Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

et régna sous la forme des vertus. Il paroissoit après un conquérant, et pour se distinguer, il fut tranquille. Ne pouvant être un grand homme, il voulut être un prince heureux. Il donna beaucoup de repos à ses sujets; un immense foyer de corruption s'assoupit; ce calme fut appelé prospérité. Auguste eut le génie des circonstances; c'est celui qui recueille les fruits que le véritable génie a préparé: il le suit, et ne l'accompagne pas toujours.

Tibère méprisa trop les hommes, et sur-tout leur fit trop voir ce mépris. Le seul sentiment où il mit de la franchise, étoit le seul où il eût dû dissimuler; mais c'étoit un cri de joie qu'il ne se pouvoit empêcher de pousser, en trouvant le peuple et le sénat Romain, au-dessous même de la bassesse de son propre cœur.

Lorsqu'on vit ce peuple-roi se prosterner devant Claude, et adorer le fils d'Enobarbus on put juger qu'on l'avait honoré, en gardant avec lui quelque mesure. Rome aima Néron: long-temps après la mort de ce tyran, ses fantômes faisoient tressaillir l'empire de joie et d'espérance. C'est ici qu'il faut s'arrêter pour contempler les mœurs romaines; car ni Titus, ni les Antonin, ni Marc-Aurèle ne purent en changer le fond: un Dieu seul le pouvoit.

Le peuple Romain fut toujours un peuple horrible: on ne tombe point dans les vices qu'il fit

éclater sous ses maîtres, sans une certaine perversité naturelle et quelque défaut de naissance dans le cœur. Athènes corrompue ne fut jamais exécrable; dans les fers elle ne songea qu'à jouir elle trouva que ses vainqueurs ne lui avoient rien ôté, puisqu'ils lui avoient laissé le temple des muses.

Quand Rome eut des vertus, ce furent des vertus contre nature: le premier Brutus égorge ses fils, et le second assassine son père. De plus, il y a des vertus de position, qu'on prend trop facilement pour des vertus générales, et qui ne sont que des résultats locaux. Rome libre fut d'abord frugale, parce qu'elle étoit pauvre; courageuse, parce que ses institutions lui mettoient le fer à la main, et qu'elle sortoit d'une caverne de brigands. Elle étoit d'ailleurs féroce, injuste, avare, luxurieuse; elle n'eut de beau que son génie; son caractère fut odieux.

Les décemvirs la foulent aux pieds; Marius verse à volonté le sang des nobles, et Sylla, celui du peuple; pour dernière insulte, il abjure publiquement la dictature. Les conjurés de Catilina s'engagent à massacrer leurs propres pères (1), et se font un jeu de renverser cette majesté Romaine, que Jugurtha se

(1) Sed filii familiarum, quorum ex nobilitate maxuma pars erat, parentes interficerent. Sallust, in Catil. XLIII.

propose d'acheter (1). Viennent les triumvirs et leurs proscriptions: Auguste ordonne au père et au fils de s'entre-tuer (2), et le père et le fils s'entre-tuent. Le sénat se montre trop vil, même pour Tibère (3). Le dieu-Néron a des temples. Sans parler de ces délateurs sortis des premières familles patriciennes, sans montrer les chefs d'une même conjuration, se dénonçant et s'égorgeant l'un l'autre (4); sans représenter des philosophes discourant de vertus, au milieu des débauches de Néron, Sénèque excusant un parricide, Burrhus (5) le louant et le pleurant à-la-fois ; sans rechercher sous Gaiba, Vitellius, Domitien, Commode ces actes de lâcheté qu'on a lus cent fois, et qui étonnent toujours, un seul trait nous peindra l'infamie Romaine: Plautien, ministre de Sévère, en mariant sa fille au fils aîné de l'empereur, fit mutiler cent Romains libres, dont quelques-uns étoient mariés et pèrès de fa

(1) lb. in Bell. Jugurt.
(2) Suet. in Aug.
(3) Tacit. An.

(4) Ib. ibid. 1. XV.

[ocr errors]

(5) Id. ib. lib. XIV. Papinien, jurisconsulte et préfet du prêtoire, qui ne se piquoit pas de philosophie, répondit à Caracalla qui lui ordonnoit de justifier le meurtre de son frère Géta : « Il est plus aisé de commettre un » parricide que de le justifier. » Hist. Aug.

כל

mille: «afin, dit l'historien, que sa fille eût à »sa suite des eunuques dignes d'une reine » d'Orient (1).

כל

A cette lâcheté de caractère, joignez une épouvantable corruption de mœurs. Le grave Caton vient pour assister aux prostitutions des jeux de Flore. Sa femme Marcia étant enceinte, il la cède à Hortensius; quelque temps après Hortensius meurt, et ayant laissé Marcia héritière de tous ses biens, Caton la reprend au préjudice du fils d'Hortensius. Cicéron se sépare de Terentia, pour épouser Publia sa pupille. Sénèque nous apprend qu'il y avoit des femmes qui ne comptoient plus leurs années par consuls, mais par le nombre de leurs maris (2); Tibère invente les scellarii et les spintriae; Néron épouse publiquement l'affranchi Pythagore (3), et Héliogabale célèbre ses noces avec Hiéroclès (4).

Ce fut ce même Néron, déja tant de fois cité, qui institua les fêtes juvénales. Les chevaliers, les sénateurs et les femmes du premier rang étoient obligés de monter sur le théâtre, à l'exemple de l'empereur, et de chanter des chansons dissolues, en copiant les gestes des

(1) Dion. lib. LXXVI, p. 1271.

(2) De Benefic. III, 16.

(3) Tac. An. 15.

(4) Dion. lib. LXXIX, p. 1363. Hist. Aug. p. 103.

histrions (1). Pour le repas de Tilfeginus, sur l'étang d'Agrippa, on avoit bâti des maisons au bord du lac, où les plus illustres Romaines étoient placées vis-à-vis des courtisannes toutes nues. A l'entrée de la nuit tout fut illuminé (2), afin que les débauches eussent un sens de plus et un voile de moins."

A

La mort faisoit une partie essentielle de ces divertissemens antiques. Elle étoit là pour contraste, et pour rehaussement des plaisirs de la vie. Afin d'égayer les repas, on faisoit venir des gladiateurs, avec des courtisannes et des joueurs de flûte. En sortant des bras d'un infâme, on alloit voir une bête féroce boire du sang humain; de la vue d'une prostitution, on passoit au spectacle des convulsions d'un homme expirant. Quel peuple que celui-là, qui ayoit placé l'opprobre à la naissance et à la mort, et élevé sur un théâtre les deux grands. mystères de la nature, pour déshonorer, d'un seul coup, tout l'ouvrage de Dieu!

Les esclaves qui travailloient à la terre avoient constamment les fers aux pieds: pour toute nourriture', on leur donnoit un peu de pain, d'eau et de sel; la nuit on les renfermoit dans des souterrains qui ne recevoient d'air que par une lucarne pratiquée à la voûte de ces

(1) Tacit. An. 14.

(2) Id. loc. cit.

« ZurückWeiter »