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cela n'est pas possible. Dans les circonstances analogues où il se rencontre, le mot consul implique l'élection populaire'; tout concourt à prouver qu'il en est ainsi pour Vézelay 2.

Il faut convenir que la coexistence des mots consuls et commune a quelque chose d'étrange et d'insolite, et que, hors du midi de la France, on ne trouve point le nom de consuls donné à des magistrats municipaux. Mais ce fait s'explique pour le bourg de Vézelay : le commerce et les foires y amenaient chaque année des négociants venus des villes du midi, du Languedoc et de la Provence, qui devaient porter avec eux la nouvelle de ce qui se passait dans ces villes où le consulat venait de s'établir et faire naître ainsi le désir des mêmes libertés et le besoin d'imitation dans le fond et dans la forme.

A examiner attentivement les choses, quel intérêt le comte de Nevers aurait-il eu à se réserver l'élection des magistrats municipaux de Vézelay? La formation des bourgeois en corps politique, en commune (c'était le mot du temps), leur existence municipale en dehors de la seigneurie de l'abbé, les institutions qui leur rendaient possible une résistance contre les moines, tout cela était le fondement et la garantie de son nouveau droit de haute justice. Ce droit qu'il acquérait ainsi sur le bourg de Vézelay, il ne le gagnait pas du même coup sur les villages et les domaines ruraux de l'abbaye; mais il pouvait l'obtenir par l'incorporation de ces villages à la commune, et il fallait pour cela que la commune présentât les avantages de liberté, les garanties de sûreté et de durée qui manquaient sous le gouvernement de l'abbé.

Outre les formules probantes qui viennent d'être citées, on en trouve plusieurs autres dans Hugues de Poitiers, qui, pour être moins explicites, n'en désignent pas moins d'une manière cer

1. Du Cange, au mot Consules in civitatibus, cite les fragments suivants d'anciennes chartes: Et volo quod singulis annis in Calma IV consules eligantur ad festum Omnium Sanctorum, quorum consiliis tota terra mea videatur de cætero subjacere (Libertates ann. 1209, concessæ per Raibaldum de Calma hominibus terræ suæ). — Conspirationes aut conjurationes vel consules non possunt facere cives Anicienses contra nos nec contra episcopum nec ecclesiam Aniciensem.... (Charta Phil. Franc. regis ann. 1218). Inutile de marquer la distinction du mot consul, synonyme de

comes.

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2. Notons ce passage de la lettre d'Adrien IV : In illos qui hujus nequitiæ caput existunt talem ultionem exerceas, ut qui eis successerint... caput contra dominum suum erigere non attentent (Adr. papæ Epist., ap. Script. rer. gallic. et franc, t. XV, p. 670).

taine les magistrats de la commune et leurs assemblées. Telles sont majores natu quique capita populi esse videbantur1;— misit itaque tyrannus majoribus conspiratæ proditionis 2; — et erant dies noctesque conciliabulis malignantes, etc. M. de Bastard reproche à M. Thierry d'avoir vu dans les natu majores les principaux de la municipalité, et il affirme que ces mots signifient « les plus âgés d'entre les habitants envoyés en députation auprès « des cardinaux » (p. 359). Mais il ne fait pas attention à la suite de la phrase: quique capita populi esse videbantur, qui, malgré la virgule que l'éditeur a mise dans le texte, a pour but d'expliquer la première partie par une nouvelle qualification des députés. D'ailleurs, natu majores, dans la langue du droit romain et du droit du moyen âge, signifie magistrats et dignitaires. Du Cange, au mot Natu majores, cite des textes qui ne laissent aucune espèce de doute. Dans le poëme attribué à Gui, évêque d'Amiens, sur la bataille d'Hastings, les principaux citoyens, formant le gouvernement municipal de la ville de Londres, sont appelés natu majores (natu majores, omni levitate repulsa '). Hugues de Poitiers lui-même, dans un discours qu'il met dans la bouche du comte de Nevers, défendant les gens de Vézelay devant la cour du roi, se sert du mot senatus pour désigner les bourgeois notables, et oppose ce mot à vulgus 5.

Encore un point à noter dans l'histoire de la commune de Vézelay. Le chroniqueur nous montre les bourgeois faisant de leurs maisons des forteresses et les entourant de murs à créneaux; il présente le changeur Simon élevant pour sa défense une tour que les agents de l'abbé s'empressèrent de détruire, lors de la ruine de la commune. On ne peut se défendre de rapprocher ce fait de l'habitude qu'avaient les bourgeois des grandes municipalités du midi de la France de fortifier leurs maisons, et dont on trouve des exemples à Toulouse, à Avignon, à Mirepoix, à Montpellier, à Castres, etc. Cette pratique, commune aux villes du

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4. Chroniques anglo-normandes, publ. par M. Francisque Michel, tom. III, p. 31,

vers 693.

5. Spicil., t. II, p. 532, col. 2.

6. Il est question dans les Gestes de Louis VIII, à propos de la prise d'Avignon, en 1226 (Script. rer. gallic. et franc., t. XVII, p. 309), de « trecentæ domus turrales quæ in villa erant,

midi et aux républiques italiennes, résulte sans doute à Vézelay du même entraînement, du même esprit d'imitation qui fit adopter aux bourgeois de cette ville le nom de consuls pour désigner leurs magistrats municipaux.

On objectera sans doute que Hugues de Poitiers garde le silence sur l'exercice du pouvoir électif à Vézelay, durant trois années que la commune parait avoir existé. Mais ce silence ne prouve rien, et les mots commune et consuls suffisent pour trancher la question. Hugues de Poitiers ne parle que des relations extérieures de la commune de Vézelay avec l'abbaye; peu lui importent les faits et gestes intérieurs, la police, les actes des magistrats; c'est l'histoire de l'abbaye qu'il raconte. S'il ne s'occupe pas des magistrats élus par les bourgeois, il ne mentionne pas davantage des agents commis par le comte pour le gouvernement de la ville : faudrait-il en conclure que, durant trois ans, la ville de Vézelay, soustraite au pouvoir de l'abbaye, est restée sans aucune espèce de police et de gouvernement? Cela serait absurde.

Ainsi, j'ai fait voir que le nom de commune est appliqué par tous les contemporains aux résultats de l'insurrection de Vézelay; que cette commune a été constituée en vertu d'intérêts positifs et tout à fait distincts de ceux du comte de Nevers; qu'elle a eu, sous l'autorisation du comte, dont la seigneurie remplaçait pour les bourgeois celle de l'abbé, des magistrats électifs décorés du nom de consuls; qu'elle a fonctionné pendant plusieurs années, sans que, j'en conviens, le souvenir soit resté d'actes officiels accomplis par elle, mais sans qu'on puisse citer un seul témoignage négatif ; qu'elle a réuni enfin les caractères que présentent les communes reconnues du douzième siècle. Pour faire ces preuves, je n'ai eu qu'à me servir des textes contemporains simplement interprétés, et quelle que soit la décision du public, j'espère qu'il me saura gré de l'avoir mis à même de juger la question en connaissance de cause.

1. De 1152 à 1155. Elle a cessé d'exister de fait par l'émigration des habitants, vers les derniers mois de cette année, et de droit, le jour où les bourgeois l'ont abjurée entre les mains du roi par l'organe de leurs mandataires.

F. BOURQUELOT.

DOCUMENTS INÉDITS

SUR LA CONSTRUCTION DE

SAINT-QUEN DE ROUEN.

L'église de Saint-Ouen n'a pas besoin d'éloges; elle est de celles dont on a toujours parlé avec considération. Même dans les temps où l'architecture gothique était le moins goûtée, on la citait comme un chefd'œuvre; et l'un des plus mémorables hommages qui lui aient été adressés se trouve au traité de la Mothe le Vayer sur l'Envie1. Elle en a reçu un autre encore plus éclatant, dans ces dernières années, par le vote de la loi qui a prescrit son achèvement.

Le P. Pommeraye, en son Histoire de l'abbaye de Saint-Ouen, parle assez longuement des diverses constructions de l'église 2. D'après ses recherches, l'édifice actuel fut commencé en 1318 par l'abbé Jean Roussel, dit Mardargent, qui y fit travailler sans relâche pendant vingt et un ans, et qui put voir avant de mourir, le chœur achevé ainsi que la plus grande partie du transept. Après lui, les travaux languirent ou même cessèrent tout à fait, de sorte qu'en l'espace de tout un siècle, il n'y eut de fait que le couronnement de la tour et les deux façades latérales. Entre 1459 et 1490 plusieurs bulles d'indulgences décernées par les papes fournirent de quoi bâtir une première moitié de la nef, dont l'autre moitié est à elle seule l'ouvrage de l'abbé Boyer, mort en 1519. Enfin, le cardinal Cibo, abbé commandataire sous François Ier, fit édifier le morceau de portail auquel viennent d'être attachées les dernières constructions.

Telles sont en substance les assertions du P. Pommeraye. Il y a mêlé le récit d'une anecdote ou plutôt d'une légende populaire, qu'il est utile de rapporter textuellement pour la suite de cet article.

« Je trouve, dit-il, dans quelques anciens manuscrits de l'abbaye et de la bibliothèque de M. Bigot une chose assez remarquable, arrivée à l'occasion des deux roses de la croisée. Elles furent faites l'an 1439, l'une par Alexandre de Berneval, maistre maçon, et l'autre par son serviteur ou apprenty qui fit la sienne avec tant d'industrie et de bonheur, qu'elle eut l'approbation de tout le monde et mesme fut jugée plus belle

1. Euvres, t. II, p. 436. 2. Liv. III, ch. 21, 22, 23.

et mieux conduite que celle où son maistre avoit travaillé. Celuy-cy, au lieu de dissimuler et de souffrir patiemment les louanges qu'on donnoit à ce sçavant apprenty, ou plus tost d'en estre bien-aise et d'y prendre part, estant certain que c'est une gloire et non pas un deshonneur à un maistre de former un disciple plus habile que luy : celuy-ci, dis-je, se laissa tellement transporter à l'envie et ensuite à la colère, qu'il tua l'autre et mérita par cette action si lâche et si noire de finir misérablement sa vie par les mains d'un bourreau. Les religieux de Saint-Ouen, touchez de compassion envers ce malheureux artisan, obtinrent son corps de la justice, et pour reconnoissance des bons services qu'il leur avoit rendus dans la construction de leur église, non obstant sa fin tragique, ne laissèrent pas de luy faire l'honneur de l'inhumer dans la chapelle de Sainte-Agnès, où sa tombe se voit encore avec cette épitaphe :

«Ci gist maistre Alixandre de Berneval, maistre des œuvres de machonnerie du roy nostre sire ou bailliage de Rouen et de ceste église, qui trespassa l'an de grâce mil CCCCXL le Ve jour de janvier. Priez Dieu pour l'âme de luy.

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Comme le monument cité par le P. Pommeraye existe encore nous ajouterons, pour plus amples renseignements, qu'il consiste en une pierre de liais sur laquelle Alexandre de Berneval est gravé de grandeur naturelle, ayant à sa gauche la figure, en même proportion, de celui qu'on dit être son apprenti. Les religieux de Saint-Ouen auraient donc couché dans la même sépulture l'assassin et la victime; ce qui ne laisse pas que d'être singulier. Il l'est encore plus qu'ils aient mis une épitaphe à ce méchant Alexandre de Berneval, sans accorder le même honneur à son élève plus méritant, dont le nom, à cause de cela, est resté une énigme.

Quoi qu'il en soit de la tragique histoire qu'on vient de lire, elle forme, avec la série de dates fournie par le P. Pommeraye, tout le savoir qu'on possède sur le beau monument de Rouen, de sorte qu'à l'heure qu'il est, on n'est pas plus avancé qu'au moment où parut la vieille histoire de Saint-Ouen. Cette pénurie de renseignements fera sans doute accueillir avec intérêt la publication de deux pièces inédites 1 qui, si elles ne renversent pas de fond en comble l'opinion reçue, serviront

1. Nous apprenons, au moment de paraître, que l'une de ces pièces, la seconde, vient d'être imprimée dans l'un des derniers numéros des Annales archéologiques ; mais comme ce recueil la donne sans aucun commentaire, que d'ailleurs notre texte est plus fidèle, nous pensons qu'elle aura pour nos lecteurs l'attrait d'un document entièrement nouveau.

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