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tant d'émotion. A un endroit de la première version du Jour des Morts, il était question de destin. Plus d'un vers reste en désaccord avec le dogme; ainsi, lorsqu'il s'agit, d'après Gray, de ces morts obscurs, de ces Turenne peut-être et de ces Corneille inconnus:

Eh bien! si de la foule autrefois séparé,

Illustre dans les camps ou sublime au théâtre,
Son nom charmait encor l'univers idolâtre,
Aujourd'hui son sommeil en serait-il plus doux?

dernier vers charmant, imité de La Fontaine avant sa conversion; mais depuis quand la mort, pour le chrétien, est-elle un doux sommeil et le cercueil un oreiller? En somme, la religion du Jour des Morts est une religion toute d'imagination, de sensibilité, d'attendrissement (le mot revient sans cesse); c'est un christianisme affectueux et flatté, à l'usage du XVIIIe siècle, de ce temps même où l'abbé Poulle, en chaire, ne désignait guère Jésus-Christ que comme le législateur des chrétiens. Ici, ce mode d'inspiration, plus acceptable chez un poëte, cette onction sans grande foi, et pourtant sincère, s'exhale à chaque vers, mais elle se déclare surtout admirablement dans le beau morceau de la pièce au moment de l'élévation pendant le sacrifice;

O moment solennel! ce peuplé prosterné,

Ce temple dont la mousse a couvert les portiques,

Ses vieux murs, son jour sombre, et ses vitraux gothiques;

Cette lampe d'airain, qui, dans l'antiquité,

Symbole du soleil et de l'éternité,

Luit devant le Très-Haut, jour et nuit suspendue;

La majesté d'un Dieu parmi nous descendue;

Les pleurs, les vœux, l'encens, qui montent vers l'autel,

Et de jeunes beautés, qui, sous l'œil maternel,

Adoucissent encor par leur voix innocente

De la religion la pompe attendrissante ;

Cet orgue qui se tait, ce silence pieux,

L'invisible union de la terre et des cieux,

Tout enflamme, agrandit, émeut l'homme sensible;
Il croit avoir franchi ce monde inaccessible,

Où, sur des harpes d'or, l'immortel séraphin
Aux pieds de Jéhovah chante l'hymne sans fin.
C'est alors que sans peine un Dieu se fait entendre :
Il se cache au savant, se révèle au cœur tendre;

Il doit moins se prouver qu'il ne doit se sentir.

Il y avait longtemps à cette date que la poésie française n'avait modulé de tels soupirs religieux. Jusqu'à Racine, je ne vois guère, en remontant, que ce grand élan de Lusignan dans Zaïre. M. de Fontanes essayait, avec discrétion et nouveauté, dans la poésie, de faire écho aux accents épurés de Bernardin de Saint-Pierre, ou à ceux de Jean-Jacques aux rares moments où Jean-Jacques s'humilie. Son grand tort est de s'être distrait sitôt, d'avoir récidivé si peu.

Dans le Jour des Morts, il s'était souvenu de Gray et de son Cimetière de Campagne; il se rapproche encore du mélancolique Anglais par un Chant du Barde1; tous deux rêveurs, tous deux délicats et sobres, leurs noms aisément s'entrelaceraient sous une même couronne. Gray pourtant, dans sa veine non moins avare, a quelque chose de plus curieuse-ment brillant, et de plus hardi, je le crois. Les deux ou trois perles qu'on a de lui luisent davantage. Celles de Fontanes, plus radoucies d'aspect, ne sont peut-être pas de qualité moins

'Almanach des Muses, 1783.-Fontanes, dans son voyage à Londres d'octobre 1785 à janvier 1786, vit beaucoup le poëte Mason, ami et biographe de Gray. Les filles d'un ministre, chez qui il logeait, lui chantaient d'anciens airs écossais : « Il est très vrai, écrit-il dans une lettre de Londres « à son ami Joubert, que plusieurs hymnes d'Ossian ont encore gardé leurs premiers airs. On m'a répété son apostrophe à la lune. La musique ne << ressemble à rien de ce que j'ai entendu. Je ne doute pas qu'on ne la trou<< vât très monotone à Paris : je la trouve, moi, pleine de charme. C'est un «son lent et doux, qui semble venir du rivage éloigné de la mer et se protonger parmi des tombeaux. »

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fine le chantre plaintif du Collège d'Éton n'a rien de mieux que ces simples Stances à une jeune Anglaise.

Une affinité naturelle poussait Fontanes vers les poètes anglais on doit regretter qu'il n'ait pas suivi plus loin cette veine. Il avait bien plus nettement que Delille le sentiment champêtre et mélancolique, qui distingue la poésie des Gray, des Goldsmith, des Cowper: son imagination, où tout se terminait, en aurait tiré d'heureux points de vue, et aurait importé, au lieu du descriptif diffus d'alors, des scènes bien touchées et choisies. Mais il aurait fallu pour cela un plus vif mouvement d'innovation et de découverte, que ne s'en permettait Fontanes. Il côtoya la haie du cottage, mais il ne la franchit pas. L'anglomanie qui gagnait le détourna de ce qui, chez lui, n'eût jamais été que juste. De son premier voyage en Angleterre, il rapporta surtout l'aversion de l'opulence lourde, du faste sans délicatesse, de l'art à prix d'or, le dégoût des parcs anglais, de ces ruines factices, et de cet inculte arrangé qu'il a combattu dans son Verger. De l'école française en toutes choses, il ne haïssait, pas dans le ménagement de la nature, les allées de Le Nôtre et les directions de La Quintinie, comme, dans la récitation des vers, il voulait la mélopée de Racine. En se gardant de l'abondance brillante de Delille, il négligea la libre fraîcheur des poëtes anglais paysagistes, desquels il semblait tout voisin. Son descriptif, à lui, est plutôt né de l'Epitre de Boileau à Antoine.·

:

Son étude de Pope et son projet d'un poëme sur la Nature, le conduisirent aisément à son Essai didactique sur l'Astronomie M. de Fontanes n'a rien écrit de plus élevé. Je sais les inconvénients du genre on y est pressé, comme disait en son temps Manilius, entre la gêne des vers et la rigueur du sujet :

Duplici circumdatus æstu

Carminis et rerum.

Il faut exprimer et chanter, sous la loi du rhythme, des lois

célestes que la prose, dans sa liberté, n'embrasse déjà qu'avec peine. Comme si ces difficultés ne se marquaient pas assez d'elles-mêmes, le poëte, dans sa marche logique et méthodique, dans sa pénible entrée en matière et jusque dans ce titre d'Essai, n'a rien fait pour les dissimuler. Mais combien ce défaut peu évitable est racheté par des beautés de premier ordre! et, d'abord, par un style grave, ferme, soutenu, un peu difficile, mais par là même pur de toute cette monnaie poétique effacée du XVIIIe siècle, par un style de bon aloi, que Despréaux eût contresigné à chaque page, ce qu'il n'eût pas fait toujours, même pour le style de M. de Fontanes. Cette fois, l'auteur, pénétré de la majesté de son sujet, n'a nulle part fléchi; il est égal par maint détail, et par l'ensemble il est supérieur aux Discours en vers de Voltaire; il atteint en français, et comme original à son tour, la perfection de Pope en ces matières, concision, énergie :

Vers ces globes lointains qu'observa Cassini,
Mortel, prends ton essor; monte par la pensée,
Et cherche où du grand tout la borne fut placée.
Laisse après toi Saturne, approche d'Uranus ;
Tu l'as quitté, poursuis des astres inconnus
A l'aurore, au couchant, partout sèment ta route;
Qu'à ces immensités, l'immensité s'ajoute.
Vois-tu ces feux lointains? Ose y voler encor :
Peut-être ici, fermant ce vaste compas d'or
Qui mesurait des cieux les campagnes profondes,
L'éternel Géomètre a terminé les mondes.

:

Atteins-les vaine erreur ! Fais un pas; à l'instant
Un nouveau lieu succède, et l'univers s'étend.
Tu t'avances toujours, toujours il t'environne.
Quoi? semblable au mortel que sa force abandonne,
Dieu, qui ne cesse point d'agir et d'enfanter,

Eût dit « Voici la borne où je dois m'arrêter! »

Cette grave et stricte poésie s'anime heureusement, par places, d'un sentiment humain, qui repose de l'aspect de tant

de justes orbites et répand une piété toute virgilienne à travers les sphères :

Tandis que je me perds en ces rêves profonds,
Peut-être un habitant de Vénus, de Mercure,

De ce globe voisin qui blanchit l'ombre obscure,
Se livre à des transports aussi doux que les miens.
Ah! si nous rapprochions nos hardis entretiens!
Cherche-t-il quelquefois ce globe de la terre,

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Qui, dans l'espace immense, en un point se resserre?
A-t-il pu soupçonner qu'en ce séjour de pleurs

Rampe un être immortel qu'ont flétri les douleurs ?

Et tout ce qui suit. - Le style, dans le détail, arrive quelquefois à un parfait éclat de vraie peinture, à une expression entière et qui emporte avec elle l'objet on compte ces vers-là dans notre poésie classique, même dans Racine, qui en offre peut-être un moins grand nombre que Boileau :

Quand la lune arrondie en cercle lumineux

Va, de son frère absent, nous réfléchir les feux,
Il' vous dira pourquoi, d'un crêpe enveloppée,
Par l'ombre de la terre elle pâlit frappée.

En terminant cet Essai qui est devenu un chant ou du moins un tableau, le poëte invite de plus hardis que lui à l'étude entière et à la célébration de la nature et des cieux : il se rappelle tout bas ce que Virgile se disait au début du troisième livre des Géorgiques :

Omnia jam vulgata : quis aut Eurysthea durum,

Aut illaudati nescit Busiridis aras ?

Cui non dictus Hylas puer?.

Tentanda via est, quâ me quoque possim

Tollere humo, victorque virûm volitare per ora.

'Cassini,

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