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Je consens à faire des distinctions entre ceux que je viens de représenter: mais enfin leur devrai-je les mêmes sentiments qu'à un bienfaiteur éclairé, compatissant, réglant même sa compassion sur l'estime, le besoin et les effets qu'il prévoit que ses services pourront avoir; qui prend sur lui-même, qui restreint de plus en plus son nécessaire pour fournir à une nécessité plus urgente, quoique étrangère pour lui? On doit plus | estimer les vertus par leurs principes que par leurs effets. Les services doivent se juger moins par l'avantage qu'en retire celui qui est obligé, que par le sacrifice que fait celui qui oblige.

enthousiastes, dont il est importuné et flatté. Je sais qu'on doit cacher les services et non pas la reconnaissance; elle admet, elle exige quelquefois une sorte d'éclat noble, libre et flatteur; mais les transports outrés, les élans déplacés sont toujours suspects de fausseté ou de sottise, à moins qu'ils ne partent du premier mouvement d'un cœur chaud, d'une imagination vive, ou qu'ils ne s'adressent à un bienfaiteur dont on n'a plus rien à prétendre. Je dirai plus, et je le dirai librement : je veux que la reconnaissance coûte à un cœur, c'est à-dire, qu'il se l'impose avec peine, quoiqu'il la ressente avec plaisir, quand il s'en est une fois chargé. Il n'y a point d'hommes plus reconnaissants que ceux qui ne se laissent pas obliger par tout le monde; ils savent les engagements qu'ils prennent, et ne veulent s'y soumettre qu'à l'égard de ceux qu'ils estiment. On n'est jamaissance. En effet, quelque jugement qu'on soit en plus empressé à payer une dette que lorsqu'on l'a contractée avec répugnance, et celui qui n'emprunte que par nécessité gémirait d'être insolvable.

On se tromperait fort de penser qu'on favorise les ingrats en laissant la liberté d'examiner les vrais motifs des bienfaits. Un tel examen ne peut jamais être favorable à l'ingratitude, et ajoute quelquefois du mérite à la reconnais

droit de porter d'un service, à quelque prix qu'on puisse le mettre du côté des motifs, on n'en est pas moins obligé aux mêmes devoirs pratiques du côté de la reconnaissance, et il en coûte moins pour les remplir par sentiment que par devoir.

J'ajouterai qu'il n'est pas nécessaire d'éprouver un sentiment vif de reconnaissance, pour en avoir les procédés les plus exacts et les plus Il n'est pas difficile de connaître quels sont éclatants. On peut, par un certain caractère de ces devoirs; les occasions les indiquent, on ne hauteur, fort différent de l'orgueil, chercher, à s'y trompe guère, et l'on n'est jamais mieux force de services, à faire perdre à son bienfai-jugé que par soi-même; mais il y a des circonsteur, ou du moins à diminuer la supériorité qu'il tances délicates où l'on doit être d'autant plus s'est acquise.

En vain objecterait-on que les actions sans les sentiments ne suffisent pas pour la vertu. Je répondrai que les hommes doivent songer d'abord à rendre leurs actions honnêtes: leurs sentiments y seront bientôt conformes; il leur est plus ordinaire de penser d'après leurs actions, que d'agir d'après leurs principes. D'ailleurs cet amour-propre bien entendu est la source des vertus morales, et le premier lien de la société. Mais puisque les principes des bienfaits sont si différents, la reconnaissance doit-elle toujours être de la même nature? Quels sentiments doiton à celui qui, par un mouvement d'une pitié passagère, aura accordé une parcelle de son superflu à un besoin pressant; à celui qui, par ostentation ou faiblesse, exerce sa prodigalité sans acception de personne, sans distinction de mérite ou de besoin; à celui qui, par inquiétude, par un besoin machinal d'agir, d'intriguer, de s'entremettre, offre à tout le monde indifféremment ses démarches, ses soins, ses sollicitations?

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attentif, qu'on pourrait manquer à l'honneur en croyant satisfaire à la justice. C'est lorsqu'un bienfaiteur, abusant des services qu'il a rendus, s'érige en tyran, et par l'orgueil et l'injustice de ses procédés, va jusqu'à perdre ses droits. Quels sont alors les devoirs de l'obligé ? les mêmes.

J'avoue que ce jugement est dur; mais je n'en suis pas moins persuadé que le bienfaiteur peut perdre ses droits, sans que l'obligé soit affranchi de ses devoirs, quoiqu'il soit libre de ses sentiments. Je comprends qu'il n'aura plus d'attachement de cœur, et qu'il passera peut-être jusqu'à la haine; mais il n'en sera pas moins assujetti aux obligations qu'il a contractées.

Un homme humilié par son bienfaiteur est bien plus à plaindre qu'un bienfaiteur qui ne trouve que des ingrats. L'ingratitude afflige plus les cœurs généreux qu'elle ne les ulcère; ils ressentent plus de compassion que de haine : le sentiment de leur supériorité les console.

Mais il n'en est pas ainsi dans l'état d'humiliation où l'on est réduit par un bienfaiteur or

gueilleux comme il faut alors souffrir sans se plaindre, mépriser et honorer son tyran, une âme haute est intérieurement déchirée, et devient d'autant plus susceptible de haine, qu'elle ne trouve point de consolation dans l'amourpropre; elle sera donc plus capable de haïr que ne le serait un cœur bas et fait pour l'avilissement. Je ne parle ici que du caractère général de l'homme, et non suivant les principes d'une morale épurée par la religion.

On reste donc toujours, à l'égard d'un bienfaiteur, dans une dépendance dont on ne peut être affranchi que par le public.

Il y a, dira-t-on, peu d'hommes qui soient un objet d'intérêt ou même d'attention pour le public. Mais il n'y a personne qui n'ait son public, c'est-à-dire, une portion de la société commune, dont on fait soi-même partie. Voilà le public dont on doit attendre le jugement sans le prévenir, ni même le solliciter.

Les réclamations ont été imaginées par les âmes faibles; les âmes fortes y renoncent, et la prudence doit faire craindre de les entreprendre. L'apologie, en fait de procédés, qui n'est pas forcée, n'est dans l'esprit du public que la précaution d'un coupable; elle sert quelquefois de conviction; il en résulte tout au plus une excuse, rarement une justification.

Tel homme qui, par une prudence honnête, se tait sur ses sujets de plaintes, se trouverait heureux d'être forcé de se justifier: souvent d'accusé il deviendrait accusateur, et confondrait son tyran. Le silence ne serait plus alors qu'une insensibilité méprisable. Une défense ferme et décente contre un reproche injuste d'ingratitude, est un devoir aussi sacré que la reconnaissance pour un bienfait.

Il faut cependant avouer qu'il est toujours malheureux de se trouver dans de telles circonstances; la plus cruelle situation est d'avoir à se plaindre de ceux à qui l'on doit.

Mais on n'est pas obligé à la même réserve à l'égard des faux bienfaiteurs; j'entends de ces prétendus protecteurs qui, pour en usurper le titre, se prévalent de leur rang. Sans bienfaisance, peut-être sans crédit, sans avoir rendu service, ils cherchent, à force d'ostentation, à se faire des clients qui leur sont quelquefois utiles, et ne leur sont jamais à charge. Un orgueil naïf leur fait croire qu'une liaison avec eux est un bienfait de leur part. Si l'on est obligé par honneur et par raison de renoncer à leur commerce, ils crient à l'ingratitude, pour en éviter le re

proche. Il est vrai qu'il y a des services de plus d'une espèce; une simple parole, un mot dit à propos, avec intelligence ou avec courage, est quelquefois un service signalé, qui exige plus de reconnaissance que beaucoup de bienfaits matériels, comme un aveu public de l'obligation est quelquefois aussi l'acte le plus noble de la reconnaissance.

On distingue aisément le bienfaiteur réel du protecteur imaginaire : une sorte de décence peut empêcher de contredire ouvertement l'ostentation de ce dernier; il y a même des occasions où l'on doit une reconnaissance de politesse aux démonstrations d'un zèle qui n'est qu'extérieur. Mais si l'on ne peut remplir ces devoirs d'usage qu'en ne rendant pas pleinement la justice, c'est-à-dire, l'aveu qu'on doit au vrai bienfaiteur, cette reconnaissance, faussement appliquée ou partagée, est une véritable ingratitude, qui n'est pas rare, et qui a sa source dans la lâcheté, l'intérêt ou la sottise.

C'est une lâcheté que de ne pas défendre les droits de son vrai bienfaiteur. Ce ne peut être que par un vil intérêt qu'on souscrit à une obligation usurpée : on se flatte par là d'engager un homme vain à la réaliser un jour; enfin, c'est une étrange sottise que de se mettre gratuite'ment dans la dépendance.

En effet, ces prétendus protecteurs, après avoir fait illusion au public, se la font ensuite à eux-mêmes, et en prennent avantage pour exercer leur empire sur de timides complaisants; la supériorité du rang favorise l'erreur à cet égard, et l'exercice de la tyrannie la confirme. On ne doit pas s'attendre que leur amitié soit le retour d'un dévouement servile. Il n'est pas rare qu'un supérieur se laisse subjuguer et avilir par son inférieur; mais il l'est beaucoup plus qu'il se prête à l'égalité, même privée : je dis l'égalité privée; car je suis très-éloigné de chercher à proscrire, par une humeur cynique, les égards que la subordination exige. C'est une loi nécessaire de la société, qui ne révolte que l'orgueil, et qui ne gêne point les âmes faites pour l'ordre. Je voudrais seulement que la différence des rangs ne fût pas la règle de l'estime comme elle doit l'être des respects, et que la reconnaissance fût un lien précieux qui unît, et non pas une chaîne humiliante qui ne fit sentir que son poids. Tous les hommes ont leurs devoirs respectifs, mais tous n'ont pas la même disposition à les remplir; il y en a de plus reconnaissants les uns que les autres, et j'ai plusieurs

ne me paraît ni juste ni décente. Le caractère vindicatif part, dit-on, du même principe que le caractère reconnaissant, parce qu'il est également naturel de se ressouvenir des bons et des mauvais services.

:

fois entendu avancer à ce sujet une opinion qui | supérieurs, c'est-à-dire, contre les hommes plus puissants qu'eux, qu'ils peuvent quelquefois garder leur ressentiment, et chercher à le satisfaire le péril qu'il y a dans la vengeance leur fait illusion, ils croient y voir de la gloire. Mais ce qui prouve qu'il n'y a point de haine dans leur cœur, c'est que la moindre satisfaction les désarme, les touche et les attendrit.

Si le simple souvenir du bien et du mal qu'on a éprouvé était la règle du ressentiment qu'on en garde, on aurait raison; mais il n'y a rien de si différent, et même de si peu dépendant l'un de l'autre. L'esprit vindicatif part de l'orgueil souvent uni au sentiment de sa propre faiblesse; on s'estime trop, et l'on craint beaucoup. La reconnaissance marque d'abord un esprit de justice; mais elle suppose encore une âme disposée à aimer, pour qui la haine serait un tourment, et qui s'en affranchit plus encore par sentiment que par réflexion. Il y a certainement des caractères plus aimants que d'autres, et ceux-là sont reconnaissants par le principe même qui les empêche d'être vindicatifs. Les cœurs nobles pardonnent à leurs inférieurs par pitié, à leurs égaux par générosité. C'est contre leurs

Pour résumer en peu de mots les principes que j'ai voulu établir les bienfaiteurs doivent des égards à ceux qu'ils ont obligés; et ceux-ci contractent des devoirs indispensables. On ne devrait donc placer les bienfaits qu'avec discernement; mais du moins on court peu de risque à les répandre sans choix: au lieu que ceux qui les reçoivent prennent des engagements si sacrés, qu'ils ne sauraient être trop attentifs à ne les contracter qu'à l'égard de ceux qu'ils pourront estimer toujours. Si cela était, les obligations seraient plus rares qu'elles ne le sont; mais toutes seraient remplies. J'ajouterai que si chacun faisait tout le bien qu'il peut faire sans s'incommoder, il n'y aurait point de malheureux.

FIN DES CONSIDÉRATIONS SUR LES MOEURS.

TABLE ANALYTIQUE

DES

PENSÉES DE PASCAL.

A.

Abaissement de l'homme dans la religion ne le rend pas in

capable du bien. Page 89.

ABEL et CAIN. 114.

Abjection de l'homme. 122.

ABRAHAM: promesse que Dieu lui fit. 84.

Pourquoi Dieu fit naître de lui le peuple juif. 93. Fausses idées des Juifs sur ce patriarche. 94. Absurdités où se jette l'esprit de l'homme. 133.

Académiciens anciens, stoïciens, épicuriens, dogmatistes : origine de leurs écarts. 89.

Acceptation que Dieu fait du sacrifice couronne l'oblation de l'hostie. 136.

- est plutôt une action de Dieu vers la créature que de la créature vers Dieu. Ibid. et suiv.

Acte: le dernier de la vie est toujours sanglant. 129.

:

Action dans la grâce, la moindre action importe, pour les suites, à tout. 133.

Actions: les belles actions cachées sont les plus estimables. 57.
Le peu par où elles ont paru diminue leur mérite. Ibid.
Deux sources des actions purement humaines. 130.
ADAM, témoin et dépositaire de la promesse du Messie. 84.
Sa tradition transmise par Noé et par Moïse. Ibid.
Nous ne pouvons comprendre la transmission de son pé-

ché. 89.

Par lui nous sommes misérables, mais rachetés par JésusChrist. Ibid.

Admirateurs: goujat, marmiton et philosophe, chacun veut en avoir. 41.

Affection ou haine, sources d'erreur. 45.

Afflictions: le temps les amortit. 60.

- temporelles couvrent les biens éternels où elles conduisent. 116.

Il faut tâcher de ne s'affliger de rien. 123.

Peu de chose nous console, parce que peu de chose nous afflige. 58.

-Sentiments qu'il faut avoir dans les afflictions. 139.
Agitations: l'homme cherche le repos par l'agitation. 50,
de l'esprit ne font pas notre mérite. 123.
Agréer (méthode d'), difficile à démontrer. 34.
Agrément. Voyez Beauté.

Aimable : nul n'est aimable comme un vrai chrétien. Voyez
Amour. 90.

Alcoran: parallèle entre l'Alcoran et les divines Écritures. 107. ALEXANDRE LE GRAND agit, sans le savoir, pour la gloire de l'Evangile. Ibid.

On imite plutôt ses vices que ses vertus. 59. Parallèle entre lui et César. 60.

Alliance ancienne de Dieu avec les Juifs. 99.

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Ame ne trouve rien en elle qui la contente. Ibid.

- ne s'offre jamais simple à aucun sujet; ses diverses inclinations. 59.

-

Rien n'est simple de ce qui s'offre à l'âme. Ibid.

ne se tient pas aux grands efforts de l'esprit. 64.

Son immortalité difficile à prouver par des raisons naturelles. 80.

chrétienne, sa sainteté, sa hauteur, son humilité. 86. Duplicité de l'homme en a fait admettre deux. 89.

Il importe à toute la vie de savoir si elle est mortelle ou immortelle. 77, 122.

· Indubitable qu'elle est mortelle ou immortelle. 129.

– Incompréhensible qu'elle soit avec le corps; que nous n'en ayons pas. 135.

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Combien est fragile l'amitié des hommes, et même des grands. 59.

Amour : les effets en sont effroyables. 60.

Nous ne sommes pas dignes d'ètre aimés. 124, 129.
Objet légitime de l'amour, ses désordres. 129.
La comédie fait naître l'amour. 131.

- Sa violence plaît à notre amour-propre. Ibid. Amour-propre et Moi humain: sa nature est de n'aimer que soi. 41.

est opposé à la vérité et à la justice. 129.

Amour-propre : Quiconque ne se hait pas est aveugle. Ibid. Nulle autre religion que la chrétienne n'a remarqué que ce fút un péché. Ibid.

Amour de soi: règle de l'amour qu'on se doit à soi-même et au prochain. Ibid.

Deux amours créés dans l'homme, l'un pour Dieu, l'autre pour soi-même. 137.

- Depuis le péché, l'homme a perdu le premier de ces deux amours. Ibid.

- Origine de l'amour de soi. 138.

naturel et juste dans Adam innocent, criminel depuis le péché. Ibid.

Ne pas quitter l'amour de la vie, puisqu'il nous vient de Dieu. Ibid.

- Mais que ce soit pour la même vie pour laquelle Dieu nous l'a donné. Ibid.

Amour de Dieu recommandé aux Juifs. 110.

suffit pour régler la république chrétienne. 121.
C'est Dieu même que nous devons aimer en nous. 127.
Amour qu'on doit à Jésus-Christ. 130.

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