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«<et surtout la pauvreté. Quatre cents têtes sont tombées << dans l'espace d'un mois, en exécution des jugements de ces << deux commissions. De nouveaux juges ont paru et se sont <«<plaints que le sang ne coulât point avec assez d'abondance « et de promptitude. En conséquence, ils ont créé une com<< mission révolutionnaire, composée de sept membres, chargée « de se transporter dans les prisons et de juger, en un moment, <«< le grand nombre de détenus qui les remplissent. A peine le <«< jugement est-il prononcé, que ceux qu'il condamne sont <«<exposés en masse au feu du canon chargé à mitraille. Ils << tombent les uns sur les autres frappés par la foudre, et, «souvent mutilés, ont le malheur de ne perdre, à la première « décharge, que la moitié de leur vie. Les victimes qui res«pirent encore après avoir subi ce supplice, sont achevées à <«< coups de sabres et de mousquets. La pitié même d'un sexe << faible et sensible a semblé un crime deux femmes ont été << traînées au carcan pour avoir imploré la grâce de leurs «< pères, de leurs maris et de leurs enfants. On a défendu la «< commisération et les larmes. La nature est forcée de con<«<traindre ses plus justès et ses plus généreux mouvements, «<sous peine de mort. La douleur n'exagère point ici l'excès << de ses maux; ils sont attestés par les proclamations de ceux qui nous frappent. Quatre mille têtes sont encore dévouées <«< au même supplice; elles doivent être abattues avant la fin « de frimaire. Des suppliants ne deviendront point accusa«<teurs leur désespoir est au comble, mais le respect en re<< tient les éclats; ils n'apportent dans ce sanctuaire que des «< gémissements et non des murmures. »

Les murmures, les frémissements éclatèrent ce furent un moment ceux de la pitié. Il est vrai qu'ils durèrent peu. En vain Camille Desmoulins hasarda dans son Vieux Cordelier quelques maximes tardives d'humanité. Collot-d'Herbois accourut de Lyon et se justifia. On mit en arrestation les envoyés lyonnais; on se demandait qui les avait inspirés, qui avait pu faire à la Convention, par leur bouche, cette étrange

et pathétique surprise. Garat eut le bon goût de deviner et la légéreté de nommer Fontanes'.

Celui-ci ne fut pas arrêté, ou du moins il ne le fut que durant trois fois vingt-quatre heures, et par mégarde, comme s'étant trouvé dans la voiture de M. de Langeac, son ami, à qui on en voulait. Il put obtenir d'être relâché avant qu'on insistât sur son nom. Il quitta Paris et passa le reste de la terreur caché à Sevran, près de Livry, chez Mme Dufrenoy, et aussi aux Andelys, qu'il revit alors, comme nous l'attestent les vers touchants, et un peu faibles, de son Vieux Château.

Dans ce petit poëme et dans quelques autres pièces qui le suivent en date, comme les Pyrénées, le style de M. de Foutanes, il faut le dire, se détend sensiblement, ne se tient plus à cette ferme hauteur qu'avait marquée l'Essai sur l'Astronomie. La facilité fâcheuse du XVIIIe siècle l'emporte. Chaque manière (même la bonne, la meilleure, si l'on veut) est voisine d'un défaut. Quand les poëtes de l'école classique n'y prennent garde, ils deviennent aisément prosaïques et languissants, comme les autres de l'école contraire tendent très vite, s'ils ne se soignent, au boursouflé, au bigarré, ou à l'obscur. L'Art poétique de Boileau, bien autrement poétique par l'exécution que par les préceptes, les préceptes et la pratique courante de Voltaire, à force de soumettre la poésie à la même raison que la prose et au pur bon sens, allaient à remplacer l'inspiration et l'expression poétique par ce qui n'en doit être que la garantie et la limite. On s'est jeté aujourd'hui dans un excès tout contraire, et l'image tient le dez du style poétiqué, comme c'était la raison précédemment. Mais ni la raison, à proprement parler, ni l'image, en ceci, ne doivent régir. L'expression en poésie doit être incessamment produite par l'idée actuelle, soumise à l'harmonie de

Il le nomma au sein du comité de sûreté générale. On peut voir, au tome XXX de l'Histoire parlementaire de la Révolution française, pages 381, 382, 392 ct suivantes, les détails des deux séances de la Convention, 20 et 21 décembre, et la discussion du chiffre vrai des mitraillés.

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l'ensemble, par le sentiment ému, s'animant, au besoin, de l'image, du son, du mouvement, s'aidant de l'abstrait même, de tout ce qui lui va, se créant, en un mot, à tout instant sa forme propre et vive; ce que ne fait pas la pure raison. Mais, cela dit, et même dans ce poëme du Vieux Château, où le style de Fontanes est si peu ce que le style poétique devrait être toujours, une création continue; même là, de douces notes se font entendre; ces négligences, ces répétitions d'aimé, d'amour, d'amant, qui reviennent tant de fois à la dernière page, ont leur grâce touchante le secret de l'âme se trahit mieux en ces temps de langueur du talent. Or, ce qu'on suit dans cette série, aujourd'hui complète, des poésies de Fontanes, soit durant les terreurs de 93 et de 97, soit plus tard aux années de sa pompe et de ses grandeurs, c'est le courant d'une âme d'honnête homme, d'une âme affectueuse et excellente, qui se conserve jusqu'au bout et ne tarit pas; les poésies qu'on publie, même les moins vives, en sont la biographie la plus intime, trop longtemps dérobée. Elles me semblent une source couverte, discrète, familière, trop rare seulement, qui bruissait à peine sous le marbre des degrés impériaux, qui cherchait par amour les gazons cachés, et qui, depuis la Forêt de Navarre jusqu'à l'ode sur la Statue d'Henri IV, dans tout son cours voilé ou apparent, ne cessa d'être fidèle à certains échos chéris.

On a donc publié de lui le Vieux Château, le poëme des Pyrenées, en vue de sa biographie d'âme, sinon de leur mérite même, et quoique ce soit un peu comme si l'on publiait pour la première fois le Vogageur de Goldsmith après que Byron est venu.

La terreur passée, Fontanes put reparaître, et son nom le désigna aussitôt à d'honorables choix dans l'œuvre de reconstruction sociale qui s'essayait. Il se trouva compris sur la liste de l'Institut national dès la première formation', et fut nommé,

'Il le dut surtout à la proposition et à l'instance généreuse de Marie-Jo

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comme professeur de belles-lettres, à l'École centrale des Quatre-Nations. Dans deux discours de lui, prononcés en séance publique au nom des autres professeurs, on trouve déjà l'exemple de cette manière qui lui est propre, comme orateur, de savoir insinuer ses opinions sous le couvert solennel. Dans la séance d'installation, parlant des législateurs de l'antiquité et de l'importance qu'ils attachaient à l'éducation, il s'exprimait ainsi <«< Les législateurs anciens regardaient cet art «< comme le premier de tous, et comme le seul en quelque « sorte. Ils ont fait des systèmes de mœurs plus que des sys«tèmes de lois. Quand ils avaient créé des habitudes et des « sentiments dans l'esprit et dans l'âme de leurs concitoyens, <«ils croyaient leur tâche presque achevée. Ils confiaient la garde de leur ouvrage au pouvoir de l'imagination plutôt qu'à celui du raisonnement, aux inspirations du cœur hu<< main plutôt qu'aux ordres des lois, et l'admiration des siè<«<cles a consacré le nom de ces grands hommes. Ils avaient << tant de respect pour la toute-puissance des habitudes, qu'ils « ménagèrent même d'anciens préjugés peu compatibles en <apparence avec un nouvel ordre de choses. La Grèce et « Rome, en passant de l'empire des rois sous celui des ar«< chontes ou des consuls, ne virent changer ni leur culte, ni « le fond de leurs usages et de leurs mœurs. Les premiers « chefs de ces républiques se persuadèrent, sans doute, qu'un

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mépris trop évident de l'autorité des siècles et des tradi«tions, affaiblirait la morale en avilissant la vieillesse aux yeux « de l'enfance; ils craignirent de porter trop d'atteinte à la « majesté des temps et à l'intérêt des souvenirs.

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«La marche de l'esprit moderne a été plus hardie. Les << lumières de la philosophie ont donné plus de confiance « aux fondateurs de notre république. Tout fut abattu; tout «doit être reconstruit. >>

seph Chénier, qui, dans un camp politique opposé, sut toujours être juste pour un écrivain qui honorait la même école littéraire.

Dans un autre discours de rentrée, il maintenait, contrairement au préjugé régnant, la prééminence du siècle de Louis XIV, et des grands siècles du goût en général, nonseulement à titre de goût, mais aussi à titre de philosophie :

<< Chez les Latins, si vous exceptez Tacite, les auteurs «< qu'on appelle du second âge, inférieurs pour l'art de la com<< position, les convenances, l'harmonie et les grâces, ont aussi << bien moins de substance et de vigueur, de vraie philosophie << et d'originalité, que Virgile, Horace, Cicéron et Tite-Live. «La France offre les mêmes résultats. A l'exception de trois « ou quatre grands modernes qui appartiennent encore à << demi au siècle dernier, vous verrez que Racine, Corneille, « La Fontaine, Boileau, Molière, Pascal, Fénelon, La << Bruyère et Bossuet, ont répandu plus d'idées justes et véri<< tablement profondes que ces écrivains à qui on a donné « l'orgueilleuse dénomination de penseurs, comme si on n'a<< vait pas su penser avant eux avec moins de faste et de <«<< recherche. >>

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La théorie littéraire de Fontanes est là; son originalité, comme critique, consiste, sur cette fin du XVIIIe siècle, à déclarer fausse l'opinion accréditée, « si agréable, disait-il aux << sophistes et aux rhéteurs, par laquelle on voudrait se per«< suader que les siècles du goût n'ont pas été ceux de la philo«sophie et de la raison. » C'était proclamer au nom des Écoles centrales précisément le contraire de ce que Garat venait de prêcher aux Ecoles normales. Il devançait dans sa chaire et préparait honorablement la critique littéraire renouvelée, que le Génie du Christianisme devait bientôt illustrer et propager avec gloire. Ainsi, en parlant un jour des mœurs héroïques de l'Odyssée, il les comparait aux mœurs des patriarches, et rapprochait Éliézer et Rebecca de Nausicaa. Vite on le dénonça là-dessus dans un journal comme contre-révolutionnaire, et on l'y accusa de recevoir des rois de grosses sommes pour professer de telles doctrines.

Fontanes ne se renfermait pas, à cette époque, dans son

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