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Il n'en est pas moins certain que

la hiérarchie a bien des fois porté atteinte à la légitime liberté de la raison, comme à la liberté qui appartient à l'homme, en tout ce qui ne tombe pas sous les prescriptions de la loi divine, de la loi morale révélée. Comme il s'agit ici de faits qui, en définitive, sont toujours appréciés par le simple bon sens général et la conscience humaine, toutes les subtiles argumentations, toutes les distinctions, tous les détours logiques, à l'aide desquels on peut disputer éternellement dans une école, doivent être écartés, parce qu'au fond la conscience et le simple bon sens n'en tiennent aueun compte. Ainsi, peu importe, sous ce rapport, que tel ou tel acte de la hiérarchie ait ou n'ait pas le caractère d'une irréformable décision de foi, parce que, fût-on même toujours d'accord sur ce qui offre ce caractère, les principes du catholicisme ne réduisent point à cet unique cas la soumission due à la puissance spirituelle, et que, d'après ces principes, on lui doit encore, en une infinité d'autres cas, une obéissance non moins effective. Des propositions, des opinions peuvent être condamnées non seulement comme hérétiques, mais encore comme fausses, erronées, scandaleuses, mal sonnantes, et, sous ces qualifications et autres semblables, les catholiques sont également obligés de les rejeter, sans quoi l'on ne concevrait rien à l'autorité de l'Eglise enseignante. La hiérarchie exerce de plus un autre genre de pouvoir sur les consciences qu'elle a charge de diriger. En vertu de ce pouvoir, elle résout les doutes

qui peuvent se présenter relativement à la conduite, prescrit certains actes, en interdit d'autres en un mot, dans cet ordre encore, elle fait l'office de juge et sanctionne ses jugements par des peines spirituelles.

Quand donc on examine l'usage que la hiérarchie a fait de sa puissance, il est indispensable de considérer l'ensemble de ses actes quels qu'ils soient; car ils lui appartiennent tous également, et c'est de leur ensemble que se compose l'influence totale qu'elle a exercée. La question qu'en ce moment nous traitons n'est point une question théologique, mais une question plus générale, qui embrasse à la fois les deux grandes lois d'unité et de liberté. On peut, en théologie, soutenir que la doctrine de Savonarole, examinée de rechef après sa mort et solennellement alors déclarée irrépréhensible 1, n'a jamais été condamnée par un jugement dogmatique définitif, non plus que celle de Galilée. Toutefois, la prison de l'un, le bûcher de l'autre, ont pourtant quelque force de censure, et ces deux exemples peuvent servir à montrer comment, soit par erreur, soit par passion, la hiérarchie peut envahir les droits de la raison libre, en même temps qu'ils prouvent qu'elle les a de fait envahis quelques fois. Ses querelles presque permanentes avec le pouvoir temporel, l'abus des excommunications et des interdits pour des intérêts purement

1 Sa canonisation fut sollicitée par saint François de Paule, saint Philippe de Néri et sainte Catherine de Rieci.

humains, abus si fréquent à de certaines époques, et sur lequel, comme sur plusieurs autres, il nous répugnerait de nous étendre, prouve également qu'elle ne s'est pas à beaucoup près renfermée toujours, en ce qui regarde les actes naturellement libres, dans les limites de sa juridiction propre. Nous ne sachons pas que ceci soit contesté de personne, et quelles que soient de part et d'autre les chicanes de détail, ce que nous venons de dire des usurpations réciproques de l'autorité religieuse et de la liberté philosophique et civile n'est que l'expression de la conscience universelle.

Or, existe-t-il un moyen de constater, en chaque circonstance, avec certitude ces mutuelles usurpations, et de les réprimer sans porter atteinte soit à la liberté soit à l'autorité? Telle est la question que nous avons posée, et dont l'importance évidemment n'est pas moins essentielle que celle des deux lois mêmes à la conservation desquelles il s'agit de trouver une garantie. D'un côté, l'humanité libre, et qai périt si elle ne demeure libre: de l'autre côté, une puissance divine instituée pour maintenir, au scin de la liberté, la connaissance certaine des devoirs qui, en bornant cette liberté même, la ramènent à l'unité de l'ordre. Tels sont les deux éléments de la vie, qui doivent subsister ensemble, harmoniquement liés et indépendants, comme nous l'a

vons vu.

On est d'abord forcé de reconnaître qu'entre la hiérarchie, d'une part, et l'humanité libre de l'autre, il n'existe aucun juge possible. Nul moyen

done, en cas de conflit, d'arriver par cette voie à une décision. Que si cependant chacun reste, au même titre, juge de son droit, ce n'est pas rétablir la paix, c'est perpétuer la guerre. Nulle décision encore, nul jugement. Nécessité donc que ce soit une des parties dissidentes qui juge. Mais comme, en premier lieu, il est prouvé que toutes deux ont de fait excédé leurs droits, qu'elles ont toutes deux dépassé les bornes de leur domaine respectif, quelle que soit celle qui juge, son jugement ne donnera point la certitude cherchée. Aucune, en second lieu, ne peut être reconnue pour juge, sans que l'autre aussitôt ne tombe sous sa dépendance absolue. Plus d'autorité catholiquement conçue, si elle dépend dans son exercice, dans l'obligation de lui obéir, d'un examen et d'un jugement préalables de ceux qui doivent y être soumis. Plus de liberté, si sans jugement, sans examen, on doit lui obéir en tout et toujours; car alors on ne sera libre que sous son bon plaisir, quand elle le voudra, autant qu'elle le voudra, et pas davantage. La liberté absorbera l'autorité, ou l'autorité la liberté. Les lois constitutives de la nature humaine seront renversées de fond en comble.

Voilà, encore un coup, la question qui fermente sourdement dans les esprits, qui les agite et les inquiète. On ne gagnerait rien, tout au contraire, à la dissimuler. Nous avons cru de notre devoir de l'exposer nettement d'autres la résoudront; ce n'est pas notre tâche. Nous ne faisons ici que l'histoire critique de nos propres idées et

des discussions auxquelles nous avons pris part. Le premier article de 1682 déclare que le pouvoir civil est immédiatement établi de Dieu, expression vague et susceptible de plusieurs sens qu'il importe de distinguer, à cause des conséquences diverses qui se rattachent à chacun d'eux. En tant que, par cette maxime, on rapporte à Dieu l'origine essentielle du pouvoir, elle est manifestement incontestable. Car le pouvoir en général est un des moyens de l'ordre nécessairement voulu de Dieu; et comme il enferme de plus, sous toutes les formes possibles de gouvernement, la notion de droit, il est encore de Dieu en ce sens, puisqu'on ne peut concevoir aucun droit qui n'ait pas en Dieu son primitif principe. Mais si le pouvoir essentiel a son origine en Dieu, et vient de lui immédiatement, il n'est pas vrai que Dieu le confère immédiatement ou à tel homme, ou à telle collection d'hommes déterminée, et c'est la distinction que faisait, dès le quatrième siècle de l'ère chrétienne, saint Jean Chrysostome. A qui donc appartient l'immédiate collation du pouvoir, le choix de l'individu ou du corps qui l'exerce? Le sentiment commun parmi les catholiques est que le pouvoir réside radicalement dans la communauté, qui le délégue; et Bossuet lui-même accorde au peuple un droit d'intervention, qu'à la vérité il ne définit point, dans cet acte constitutif du gouvernement sous lequel il vit. D'autres, lui refusant ce droit, livrent la société à un despotisme absolu et sans remède, puisqu'on ne saurait se défendre contre lui sans attaquer

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