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pouillé de toute attribution spirituelle, ne serait, et encore uniquement par délégation, qu'un simple administrateur des intérêts matériels de l'Etat, tout le reste demeurant libre, la difficulté serait moins grande, mais en apparence seulement, comme on le verra bientôt. Rien ne gênerait l'exercice de la puissance spirituelle à l'égard de ceux qui la reconnaîtraient. Leur pleine liberté civile serait une pleine garantie de ses droits. Mais il est clair que, dans cette hypothèse, il faudrait abandonner l'ancienne notion qu'on s'est faite du pouvoir, et l'on n'y est pas certes disposé. Après avoir tourné dans le cercle sans fin de la vieille controverse, nous avions essayé de trouver au problème qui préoccupe le monde une solution par cette nouvelle voie. On a refusé d'y entrer, et, en ce qui tient à cette solution même, avec toute raison. Car, nous l'avouons hautement, en admettant les idées qu'on a repoussées avec une si vive chaleur, on transforme seulement la difficulté, on ne la résout pas, ainsi que l'on va s'en convaincre.

Supposons en effet une société se gouvernant elle-même par des délégués temporaires responsables. Cette hypothèse exclut l'idée même d'un pouvoir politique et civil tel que celui dont on a si vainement cherché à concilier l'indépendance reconnue en droit, avec celle également reconnue de la puissance spirituelle. Mais en sera-t-on plus avancé? Nullement. Toutes les questions qui se présentaient à l'égard du prince renaîtront à l'égard de la nation ainsi constituée. La distinction des

droits propres et absolus des deux puissances étant établie en principe général, sans que ces droits fussent ni pussent être déterminés en particulier, il s'agissait de comprendre la possibilité d'une règle pratique qui garantit le libre et plein exercice des siens à chacune de ces puissances, la possibilité de l'indépendance respective du prince et de l'Eglise. Il s'agira maintenant de comprendre la possibilité de l'indépendance respective de l'Eglise et de la nation que l'on suppose se gouverner elle-même : car elle a aussi ses droits propres en tant que nation, il existe aussi pour elle un ordre purement civil, indépendant par son essence de l'autorité spirituelle. On se retrouve donc au même point, et la difficulté est encore au-delà.

Essayons de poser la question dans sa plus grande généralité, telle qu'aujourd'hui elle se présente, quoique vaguement et confusément, aux esprits qu'elle inquiète. Ce n'est au fond ni une question de prince, ni une question de peuple; c'est l'immense question des rapports de l'humanité tout entière avec l'autorité spirituelle catholiquement conçue.

Selon la croyance universelle du genre humain, il existe un certain ordre de vérités qui ont le caractère de lois, et qui, sous ce rapport, sont hors du domaine de la raison et de la volonté libre. Ainsi nulle part ce qui blesse l'idée et le sentiment de justice, partout fondamentalement uniformes, n'a', aux yeux de la conscience, ce caractère de liberté. Personne, en aucun lieu, ne sera, par exemple,

QUEST. POL.

T. I.

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admis à se justifier d'un meurtre, en disant, mor opinion est qu'on peut tuer à sa fantaisie. En un mot, le genre humain croit à un droit obligatoire invariable qu'on est tenu d'admettre parce qu'on est tenu d'y conformer ses actes. Mais il croit aussi qu'en dehors de ce droit chacun peut licitement agir et penser à son gré, sans autre règle que la règle logique et naturelle de la raison même. Donc, pour lui, deux ordres, un ordre d'obéissance et un ordre de liberté, et l'homme, passif dans le premier ordre, n'étant actif que dans le dernier, c'est en celui-ci que s'opère le développement de l'humanité, en lui que réside le principe de tout progrès comme de tout mouvement.

D'accord avec la foi et la conscience du genre humain, le catholicisme admet ce qu'elles proclament. Il reconnaît formellement l'existence des deux ordres que nous venons de nommer d'obéissance et de liberté. Partant du fait de la révélation, qui est sa base première, il établit qu'en dehors des dogmes et des préceptes révélés, la raison et la volonté sont, à son égard, entièrement libres. Il ajoute seulement que le fondateur du christianisme a institué une autorité extérieure perpétuelle, pour conserver, promulguer, interpréter infailliblement le dogme et les préceptes révélés. On doit obéir à cette autorité en tout ce qui est de sa sphère, en tout ce qui dépend de la révélation; cette dette acquittée, on ne lui doit rien en vertu de son droit propre.

Ces deux ordres, reconnus unanimement, renferment les conditions essentielles de la vie de l'hu

manité, et correspondent respectivement à ses deux lois premières la loi d'unité, qui comprend les devoirs, lesquels lient les hommes entre eux et à Dieu même; la loi de liberté, par laquelle s'opère le développement individuel et le développement commun. Bien que ces ordres subsistent simultanément et se supposent l'un l'autre à plusieurs égards, on ne saurait les concevoir comme distincts sans les concevoir comme indépendants. Faire dépendre en effet, à un degré quelconque, l'obéissance de la liberté, la liberté de l'obéissance, c'est évidemment les détruire toutes deux. Quel que soit l'acte, on n'obéit pas quand on est de droit libre de ne pas obéir; on n'est pas libre quand on est de droit obligé d'obéir.

La question maintenant consiste à savoir, le système catholique étant donné, comment ces deux ordres également légitimes, également nécessaires, peuvent subsister ensemble, complets tous deux, indépendants tous deux. Cette question est implicitement au fond de tous les esprits, et quiconque la comprendra bien, avouera qu'il n'en est aucune aujourd'hui de plus importante, aucune qui appelle plus impérieusement une prompte et tranquilisante solution. Et comme nulle solution qui ne porte pas sur le point précis de la difficulté ne satisfait jamais, ou ne satisfait pas long-temps, nous croyons remplir un devoir et travailler à rétablir l'harmonie maintenant brisée de l'intelligence humaine, à préparer l'heureux moment où disparattront les doutes qui l'obsèdent, en essayant de fixer

ce point précis sur lequel il est très-pressant de diriger une vive et nouvelle lumière. Il ne faut rien moins qu'un motif si grave, pour surmonter en nous la répugnance que nous éprouvons à toucher certains sujets délicats dont nous voudrions écarter le souvenir, et qu'il sera cependant indispensable de rappeler, pour ne laisser dans l'ombre aucune des faces du problème que le temps résoudra.

L'autorité divine de la hiérarchie catholique étant posée, ainsi que la liberté humaine dans ce qui n'est pas du ressort de cette autorité, on cherche, premièrement, s'il est possible que la liberté envahisse le domaine de l'autorité, et l'autorité le domaine de la liberté; secondement, s'il est un moyen, dans le cas où ces envahissements réciproques soient possibles, de les constater avec certitude et de les réprimer sans porter atteinte soit à l'autorité soit à la liberté.

La possibilité des envahissements réciproques est certaine de fait. Le dogme et les préceptes révélés ont été maintes fois attaqués par la raison; on a nié maintes fois l'autorité de la hiérarchie, ou, sous une multitude de prétextes divers, on en a, sans la nier, entravé l'exercice. Les monuments de l'histoire et de la tradition catholique montrent l'Eglise perpétuellement en guerre pour défendre soit sa doctrine contre la hardiesse de la pensée, soit sa juridiction contre les entreprises de la puissance civile; et personne ne doute que, dans cette guerre, le droit n'ait été souvent et le plus souvent peut-être de son côté.

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