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l'ignorance ou la mauvaise foi jusqu'à lui reprocher ces paroles si célèbres de son discours du 14 janvier 1805 : « Il « (Bonaparte) n'a détrôné que l'anarchie qui régnait seule « DANS L'ABSENCE DE TOUS LES POUVOirs légitimes. » Acceptant l'usurpation comme un fait, Fontanes pouvait-il consacrer plus positivement le principe de la légitimité? Le même sentiment, et l'on peut dire les mêmes regrets et les mêmes espérances, se retrouvent dans un autre paragraphe de ce discours : « Quand le corps politique tombe en ruines, << tout ce qui fut obscur attaque tout ce qui fut illustre. La « bassesse et l'envie parcourent les places publiques en ou<< trageant les images révérées qui les décorent. On persé«< cute la gloire des grands hommes jusque dans le marbre et <<< l'airain qui en reproduisent les traits. Leurs statues tom<< bent; on ne respecte pas même leurs tombeaux. Le citoyen « fidèle ose à peine dérober en secret quelques-uns de ces res«tes sacrés. Il y cherche en pleurant l'ancienne gloire de la << patrie, et leur demande pardon de tant d'ingratitude. Ce« pendant il ne désespère jamais du salut de l'État, et, même <«< au milieu de tous les excès, il attend le réveil de tous les sen« timents généreux. »

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Le 5 mars 1806, les ministres, demandant de nouveaux impôts, étaient venus vanter au Corps législatif les victoires de l'empereur, et Fontanes leur avait répondu : « Quelle que << soit au dehors la renommée de nos armes, le Corps législatif « craindrait presque de s'en féliciter, si la prospérité inté«rieure n'en était la suite notre premier vœu est pour le « peuple, et nous devons tui souhaiter le bonheur avant la « gloire. » Le 11 mai de la même année, lorsqu'ayant chassé du trône une royale maison pour y essayer un roi de sa famille, le vainqueur envoie au Corps législatif les drapeaux conquis; lorsqu'on fait retentir autour de ces trophées les plus violentes injures contre les Bourbons de Naples et principalement contre la reine, voici comment répond Fontanes, en présence de tout le corps diplomatique et de toute la famille

impériale : « Malheur à moi, si je foulais aux pieds la gran« deur abattue, et si, sur le berceau d'une dynastie nouvelle, « je venais insulter aux derniers moments des dynasties mòu«rantes! Je respecte la majesté royale jusque dans ses humialiations; et, même quand elle n'est plus, je trouve je ne sais « quoi de vénérable dans ses débris. » Le même discours invite le nouveau gouvernement de Naplés à LEGITIMER ses droits en rendant les Napolitains heureux. Puis Fontanes finit par cette péroraison remarquable : « J'aime à le dire en finissant,

à l'aspect de ces drapeaux, devant ces braves qui ne me << désavoueront pas, et surtout au pied de cette statue qu'on «< invoque toutes les fois qu'il faut parler de la gloire; j'aime « à dire que l'amour et le bonheur des peuples sont les pre«<miers titres à la puissance; que seuls ils peuvent expier les «malheurs et les crimes de la guerre, et que sans eux la pos«térité ne confirmerait pas les éloges que les contemporains «donnent aux vainqueurs. »

Les hautes leçons données par Fontanes à Napoléon étaient toujours sans doute assaisonnées de louanges. Il admirait et fouait sincèrement en lui le restaurateur de l'ordre et de la religion, et cette volonté puissante qui, disait-il, avait plus fondé qu'on n'avait détruit. Mais son encens n'avait rien de commun avec l'encens grossier et nauséabond de la plupart des orateurs auxquels il avait à répondre. C'était un hommage délicat, plein de convenance et de mesure; c'était enfin l'hommage d'un homme de goût, supposant spirituellement que le personnage auquel il l'adresse est homme de goût comme lui.

' Membre alors du Corps législatif, l'auteur de cette notice peut affirmer avec certitude que jamais aucune des adresses ou des réponses du président ne fut communiquée d'avance au pouvoir. C'était l'expression libre et spontanée des sentiments de l'orateur., Aussi ces discours le rendirent souvent l'objet des attaques secrètes ou patentes des courtisans le plus en faveur, et les amis de Fontanes, voulant, en 1810, en faire imprimer la collection, la police impériale s'y opposa formellement.

Le moment vint pourtant où le despotisme affermi ne crut plus avoir besoin des éloges de Fontanes et s'irrita de ses leçons. Un discours de clôture (31 décembre 1808), où le président repoussait avec une courageuse dignité un bulletin impérial daté de Benavente (Espagne), bulletin insolent pour le Corps législatif et injurieux pour toute la nation, décida son éloignement. Mais comment et par qui le remplacer? Ce ne fut pas pour l'empereur un médiocre sujet d'embarras et de souci. Les dernières paroles de Fontanes avaient excité à tel point l'enthousiasme de l'assemblée, qu'il était plus que probable qu'à la prochaine session il serait réélu candidat à la pré-sidence, d'autant que cette élection se faisait au scrutin secret, moyen commode de se montrer courageux. En effet, Napoléon essaya vainement de faire porter à la candidature le comte de Montesquiou; Fontanes l'emporta à la presque unanimité,' et il fallut bien le nommer président pour l'année 1809. Mais en 1810 il échappa à la nécessité de le conserver en le faisant sénateur. Alors disparut du Corps législatif jusqu'au dernier fantôme de liberté. Une seule voix avait pu s'y faire entendre, et quand elle se tut, quel silence jusqu'au moment où, ranimé par le danger de la patrie et par le rapport de Laîné1, ce corps silencieux commença d'ébranler le colosse qui pesait sur le monde !

Transporté du Corps législatif dans le Sénat, Fontanes, n'étant point obligé d'y parler et peut-être s'en félicitant, s'y montra prudent et réservé. Avouons même, avec l'impartialité que nous avons gardée jusqu'ici, que son courage politique sembla presque se démentir dans la circonstance où le public en espérait le plus. Chargé par le Sénat de la même mission, qu'avait si bien remplie Laîné au Corps législatif,' Fontanes y demeura faible et embarrassé. Il s'interdit toutes vérités sévères et se contenta d'insister sur la nécessité de la paix. Mais qui aurait le courage de blâmer un reste de faiblesse, et

A la fin de 1813.

nous dirions presque un reste d'admiration pour l'homme auquel il devait tant, et dont la chute lui paraissait prochaine ?

Venons enfin à Fontanes grand-maître de l'Université. Cette institution avait été créée dès 1806. C'était assurément le plus vaste instrument de pouvoir qui pût être inventé par l'homme le plus profond et le mieux exercé dans la science du pouvoir. Toutefois le grand-maître ne fut nommé qu'en septembre 1808, et n'entra en fonctions qu'en 1809, soit que Napoléon reculât devant une œuvre qui déléguait à un seul homme l'empire de la jeunesse, soit qu'il voulût seulement se donner le temps d'y réfléchir. « Le Temps, dit-il un jour à Fontanes, le Temps, monsieur, je le vénère ; je lui ôte mon chapeau!» Le conseil de l'Université devait se composer de dix conseillers titulaires, et de vingt conseillers ordinaires. Fontanes, comprenant de quelle importance étaient ces choix, se hâta de présenter et fit accepter à Napoléon, non sans des débats très vifs, trois hommes dont le choix, lui dit-il, devait le plus rassurer les pères de famille : l'abbé Emery, directeur du séminaire de Saint-Sulpice, M. de Beausset, ancien évêque d'Alais, et M. de Bonald. Pour marquer encore plus la tendance religieuse de ses vues, Fontanes appela successivement auprès de lui, comme inspecteurs généraux et conseillers ordinaires, de vénérables membres de l'Oratoire, de la Doctrine chrétienne, ou de l'ordre des Bénédictins, dom Despeaux, les pères Ballan, Daburon, Roman, le spirituel et vertueux Joubert, etc., etc. L'abbé Adry, l'abbé Gallard, oncle de M. l'évêque actuel de Meaux, furent adjoints à la commission des livres classiques. Enfin M. l'abbé Frayssinous, aujourd'hui évêque d'Hermopolis, dont les éloquentes conferences avaient longtemps alarmé la philosophie moderne, fut nommé par Fontanes inspecteur de l'Académie de Paris. Si ces choix honorables devaient faire espérer une éducation religieuse, l'ins-truction, proprement dite, avait d'illustres garanties dans les Cuvier, les Jussieu, les Legendre, les Gueroult, les Laromiguière, etc., etc., appelés au conseil ou dans les facultés ; les

noms de Delille et de Larcher figuraient en tête de la faculté des lettres de Paris.

Malgré tant et de si sages préliminaires, l'administration de Fontanes eut à combattre, dès son origine, et la philosophie qui le trouvait trop religieux, et le clergé qui ne le trouvait pas assez. Telle est la destinée des hommes d'État comme des généraux d'armée: on les blâme également de ce qu'ils font et de ce qu'ils ne font pas. Mais le plus grand adversaire, contre lequel il eut à lutter pendant cinq années, ce fut Napoléon. Pour forcer tous les parents à envoyer leurs enfants aux lycées, l'empereur avait décidé que tous les pensionnats particuliers seraient fermés; Fontanes fit révoquer cette décision. La rétribution universitaire était établie par une loi : Fontanes en diminua la rigueur par d'innombrables exemptions facilement accordées. S'il est évident que le despote ne lui cédait malheureusement pas toujours, il est également certain que nul, mieux que Fontanes, ne posséda le secret d'apprivoiser cèt esprit inflexible, et de l'amener souvent à moins mal faire, et quelquefois à bien faire. En voici un exemple. Le grand-maitre n'avait pu replacer, dans la nouvelle Université, ni tous les membres des anciennes universités de France, ni ceux des autres corporations enseignantes, l'âge et les infirmités les ayant rendus pour la plupart incapables de servir. Il fut donné à chacun d'eux une pension proportionnelle suffisante pour exister. Parmi les religieux pensionnés, se trouvait le père Viel, de la congrégation de l'Oratoire, auteur de la traduction de Télémaque en vers latins, et ancien professeur de Fontanes. Cet acte de justice fut dénoncé à Napoléon comme un acte de faveur, et celui-ci, dans une audience publique, le reprocha au grand-maître comme un abus de pouvoir. Fontanes lui répondit qu'il n'avait agi dans cette circonstance qu'en vertu d'un article du décret constitutif de l'Université; à quoi Napoléon répliqua que cela n'était pas vrai. Le lendemain, Fontanes devant retourner aux Tuileries, M. le chevalier de Langeac court chez un imprimeur, y fait imprimer l'article séparément

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