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Comment la faiblesse parvint-elle à vaincre la force? Si les Espagnols avaient dû lutter seuls contre le tout-puissant empereur, ils auraient succombé; la justice de Dieu serait toujours venue, mais tardive et avec moins d'éclat. L'appui de l'Angleterre n'aurait pas suffi pour vaincre le grand capitaine, s'il avait concentré ses forces et son génie sur la guerre d'Espagne, et il tenait à lui de le faire. La plus simple prudence le lui commandait. Au lieu de combattre les Espagnols et les Anglais, il se jeta dans la plus folle des guerres. Lui-même ne savait pourquoi il entreprenait l'expédition de Russie. Napoléon dit, dans une proclamation, « que la Russie est entraînée par la fatalité, que ses destinées doivent s'accomplir. » Il écrit à Alexandre «< que la providence invisible, dont il reconnaît les droits et l'empire, a décidé de cette affaire comme de tant d'autres.» En effet il y avait un homme, grand parmi les grands, qui était entraîné par la fatalité de ses passions. L'Europe coalisée contre lui n'était pas parvenue à le vaincre; il fallut que lui-même mit la main à l'oeuvre pour ruiner sa puissance. En le voyant entreprendre cette guerre insensée, un ancien général de la République, Dumouriez, s'écria: «< Ceux que Dieu veut perdre, il commence par les aveugler. » La main de Dieu est visible, c'est la main de Dieu vengeur des droits de l'humanité, outragés par le nouveau César. La catastrophe de Russie ne suffit pas pour le ramener à la raison. Il créa une armée nouvelle comme par enchantement; mais il rencontra un adversaire nouveau, l'esprit de liberté. L'invincible fut vaincu, mais telle était la terreur de son nom que les vainqueurs lui offrirent des conditions magnifiques. Il les refusa; c'était signer son abdication. La France aurait pu le sauver : elle avait déjà combattu l'Europe entière, sans avoir à sa tête un homme de guerre comme Napoléon, mais en 93 elle était animée de l'enthousiasme de la liberté. La liberté s'agita encore en 1813, faible et respectueuse pour son maître. Napoléon la répudia, il ne voulait pas en entendre parler. Il court à sa perte. L'expiation commence.

Ce n'est pas Moscou, ce n'est pas Leipzig, ce n'est pas SainteHélène, qui est l'expiation prédite par les Espagnols à Napoléon : c'est le peuple qui abandonne son empereur, l'élu du peuple, parce qu'il ne voit plus en lui qu'un insensé, l'auteur de tous ses maux, l'oppresseur des nations, le bourreau de la France, le plus

épouvantable tyran qui ait jamais pesé sur l'espèce humaine. Voilà les dures vérités que le conseil municipal de Paris adressa à celui qui naguère était l'idole de la France. Et que dit la nation? Elle resta inerte, en présence du plus grand malheur qui puisse frapper un peuple généreux, l'invasion de l'étranger. L'égoïsme est puni par lui-même; Napoléon avait tout rapporté à lui, il n'y avait plus qu'un homme en France, l'empereur. La nation se retira de lui, et le géant tomba.

II

Napoléon tombe, parce qu'il a déserté les principes de la Révolution dont il était le missionnaire armé. Les rôles sont renversés. Ce sont les rois coalisés contre les principes de 89 qui les inscrivent sur leurs drapeaux; c'est par les ennemis de la Révolution que la Révolution triomphe. Ceci tient du prodige. L'Europe féodale s'était coalisée pour le maintien de la féodalité et de la vieille monarchie. Si elle avait été victorieuse en 92, il y aurait eu une Terreur blanche tout aussi sanglante que la Terreur rouge et la liberté eût été ajournée d'un siècle. Toutes les ligues formées par les rois échouèrent, c'est Napoléon lui-même qui se chargea de se vaincre. A la suite du désastre de Moscou, on voit un spectacle étrange. Les rois du Nord, chefs de peuples à moitié barbares, parlent le langage de la Constituante. Ils promettent aux princes et aux peuples liberté et indépendance; leur seul but, à les entendre, est de conquérir les droits inaliénables des nations. Quand on lit les proclamations des généraux russes et prussiens, on se croirait sous la Convention nationale : « Frères, s'écrie l'un, marchons ensemble, c'est pour la liberté de l'Allemagne. Toute distinction de naissance, de rang, de pays est bannie de nos légions. Nous sommes tous des hommes libres. » Un autre, c'est un Russe, dit que l'empereur de Russie et le roi de Prusse ne se sont armés que pour aider les peuples à recouvrer leur liberté et leur indépendance, ces biens héréditaires qui leur ont été enlevés, mais qui sont imprescriptibles.

Voilà des instruments de Dieu, s'il en fut jamais. Pourquoi se sont-ils coalisés en 92 contre la France ? Parce que la Révolution avait proclamé les droits des hommes et des peuples, ce qui mi

nait dans ses fondements la vieille royauté. Et maintenant ils proclament ces droits inaliénables et imprescriptibles! C'est hypocrisie, c'est tromperie, nous le voulons bien. A peine vainqueurs, ils oublièrent leurs belles paroles; à Vienne ils traitèrent les peuples comme des troupeaux. Mais cela prouve au moins une chose, c'est que les rois absolus sentaient que leur règne devait finir. Ils font d'habitude la cour à la force. Sous l'empire, on les voyait faire antichambre chez Napoléon, et se confondre avec les valets de cour, valets eux-mêmes. L'empereur était le plus fort. Or voici ces rois qui font la cour à la liberté. Preuve que la liberté est devenue une puissance plus grande que Napoléon. Ils la trompent, ils se jettent en aveugles dans une réaction stupide, ils se croient les maîtres. Mais 1830, 1848, continuent le mouvement de 89. Le rois s'en vont et les peuples arrivent. En définitive, les rois sont des instruments dans les mains de Dieu, et on peut dire aussi qu'ils concourent à ses desseins. Quand ils prennent les armes contre la Révolution, ils ne se doutent certes pas du rôle qu'ils jouent; ils déchaînent le monstre révolutionnaire, et ils ne cessent de combattre Napoléon comme l'homme de la Révolution, jusqu'à ce que les trois couleurs, symbole de la liberté, aient fait le tour de l'Europe. Alors ils s'aperçoivent quelle est la puissance irrésistible de la liberté. Ils ont conscience des desseins de Dieu, et ils s'y associent. Peu importe qu'ils trahissent la cause qui leur a donné la victoire. Il n'en est pas moins vrai que leurs yeux ont été frappés d'un rayon de la lumière divine. Il est donc vrai que les hommes finissent par avoir conscience des desseins de Dieu; dès lors ils ne sont plus de purs instruments. S'il en est ainsi des rois, en dépit de leur incurable égoïsme, que sera-ce des peuples qui ont pour eux l'avenir?

Napoléon s'est toujours dit l'organe et le représentant de la souveraineté populaire. Aussi chez lui bien plus que chez les rois de la vieille Europe, éclate cet admirable concours de la liberté humaine et du gouvernement providentiel dont nous cherchons des témoignages dans l'histoire. Il tue la Révolution au 18 brumaire. A vrai dire, elle était déjà morte en France; il lui restait à conquérir l'Europe. Napoléon se charge de cette mission, à laquelle l'appellent son génie et ses passions. En apparence, il ne poursuit qu'un but personnel, on dirait l'égoïsme incarné. Mais ce n'est

là qu'une des faces de cette grande figure. Il n'oublie jamais que son drapeau est celui de la Révolution; même dans ses plus funestes entreprises, il reste le soldat des idées de 89. Il restaure la royauté en France, et il la ruine en Europe. Il rétablit les fiefs au profit de ses généraux, et il extirpe partout le régime féodal. Il foule les peuples, il les mutile, il les dissout et les reconstitue d'après les caprices de son ambition, et c'est lui néanmoins qui réveille la nationalité italienne, et qui donne une première satis'faction à la nationalité polonaise. Il veut donc ce que Dieu veut. Et on peut dire aussi qu'il est l'homme du passé, et qu'il contrarie les desseins de Dieu. C'est l'image de l'homme et de son imperfection. Sa volonté ne peut jamais se confondre avec la volonté divine; car il cesserait d'être homme. Mais il doit se rapprocher sans cesse de Dieu: telle est la loi du perfectionnement infini que Dieu lui a donnée.

Niera-t-on encore que Dieu soit dans l'histoire? ou dira-t-on que le gouvernement providentiel détruit la liberté humaine? Il ne suffit pas de nier, comme il ne suffit point d'affirmer. Il faut prouver. Nous avons recueilli un petit nombre de faits dans lesquels éclate une autre puissance que celle de l'homme, c'est celle de Dieu que l'humanité adore et qu'elle continuera à adorer, en dépit des négations. Ces faits confirment la foi universelle. L'histoire, écrite à ce point de vue, est la justification de Dieu. Annulet-elle l'homme? Elle l'annule si peu, qu'elle lui montre, au contraire, qu'il s'élève sans cesse vers Dieu. On abaisse l'homme quand on bannit Dieu de l'histoire, car on en fait le jouet d'une force aveugle, qu'on l'appelle hasard nature ou loi. Tandis qu'on grandit l'homme, quand on lui apprend que Dieu dirige ses destinées, tout en lui laissant une entière liberté. La liberté est accompagnée de responsabilité. C'est là ce qui fait notre grandeur!

LIVRE II

LE PROGRÈS DANS L'HISTOIRE (1)

CHAPITRE PREMIER

L'INDIVIDU ET SES
ET SES DROITS

§ 1. La liberté et l'égalité

La Révolution a proclamé la liberté et l'égalité, en déclarant que ce sont des droits inaliénables et imprescriptibles de l'homme. Au berceau du genre humain, nous ne trouvons ni liberté ni égalité. Est-ce que la déclaration des droits est l'expression de la vraie destinée de l'homme? Il y a une révélation de la vérité qui ne peut nous tromper, car c'est la vérité même qui en est l'auteur. Dieu nous révèle ses desseins par l'histoire. S'il est vrai que Dieu est dans l'histoire, s'il est vrai qu'il y a un gouvernement providentiel, il faut que cette éducation divine ait un but. Qui dit éducation, dit développement progressif. L'histoire nous apprend, en effet, que l'humanité avance vers la liberté et l'égalité, depuis qu'elle existe. A son origine, on croirait qu'il n'y a ni liberté, ni égalité. C'est le règne de la théocratie, et la théocratie est la négation des droits de l'homme. Cependant à l'époque où

1) Voyez sur la théorie du progrès le tome XII de mes Etudes sur l'histoire de l'humanité.

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