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moindre flot qui s'élève, et il s'informe avec soin si tous ceux qui naviguent avec lui sont initiés (2). S'il vient à remarquer que le pilote fait une nouvelle manœuvre, ou semble se détourner comme pour éviter un écueil, il l'interroge, il lui demande avec inquiétude s'il ne croit pas s'être écarté de sa route, s'il tient toujours la haute mer, et si les dieux sont propices (3). Après cela il se met à raconter une vision qu'il a eue pendant la nuit, dont il est encore tout épouvanté, et qu'il prend pour un mauvais présage. Ensuite, ses frayeurs venant à croître, il se déshabille et ôte jusques à sa chemise, pour pouvoir mieux se sauver à la nage; et après cette précaution, il ne laisse pas de prier les nautoniers de le mettre à terre (4). Que si cet homme faible, dans une expédition militaire où il s'est engagé, entend dire que les ennemis sont proches, il appelle ses compagnons de guerre, observe leur contenance sur ce bruit qui court, leur dit qu'il est sans fondement, et que les coureurs n'ont pu discerner si ce qu'ils ont découvert à la campagne sont amis ou ennemis (5): mais si l'on n'en peut plus douter par les clameurs que l'on entend, et s'il a vu lui-même de loin le commencement du combat, et que quelques hommes aient paru tomber à ses yeux; alors, feignant que la précipitation et le tumulte lui ont fait oublier ses armes (6), il court les querir dans sa tente, où il cache son épée sous le chevet de son lit, et emploie beaucoup de temps à la chercher; pendant que, d'un autre côté, son valet va par ses ordres savoir des nouvelles des ennemis, observer quelle route ils ont prise, et où en sont les affaires; et dès qu'il voit apporter au camp quelqu'un tout sanglant d'une blessure qu'il a reçue, il accourt vers lui, le console et l'encourage (7), étanche le sang qui coule de sa plaie, chasse les mouches qui l'importunent, ne lui refuse aucun secours, et se mêle de tout, excepté de combattre. Si, pendant le temps qu'il est dans la chambre du malade, qu'il ne perd pas de vue, il entend la trompette qui sonne la charge, Ah! dit-il avec imprécation, puisses-tu être pendu (8), maudit sonneur qui cornes incessamment, et fais un bruit enragé qui empêche ce pauvre homme de dormir! Il arrive même que, tout plein d'un sang qui n'est pas le sien, mais qui a jailli sur lui de la plaie du blessé, il fait accroire (9) à ceux qui reviennent du combat qu'il a couru un grand risque de sa vie pour sauver celle de son ami: il conduit vers lui ceux qui y prennent intérêt, ou comme ses parents, ou parce qu'ils sont d'un

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(1) Le grec dit : « Sur mer, il prend des promontoires « pour des galères de pirates. »

(2) Les anciens navigeaient rarement avec ceux qui passaient pour impies; et ils se faisaient initier avant de partir, c'est-à-dire instruire des mystères de quelque divinité, pour se la rendre propice dans leurs voyages. (Voyez le chap. XVI, de la Superstition. (La Bruyère.)

Les mystères dont il s'agit ici sont ou ceux d'Éleusis, dans lesquels, d'après la religion populaire des Grecs, tout le monde devait être initié; ou bien ceux de Samothrace, qui étaient censés avoir la vertu particulière de préserver leurs initiés des naufrages.

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(3) Ils consultaient les dieux par les sacrifices, ou par les augures, c'est-à-dire, par le vol, le chant et le manger des oiseaux, et encore par les entrailles des bêtes. (La Bruyère.) Le grec porte, il lui demande ce qu'il pense « du dieu; » et je crois, avec Fischer et Coray, que cela veut dire « ce qu'il présume de l'état du ciel. » Jupiter, ou le dieu par excellence, présidait surtout aux révolutions de l'atmosphère. On peut même observer en général que la météorologie paraît avoir été la base primitive ou du moins la première occasion de la religion des Grecs. C'est ce qui devait arriver dans un pays entrecoupé par des montagnes et entouré de la mer. Les religious antiques des grands continents ouverts et plats devaient au contraire être fondées principalement sur l'astronomie. Des traditions historiques se sont ensuite confondues avec les sentiments vagues de crainte, de reconnaissance et d'admiration, que produisaient les révolutions de la nature. Des allégories et des idées morales y ont été jointes dès les cles, et surtout les temps de malheurs et d'oppression, out plongé les peuples dans les superstitions les plus grossières, tandis qu'un petit nombre de sages s'élevait à des sentiments plus purs et à des conceptions plus vastes et plus lumineuses.

commencements de la civilisation; mais la suite des siè

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(8) Le grec dit, « puisses-tu devenir la pâture des cor"beaux ! »

ajoute que c'est Thésée qu'on peut appeler le premier auteur de tous ces maux (10); et il

(9) Le texte porte, « il va à la rencontre de ceux qui fait de pareils discours aux étrangers qui ar

⚫ reviennent du combat, et leur dit, etc. »>

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La plus grande passion de ceux qui ont les premières places dans un état populaire n'est pas le désir du gain ou de l'accroissement de leurs revenus, mais une impatience de s'agrandir, et de se fonder, s'il se pouvait, une souveraine puissance sur la ruine de celle du peuple (2). S'il s'est assemblé pour délibérer à qui des citoyens il donnera la commission d'aider de ses soins le premier magistrat dans la conduite d'une fête ou d'un spectacle, cet homme ambitieux, et tel que je viens de le définir, se lève, demande cet emploi, et proteste que nul autre ne peut si bien s'en acquitter (3). Il n'approuve point la domination de plusieurs (4), et de tous les vers d'Homère il n'a retenu que celui-ci :

Les peuples sont heureux quand un seul les gouverne. Son langage le plus ordinaire est tel: Retirons-nous de cette multitude qui nous environne; tenons ensemble un conseil particulier où le peuple ne soit point admis; essayons même de lui fermer le chemin à la magistrature (5). Et s'il se laisse prévenir contre une personne d'une condition privée, de qui il croie avoir reçu quelque injure, Cela, dit-il, ne se peut souffrir, et il faut que lui ou moi abandonnions la ville. Vous le voyez se promener dans la place sur le milieu du jour, avec des ongles propres, la barbe et les cheveux en bon ordre (6); repousser fièrement ceux qui se trouvent sur ses pas; dire avec chagrin aux premiers qu'il rencontre que la ville est un lieu où il n'y a plus moyen de vivre (7); qu'il ne peut plus tenir contre l'horrible foule des plaideurs, ni supporter plus longtemps les longueurs, les crieries et les mensonges des avocats (8); qu'il commence à avoir honte de se trouver assis dans une assemblée publique, ou sur les tribunaux, auprès d'un homme mal habillé, sale, et qui dégoûte; et qu'il n'y pas un seul de ces orateurs dévoués au peuple qui ne lui soit insupportable (9). II

rivent dans la ville, comme à ceux (11) avec qui il sympathise de mœurs et de sentiments.

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(10) Thésée avait jeté les fondements de la république d'Athènes, en établissant l'égalité entre les citoyens. (La Bruyère.) Le manuscrit du Vatican ajoute au texte: « car c'est lui qui a réuni les douze villes, et qui a aboli la royauté; mais aussi, par une juste punition, il en fut « la première victime. Mais ces traditions appartiennent plutôt à la fable qu'à l'histoire. (Voyez Pausanias, in Atticis, chap. 111.)

(11) « De ses concitoyens. »-M. Barthélemy a imité ce Caractère presque en entier dans son chap. xxvii, et y a inséré fort ingénieusement plusieurs traits semblables pris dans d'autres auteurs anciens.

CHAPITRE XXVII.

D'une tardive instruction.

Il s'agit de décrire quelques inconvénients où tombent ceux qui, ayant méprisé dans leur jeunesse les sciences et les exercices, veulent réparer cette négligence, dans un âge avancé, par un travail souvent inutile (1). Ainsi un vieillard de soixante ans s'avise d'apprendre des vers par cœur, et de les réciter à table dans un festin (2), où la mémoire venant à lui manquer, il a la confusion de demeurer court. Une autre fois, il apprend de son propre fils les évolutions qu'il faut faire dans les rangs à droite ou à gauche, le maniement des armes (3), et quel est l'usage à la guerre de la lance et du bouclier. S'il monte un cheval (4) que l'on lui a prêté, il le presse de l'éperon, veut le manier; et lui faisant faire des voltes ou des caracoles, il tombe lourdement et se casse la tête (5). On le voit tantôt pour s'exercer au javelot le lancer tout un jour contre l'homme de bois (6), tantôt tirer de l'arc, et disputer avec son valet lequel des deux donnera mieux dans un blanc avec des flèches; vouloir d'abord apprendre de lui, se mettre ensuite à l'instruire et à le corriger, comme s'il était le plus habile. Enfin, se voyant tout nu au sortir d'un bain, il imite les postures d'un lutteur; et, par le défaut d'habitude, il les fait de mauvaise grâce, et il s'agite d'une manière ridicule (7).

NOTES.

(1) Le texte définit ce caractère, « un goût pour des «exercices qui ne conviennent pas à l'âge où l'on se

<< trouve. »

(2) Voyez le chapitre de la Brutalité. (La Bruyère.) Chapitre xv, note 5.

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(3) Au lieu de la fin de cette phrase, que la Bruyère a ajoutée au texte, le manuscrit du Vatican ajoute, d'après une conjecture ingénieuse de M. Coray, « et en arrière. » Ce manuscrit continue: << Il se joint à des jeunes gens pour faire une course avec des flambeaux en l'honneur de quelque héros. S'il est invité à un sacrifice fait à Hercule, il jette son manteau, et saisit le taureau pour le terrasser; et puis il entre dans la palestre pour s'y livrer encore à d'autres exercices. Dans ces petits thea<< tres des places publiques, où l'on répète plusieurs fois de suite le même spectacle, il assiste à trois ou quatre représentations consécutives pour apprendre les airs « par cœur. Dans les mystères de Sabasius, il cherche « à être distingué particulièrement par le prêtre. Il aime des courtisanes, enfonce leurs portes, et plaide pour « avoir été battu par un rival. » On peut consulter sur les courses de flambeaux le chapitre xxiv du Jeune Anacharsis; et l'on peut voir au vol. II, pl. 3, des Vases de Hamilton, un sacrifice fait par de jeunes athlètes qui cher chent à terrasser un taureau. Cette explication du dessin que représente cette planche est du moins bien plus naturelle que celle qu'en donne le texte de Hamilton; et Pausanias parle quelque part d'un rite de ce genre. Les distinctions que brigue ce vieillard dans les mystères de Sabasius, c'est-à-dire de Bacchus, sont d'autant plus ridicules, que les femmes coucouraient à ces mystères.

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(Voyez Aristophane, in Lysistrata, v. 388; voyez aussi Démosth. pro Cor. page 314).

J'ai suivi, dans la dernière phrase de cette addition, les corrections du critique anonyme de la Gazette littéraire

d'Iéna.

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(4) Le grec porte: « S'il va à la campagne avec un cheval, etc. >>

(5) Le manuscrit du Vatican ajoute ici une phrase vraisemblablement altérée par les copistes. D'après Schneider, il faudrait traduire : « Il fait des pique-niques de onze litres, » c'est-à-dire de onze oboles. « Reste à savoir, dit cet éditeur, pourquoi cela est ridicule. » Peut-être faut-il rapporter le fragment de l'auteur comique Sophron, le décalitre en est le prix,» aux Femmes mimes, titre de la pièce d'où ce fragment nous est conservé par Pollux, 1. IV, segm. 173, et supposer que le décalitre fût le prix ordinaire des jeux indécents ou des complaisances de ces femmes, et une espèce de surnom qu'on leur donnait On pourrait alors corriger ce passage ἐνδεκαλίτραις, εἰ traduire « Il fait des pique-niques chez des danseuses, " Mais peut-être aussi faut-il traduire tout simplement : Il rassemble, à force de prières, des convives pour manger avec lui à frais communs. »

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(6) Une grande statue de bois qui était dans le lieu des exercices, pour apprendre à darder. (La Bruyère.) Cette

explication est une conjecture ingénieuse de Casaubon; | plus familiers amis n'est épargné : les morts

elle est confirmée en quelque sorte par une lampe antique sur laquelle M. Visconti a vu le palus contre lequel s'exerçaient les gladiateurs, revêtu d'habillements militaires. La traduction littérale de ce passage, tel que le donne le manuscrit du Vatican, serait: « Il joue à la grande statue e avec son esclave; » ce qui, par une suite de la même explication, pourrait être rendu par l'expression moderne « Il tire au mur avec son esclave. » Ce manuscrit continue: «Il tire de l'arc ou lance le javelot avec le pé« dagogue de ses enfants.

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(7) Littéralement : « il s'exerce à la lutte, et agite beau« coup les hanches. Le manuscrit du Vatican ajoute, afin de paraître instruit; » et continue: « Quand il se trouve avec des femmes, il se met à danser en chantant - entre les dents pour marquer la cadence.

CHAPITRE XXVIII.

De la médisance,

»

Je définis ainsi la médisance, une pente secrète de l'âme à penser mal de tous les hommes, laquelle se manifeste par les paroles. Et pour ce qui concerne le médisant, voici ses mœurs. Si on l'interroge sur quelque autre, et que l'on lui demande quel est cet homme, il fait d'abord sa généalogie. Son père, dit-il, s'appelait Sosie (1), que l'on a connu dans le service et parmi les troupes sous le nom de Sosistrate; il a été affranchi depuis ce temps, et reçu dans l'une des tribus de la ville (2): pour sa mère, c'était une noble Thracienne; car les femmes de Thrace, ajoute-t-il, se piquent la plupart d'une ancienne noblesse (3) celui-ci, né de si honnêtes gens, est un scélérat qui ne mérite que le gibet. Et retournant à la mère de cet homme qu'il peint avec de si belles couleurs (4), Elle est, poursuitil, de ces femmes qui épient sur les grands chemins (5) les jeunes gens au passage, et qui, pour ainsi dire, les enlèvent et les ravissent. Dans une compagnie où il se trouve quelqu'un qui parle mal d'une personne absente, il relève la conversation. Je suis, lui dit-il, de votre sentiment; cet homme m'est odieux, et je ne le puis souffrir: qu'il est insupportable par sa physionomie! y at-il un plus grand fripon et des manières plus extravagantes? Savez-vous combien il donne à sa femme (6) pour la dépense de chaque repas? trois oboles (7), et rien davantage; et croiriezvous que, dans les rigueurs de l'hiver, et au mois de décembre (8), il l'oblige de se laver avec de l'eau froide? Si alors quelqu'un de ceux qui l'écoutent se lève et se retire, il parle de lui presque dans les mêmes termes (9). Nul de ses

même dans le tombeau ne trouvent pas un asile contre sa mauvaise langue (10).

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(4) C'est le traducteur qui a ajouté cette transition; et le manuscrit du Vatican indique clairement qu'il faut commencer ici un nouveau trait, et traduire : « Il dit méchamment à quelqu'un : Ah! je connais bien les femmes dont tu me parles, et sur lesquelles tu te trompes fort; « ce sont de celles qui épient sur les grands chemins, etc. »> Le même manuscrit fait ensuite une autre addition fort obscure, et qui exige plusieurs corrections; on peut la traduire « Celle-ci surtout est très-habile au métier; « et ce que je vous dis des autres n'est pas un conte en «l'air elles se prostituent dans les rues, sont toujours « à la poursuite des hommes, et ouvrent elles-mêmes la porte de leur maison. » Ce dernier trait a déjà été cité comme une rusticité de la part d'un homme; mais c'était sans doute un sigue de prostitution dans une femme, qui devait rester dans l'intérieur de son gynécée, et n'en sortir que bien accompagnée.

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parle-t-il de trois petites pièces de cuivre dont huit font une obole. L'obole est évaluée par M. Barthélemy à trois sous de notre monnaie.

(8) Le grec dit, « le jour de Neptune, » fête qui était au milieu de l'hiver, et où peut-être on se baignait en T'honneur du dieu auquel elle était consacrée.

en faveur de l'accusé traduit devant l'assemblée du peuple, ou devant quelque tribunal particulier; il est capable de s'asseoir à côté de lui, et de dire qu'il ne faut point juger l'homme, mais le fait. Je suis, dit-il, le chien du peuple, car je garde ceux qui essuient des injustices (4). Nous finirions par ne plus trouver personne qui

(9) Le manuscrit du Vatican insère ici, « une fois qu'il voulût s'intéresser aux affaires publiques, si

• a commencé. »

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(10) Il était défendu chez les Athéniens de parler mal des morts, par une loi de Solon, leur législateur. (La Bruyère.) Il paraît en général par ces Caractères, et par d'autres autorités, que les lois de Solon n'étaient plus guère observées du temps de Théophraste. Le manuscrit du Vatican ajoute: « et ce vice, il l'appelle franchise, esprit démocratique, liberté, et en fait la plus douce occupation de sa vie. » Le même manuscrit place encore ici une phrase fort singuliere, que je crois, avec M. Schneider, avoir été ajoutée par un lecteur chrétien qui n'avait pas bien saisi l'esprit dans lequel ces Caractères ont été écrits. Je corrige le verbe inintelligible de cette phrase en oreptop.éves, et je traduis : « C'est ainsi que celui qui est privé de la véritable doctrine rend les hommes maniaques, et leur donne des mœurs dépravées. » Dans les manuscrits numérotés 1679, 2830 et 1389 de la bibliothèque nationale, et dans un manuscrit de la bibliothèque palatine, on ajoute de même, à la suite des Caractères de Théophraste qui existent dans ces manuscrits, quelques phrases d'un grec barbare, qui ne peuvent pas être attribuées à l'auteur, et qui contiennent des réflexions sur les obstacles qu'éprouve la vertu. On trouvera ce morceau dans l'édition de Fischer, page 240.

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CHAPITRE XXIX.

Du goút qu'on a pour les vicieux (1).

Le goût que l'on a pour les méchants est le désir du mal. L'homme infecté de ce vice est capable de fréquenter les gens qui ont été condamnés pour leurs crimes par tout le peuple (2), dans la vue de se rendre plus expérimenté et plus formidable par leur commerce. Si on lui cite quelques hommes distingués par leurs vertus, il dira: Ils sont vertueux comme tant d'autres; personne n'est homme de bien, tout le monde se ressemble, et ces honnêtes gens ne sont que des hypocrites. Le méchant seul, dit-il une autre fois, est vraiment libre. Si quelqu'un le consulte au sujet d'un méchant homme (3), il convient que ce que l'on en dit est vrai. Mais, ajoute-t-il, ce que l'on ne sait pas, c'est que c'est un homme d'esprit, fort attaché à ses amis, et qui donne de grandes espérances. Et il soutiendra qu'il n'a jamais vu un homme plus habile. Il est toujours disposé

nous abandonnions ces hommes (5). Il aime à se déclarer patron des gens les plus méprisables (6), et à se rendre aux tribunaux pour y soutenir de mauvaises affaires (7). S'il juge un procès, il prend dans un mauvais sens tout ce que disent les parties. En général (8) l'affection pour les scélérats est sœur de la scélératesse même; et rien n'est plus vrai que le proverbe : « On recherche toujours son semblable. »

NOTES.

(1) Ce chapitre et le suivant n'ont été découverts que dans le siècle dernier. On en connaissait cependant les titres du temps de Casaubon et de la Bruyère, et j'ai conservé la traduction que ce dernier en a donnée dans son Discours sur Théophraste.

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(2) Je pense qu'il faut sous-entendre, « et qui ont eu l'adresse de se soustraire à l'effet des lois.» (Voyez le chapitre XVIII du Voyage du jeune Anacharsis.)

(3) J'ai cherché à remplir par ces mots une lacune qui se trouve dans le manuscrit; il me parait qu'il est question d'un homme auquel on veut confier quelques fonetions politiques.

(4) J'ai traduit comme si le participe grec était au passif; sans cette correction, le sens serait, « car je surveille «< ceux qui veulent lui faire du tort. » Le changement que je propose est nécessaire pour faire une transition à la phrase suivante.

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