de Fouquet, de l'homme de ressources qui fournissait l'argent, un homme d'ordre qui réglait de son mieux l'emploi de la part qu'on voulait bien lui faire et qui écartait de l'administration militaire les dilapidations autorisées partout ailleurs; c'était le secrélaire d'état de la guerre, Le Tellier. Comme, après tout, Mazarin voulait vaincre, aussi fortement qu'il voulait s'enrichir, il tâchait d'accommoder sa passion avec son devoir, et Le Tellier obtenait, après maints tiraillements, les moyens d'entretenir les armées sur un pied convenable et de fournir à Turenne les instruments de la victoire.

C'était à force d'édits bursaux qu'on s'était préparé à faire face aux besoins de la campagne qui suivit le retour du cardinal. Aux taxes rétablies dans le lit de justice du 31 décembre 1652, on ajouta une crue d'impôts sur le sel; on aliéna divers droits d'aides; on annonça une réduction graduelle d'un sixième sur la valeur des monnaies courantes, afin d'engager les particuliers à se håter de prêter, soit aux financiers, soit au trésor, les espèces qui allaient diminuer de valeur entre leurs mains; c'était un expédient renouvelé des plus mauvais jours du moyen âge! On constitua 400,000 livres de rente sur l'Hôtel de Ville; on remboursa aux partisans une portion des dettes passées pour pouvoir contracter des dettes nouvelles, et l'on consomma d'avance, par les emprunts, les revenus de 1654 à 1656. Toutes ces ressources réunies permirent, la part faite au premier ministre, à ses commis et aux traitants, de solder le corps d'armée qui termina la guerre de

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