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No 3. Les Barbares et le christianisme

I

On ne sait si les Barbares sont venus pour conquérir le monde romain ou pour embrasser la foi chrétienne. Leur conversion se fait comme d'elle-même. Quand les Vandales, les Suèves, les Alains, les Lombards, devinrent-ils chrétiens? On l'ignore. Les Goths se convertirent en masse, lorsque, chassés par les Huns, ils reçurent l'hospitalité sur le sol de l'empire. On dit que la terreur inspirée par l'invasion des Huns, poussa les Bourguignons à chercher un appui dans le Dieu des chrétiens. Les Francs se firent baptiser à la voix de leur chefs. Il y a de quoi crier au miracle, et il y aurait en effet miracle, si les Barbares avaient su ce qu'ils faisaient. Mais qui croira que des hommes incultes, superstitieux, aient embrassé par conviction une religion qu'ils ne comprenaient point? Les écrivains catholiques disent que les Barbares trouvèrent ce qu'ils ne cherchaient point; il faut ajouter qu'ils firent ce qu'ils ne voulaient pas faire. Leur mission se lie à celle de Jésus-Christ. Sans Jésus-Christ, les Barbares ne seraient pas devenus les sauveurs de l'humanité; et sans les Barbares, il n'y aurait pas eu de christianisme. Voilà une étrange solidarité; il faut avant tout le mettre dans tout son jour.

Pourquoi les Barbares se convertissent-ils en un jour, tandis que des siècles n'avaient pas suffi pour convertir les Romains? Pourquoi sous le régime de peuples incultes, le christianisme prend-il une force nouvelle, tandis qu'il se corrompait au contact de la civilisation antique? Chateaubriand répond à notre première question « Le monde était trop corrompu, trop rempli de vices, de cruautés, d'injustices, pour qu'il pût être entièrement régénéré par le christianisme. Une religion nouvelle avait besoin de peuples nouveaux (1). » Il y a une profonde vérité dans ces paroles; quand la corruption a vicié les éléments vitaux d'un peuple, il ne peut être sauvé par une croyance religieuse, du moins la religion ne suffit point; l'infusion d'un sang nouveau peut seule lui rendre

(1) Chateaubriand, Études historiques.

la vie. Le monde romain en était là. Que l'on voie ce qui se passa à Constantinople. Les vices de l'antiquité envahirent la nouvelle capitale de l'empire avec les débris de la culture antique; la corruption nourrit le despotisme, et le despotisme nourrit la corruption. Comment le christianisme aurait-il fructifié dans cette pourriture? Le Grecs se convertirent à l'Évangile, mais ils restèrent païens d'esprit, d'habitudes et de vices. Le christianisme ne pouvait donner à ces êtres dégénérés la pureté de l'âme; il ne pouvait pas leur donner l'esprit de liberté, lui-même ne l'avait point. Il fallut que Dieu envoyât les Barbares.

Dieu les avait conservés purs des souillures de la décrépitude romaine, au sein de leurs forêts. Quand les Romains les virent de près, ceux que la foi nouvelle avait régénérés furent étonnés de tant de pureté, alors que les prétendus chrétiens de l'empire se vautraient dans l'impureté. Écoutons Salvien; il n'idéalise pas les Germains, il ne dissimule pas leurs vices; il reconnaît que les Francs sont perfides, les Saxons féroces, les Gépides inhumains, les Alemans ivrognes; mais quand il les compare aux Romains de l'empire, quand il oppose les Gaulois, les Espagnols, les Africains, aux hommes du Nord, les Barbares l'emportent. « Nous aimons l'impureté, s'écrie le prêtre gaulois; les Goths la détestent. La débauche est un crime chez eux; chez nous c'est un honneur. Les vices des Espagnols surpassent les nôtres; pour témoigner sa réprobation de leur corruption excessive, Dieu les a soumis au joug des plus purs des Barbares, les Vandales. » Les Romains que Salvien compare aux Barbares étaient chrétiens. Cinq siècles s'étaient écoulés depuis la prédication de la bonne nouvelle. Chrétiens en apparence, les anciens n'avaient pas cessé de se corrompre et de marcher vers la décrépitude et la dissolution. Viennent donc les Barbares!

Mais vinrent-ils d'eux-mêmes? Est-ce en vue du christianisme qu'ils quittèrent leurs forêts? Ils cherchaient des terres, un ciel plus doux, ils aimaient les batailles et les festins. Cependant, rien n'est plus évident; ils sont venus pour Jésus-Christ dont ils n'avaient pas encore entendu le nom, de même que le Fils de l'Homme est venu pour les Barbares dont il ne soupçonnait point l'existence. Qui a envoyé le Christ pour humaniser les Barbares? Qui a envoyé les Barbares pour sauver le christianisme de la dé

crépitude romaine? Il y a là un dessein si évident, qu'il faut admettre que c'est Dieu qui l'a conçu. Les Barbares remplacent les Romains sur la scène de l'histoire; ils apportent au monde un sang pur et des âmes pures. Mais ils sont incultes, il leur faut une longue éducation pour les humaniser. C'est l'Église qui leur servira d'institutrice. Mais pour que l'Église fût prête à les élever, il a fallu que le christianisme se consolidât sous le régime séculaire de la paix romaine. Et qui a préparé la voie au Christ? L'antiquité tout entière, les conquérants comme les philosophes, les législateurs comme les poètes. Cet étonnant enchaînement qui préside à l'éducation de l'humanité ne serait pas l'œuvre d'une puissance intelligente, libre, consciente! L'histoire nous pousse, malgré nous, à adorer Celui qui nous guide avec cette admirable sollicitude vers le terme de notre destinée.

II

Il y a des esprits qui résistent à cette bienfaisante conviction. Accablons-les de preuves, ils céderont devant l'évidence des faits. Les Barbares viennent détruire l'empire. Ils accomplissent leur œuvre de destruction, presque sans rencontrer de résistance. Que dis-je? ils trouvent des auxiliaires parmi ceux qu'ils viennent dépouiller; on vit des Romains préférer la barbarie de leurs vainqueurs à une civilisation qui n'était plus que despotisme et servitude. Voilà encore une fois un étrange concours de circonstances. L'empire énerva les populations et les livra sans défense au joug des Barbares. Ce même empire, par son unité, par sa paix, prépara la voie aux apôtres du Christ, tout en compromettant l'avenir du christianisme par sa corruption. Les Barbares arrivent; les Romains leurs résistent à peine; ils vont au devant de leurs destructeurs. Pourquoi les Barbares viennent-ils, quand le monde romain épuisé par le despotisme, leur tend les bras? pourquoi l'invasion ressemble-t-elle à une occupation qui se fait avec le concours de ceux que l'on dépouille? A ces questions nous cherchons vainement une réponse, si l'on bannit Dieu de l'histoire. Sa providence explique tout, tandis que, sans le gouvernement providentiel, la destinée de l'humanité est un dédale de contradictions.

Dieu envoie les Barbares quand le monde romain est préparé à les recevoir, parce que la conquête et l'invasion, malgré la violence qui les accompagne, ne doivent pas être une destruction complète; il faut que la culture intellectuelle de l'antiquité survive, pour devenir un des éléments de la civilisation moderne. L'invasion doit tout ensemble détruire et conserver, pour régénérer ensuite la société romaine. Voilà pourquoi les Barbares n'arrivent que lorsque la paix de l'empire a permis au christianisme de s'établir et de prendre racine. Mais la paix de l'empire est aussi un principe de corruption; elle est donc tout ensemble un auxiliaire de la religion nouvelle et un obstacle. Les Barbares viennent, envoyés par Dieu, pour sauver le christianisme de la pourriture. antique, tout en profitant de ce qu'il y a encore de germes intellectuels dans cette civilisation décrépite. Adorons la Providence divine qui conduit l'humanité à sa fin, à travers ce dédale de contradictions!

Les Barbares viennent sauver le christianisme. Mais s'ils sont les auxiliaires du Christ, le christianisme est aussi l'auxiliaire des Barbares. Le fait a déjà été constaté par les anciens: Rome, victorieuse sous le règne du paganisme, déclina et périt sous la domination de la religion nouvelle. Faut-il faire un crime aux chrétiens de cette espèce de complicité? Ceux des Romains qui restèrent fidèles au culte de leurs pères, ne manquèrent point d'accuser les sectateurs de la religion chrétienne d'avoir appelé les Barbares. Non, il n'y avait pas de complicité véritable; à considérer leurs intentions, les chrétiens étaient innocents et les Pères de l'Églises ont raison de repousser ces accusations passionnées. Cependant il est vrai aussi de dire qu'il y avait une alliance entre les Barbares et le christianisme. Qui persuada aux hommes qu'ils étaient étrangers sur cette terre, et qu'ils ne devaient prendre souci ni de la cité ni de la patrie? Qui conduisit dans les déserts ou dans les couvents les milliers de fidèles qui désertaient la société, et abdiquaient les devoirs qu'elle impose? C'est en pratiquant les conseils de la perfection évangélique que les chrétiens devinrent des citoyens inutiles : le christianisme ouvrait le ciel, dit Voltaire, mais il perdit l'empire. Cependant les Pères de l'Église avaient applaudi à l'empire, ils avaient celébré la paix qu'il donnait au monde comme un don du Fils de Dieu, le

prince de la paix. Voilà une nouvelle contradiction et elle est insoluble, si l'on bannit Dieu de l'histoire; tandis qu'au point de vue providentiel, rien n'est plus naturel. Oui, les Barbares et le christianisme sont alliés intimes, inséparables. Sans le christianisme, les Barbares auraient détruit, ils n'auraient pas régénéré; sans les Barbares, le christianisme eût péri dans la décrépitude universelle, ou il aurait eu l'existence honteuse et inutile que nous lui voyons à Constantinople.

Les Barbares sont des auxiliaires que Dieu envoie au christianisme, pour déblayer les débris du paganisme romain et pour fonder l'Église catholique. Non seulement leur génie simple et pur s'accommode mieux au christianisme que la civilisation corrompue et décrépite de l'empire; ce sont encore eux qui répandent l'Évangile dans le monde occidental. Parmi ces barbares, il y avait un peuple élu : les Francs détruisirent l'hérésie arienne qui menaçait l'unité et l'existence même de l'Église, ils prétèrent l'appui de leur puissance aux missionnaires qui allaient convertir les hommes du Nord. La conversion de l'Allemagne se fit sous la protection et même par les armes des rois francs. On peut déplorer l'intervention de la force dans la propagande religieuse, mais il faut reconnaître le fait. Saint Boniface, l'apôtre de la Germanie, avoue que,« sans. les ordres et la crainte du prince des Francs, il ne pourrait diriger les peuples, ni interdire les superstitions des païens et le culte sacrilége des idoles. » Cependant Boniface prêchait l'Evangile à des populations soumises à la domination des Francs! Charles Martel.convertit les Frisons, l'épée à la main. Et c'est encore lui, le marteau, qui arrêta l'invasion des Arabes. Ne dirait-on pas des soldats enrôlés au service du Christ? Le lien qui unit les Francs au christianisme est si intime, que leur premier historien intitula sa chronique Histoire ecclésiastique.

L'Église, de son côté, aida à constituer l'empire des Francs. Clovis, après sa conversion, trouva un auxiliaire, ou pour vrai dire, un complice, partout où il y avait un évêque orthodoxe. C'est que les peuples barbares sur lesquels il devait conquérir les Gaules, étaient attachés à l'arianisme. Toutes les espérances des catholiques se tournèrent vers le roi des Francs. Les évêques qui vivaient sous la domination des Bourguignons et des Visigoths, adressèrent au nouveau Constantin des félicitations qui ressem

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