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dans le monde, moral ne doit-il pas y avoir unité dans le monde politique? Le besoin de l'unité est incontestable; c'est celui qui se manifeste le premier. Pendant toute l'antiquité, il n'est pas question de nationalités, pas plus que de la libre individualité de l'homme; l'esclavage est un fait général, et il y a des conquérants qui rêvent la monarchie universelle. Au moyen âge le principe de l'individualité se fait jour; la race germanique l'apporte comme élément essentiel de l'ère nouvelle qui s'ouvre avec la chute de l'empire; mais ce n'est encore qu'un germe. La dépendance de l'individu subsiste, et il y a aussi des tentatives d'unité. Jamais même l'unité n'a été aussi absorbante: un Dieu, un pape, un empereur, tel est l'idéal. S'il s'était réalisé, il ne serait pas resté une ombre de liberté à l'individu, ni d'indépendance aux peuples. Quand la réforme réagit contre la fausse unité de Rome chrétienne, le principe de l'individualité gagne, et celui de l'unité perd; cependant il ne disparaît point, il change de forme. Les philosophes imaginent une confédération universelle, et les diplomates croient que l'équilibre politique est un lien suffisant entre les États. Tel est le besoin d'unité que l'idée de monarchie universelle a été reprise au dix-neuvième siècle, à la suite d'une révolution qui avait proclamé le droit des individus et le droit des nations.

A travers ces luttes, un grand travail d'unité s'est accompli. Au moyen âge, chaque seigneur était roi dans sa baronnie, il n'y avait en réalité aucune unité politique, car l'empire n'était qu'une prétention, et la papauté, par son essence même, ne pouvait aspirer qu'à l'unité spirituelle. Aujourd'hui les seigneuries ont fait place à de grands royaumes. C'est en un sens l'avénement des nations. Il reste aussi un lien d'unité moral plutôt que politique, mais il n'en a que plus de puissance, puisqu'il ne se heurte pas contre le principe de l'individualité. L'histoire nous révèle les desseins de Dieu. Puisque les deux éléments de l'individualité et de l'unité se maintiennent, il faut qu'ils aient leur racine dans la nature. En effet nous apercevons dans toute la création, l'unité dans la diversité. C'est chez l'homme que ce double principe se manifeste avec le plus d'évidence. Notre nature est une, notre destinée est une; mais quelle variété infinie dans les individus! Sous la main de Dieu, cette infinie diversité s'harmonise dans une

unité supérieure. Ne serait-ce point là l'image des nationalités qui dans les desseins de Dieu concourent à former l'unité humaine?

La destinée de tous les hommes est identique; il faut dire plus, elle est solidaire, puisqu'ils forment tous une même famille, et le père sépare-t-il ses intérêts de l'intérêt de ses enfants? les frères sont-ils alliés ou ennemis? Il y a donc des liens entre tous les hommes, qui rattachent l'individu à ses semblables, quel que soit le lieu qu'ils habitent. Pour l'individu, la solitude absolue serait la mort de l'intelligence et de l'âme; c'est dans la société de ses semblables que se manifestent les plus nobles facultés de l'homme, les sentiments de fraternité et de charité. Les nations ne peuvent pas plus s'isoler que les individus; leur isolement absolu serait aussi la mort. Par cela même qu'elles ont chacune leur génie particulier, chacune ne représente qu'une des faces de l'humanité; chacune est donc incomplète, et doit, pour se compléter, se mettre en rapport avec les autres membres de l'humanité. Ce n'est que par cette voie qu'un développement régulier, harmonique des facultés humaines devient possible.

Ainsi les nations sont à l'égard de l'humanité, ce que les individus sont à l'égard des nations. C'est dire que la vie nationale doit se relier à la vie générale, de même que la vie individuelle se relie à la vie nationale. L'analogie ira-t-elle jusqu'à constituer les nationalités en une monarchie ou république universelle, comme les individus sont réunis sous les lois d'un État particulier? Ici nous ne sommes plus sur le terrain de la réalité. Nous ne pouvons qu'affirmer une chose, c'est que la monarchie ou la république universelle violerait les lois de la création, puisqu'elle détruirait l'élément de diversité, en absorbant les nations qui sont de Dieu. L'unité, en supposant qu'elle se réalise extérieurement, doit prendre une autre forme, qui permette de concilier le besoin d'indépendance individuelle avec le besoin d'une communion d'idées et de sentiments. Il faut que le genre humain soit organisé de manière que la vie nationale favorise la vie individuelle, et que la vie universelle pénètre la vie nationale. L'homme, quoique libre et indépendant dans sa sphère, ne peut pas entraver la vie nationale ce serait détruire le milieu dans lequel il est appelé à vivre. Les nations ne peuvent pas davantage, quoique libres et indépendantes dans leur sphère, entraver la vie générale: ce

serait remplacer la vie commune, harmonique, par une existence particulière et égoïste, et l'égoïsme tue ceux qui s'y abandonnent. De là la nécessité d'une organisation de l'humanité qui harmonise la vie générale, la vie nationale et la vie individuelle.

§ 2. L'antiquité

No 1. Germes de nationalités

I

Il n'y a pas de nations dans l'antiquité, il n'y a que des États. Dans le monde oriental, nous voyons des monarchies, animées d'une ambition illimitée, toutes voulant étendre leur empire sur le monde entier. Les pasteurs féroces qui inondent régulièrement l'Asie comme un torrent dévastateur, forment le premier anneau de la chaîne qui doit unir l'Occident et l'Orient. Leur œuvre est achevée par les Perses; les grands rois manifestent ouvertement le dessein de dominer sur toute la terre. Les peuples qui fondent les empires asiatiques n'étaient pas capables de réaliser l'unité, même matérielle, du monde ancien. Barbares, avides de pillage et de jouissance, ils ne connaissent pas de limites à leur ardeur envahissante, tant qu'ils sont dans la première fougue de la conquête. Mais les plaisirs mêmes qu'ils recherchent les amollissent et les énervent. Bientôt ils deviennent la proie de nouveaux conquérants. Ils n'ont aucun soupçon de nationalité. Il est même rare que les peuples foulés par les Barbares se soulèvent; le sentiment national n'existe pas plus chez les vaincus que chez les vain queurs.

L'Occident présente un spectacle différent. On n'y trouve que de petites républiques, des souverainetés municipales analogues aux communes du moyen âge. Les Grecs n'ont pas la pensée d'étendre leur domination sur le monde; leur idéal n'est pas la monarchie universelle, mais la cité. Il y a des cités organisées pour la guerre; mais dans l'esprit des peuples doriens la guerre n'est pas un instrument d'ambition, c'est un noble exercice des facultés humaines. L'ambition d'Athènes, plus grande que celle de Sparte,

ne dépassait cependant pas les bornes de la Grèce la puissance que Périclès, le plus illustre de ces hommes politiques, désirait pour la patrie, n'était pas un de ces empires monstrueux, tels que l'Asie les rêvait, mais l'hégémonie, la direction des intérêts helléniques. L'infini fait place au fini. C'est le premier germe des nationalités. Pendant que l'Orient élève des temples, constructions gigantesques comme le panthéisme qui les inspire, les Pelages bâtissent des villes. La vie commune des hommes dans des enceintes murées inaugure l'État moderne et devient le premier noyau des nationalités. Les Grecs n'allèrent jamais au delà, pas même leurs philosophes. Platon prescrit des limites étroites à sa république, parce que, selon lui, l'unité et l'harmonie ne peuvent exister que dans une petite association; il ne croyait pas qu'il fût possible d'organiser de vastes territoires d'après les lois du nombre et de l'harmonie.

La cité est le premier élément de l'État. Dans le monde moderne, l'unité nationale procède des communes. Il n'en fut pas ainsi chez les Grecs leurs cités formaient des républiques municipales, indépendantes, hostiles; il n'y eut jamais de Grèce. Cependant les éléments d'unité nationale ne manquaient pas. Bien que divisés en tribus différentes, les Grecs appartenaient à la même race; leur langue, quoique comprenant des dialectes différents, était une. Il y avait une espèce d'unité dans leurs croyances religieuses. Les oracles furent un centre religieux pour les Hellènes, et même un lien entre les Grecs et les Barbares. C'est aussi sous les auspices de la religion que se célébraient les jeux publics qui étaient une vraie passion pour les habitants sociables de la Grèce, et que l'on peut considérer comme un lien de la nationalité hellénique. Les guerres contre les Perses furent un nouveau lien d'union. D'abord les dangers communs forcèrent les républiques rivales à se soumettre à un commandement. L'hégémonie fut comme un premier germe de confédération; si elle était parvenue à se consolider et à s'étendre à toutes les cités, l'unité nationale se serait formée. Mais le génie hellénique répugnait à l'unité. On a dit que les Grecs étaient nés divisés. Le mot est profondément vrai. C'est à peine si l'invasion persane parvint à unir les républiques; après la victoire, le lien se rompit. Toutefois il resta un lien moral. Sortis victorieux de leur lutte contre

les Perses, les Grecs eurent conscience de leur supériorité; ce sentiment fut le fond de ce que l'on peut appeler la nationalité hellénique; les Grecs se sentirent une nation par leur haine et leur mépris pour les Barbares.

La nationalité hellénique était une unité purement intellectuelle et morale. Cela nous indique pourquoi les Grecs ne parvinrent jamais à l'unité politique, pourquoi ils ne formèrent jamais de nation. Appelés à agir sur le monde ancien et sur la postérité la plus reculée par la littérature, la philosophie et l'art, il leur fallait une organisation qui laissât la plus grande liberté d'action aux facultés humaines. Telle est la raison providentielle de la variété infinie de territoires, de dialectes, de constitutions et de cultes qui caractérise la Grèce. Terre privilégiée de l'intelligence, la Grèce était une nation par sa culture intellectuelle. Hellène était synonyme d'homme civilisé. Cette unité morale suffit aux Grecs pour remplir leur mission. L'absence d'unité politique n'a pas empêché le génie hellénique de déployer la magnifique richesse de langue, de littérature et d'art qui charmera toujours l'humanité. Mais l'esprit de diversité, qui fit la grandeur de la Grèce au point de vue de la civilisation générale, devint la cause de sa faiblesse, comme corps politique. Non seulement il n'y avait pas d'unité nationale, il n'y avait pas même d'unité au sein des cités.

Chose singulière ! jamais la cité n'eut autant d'influence, autant de pouvoir que chez les Grecs. Et c'est ce même pouvoir qui, par son excès, empêcha les républiques de réaliser l'unité dans leur sein. La cité avait une puissance souveraine, absolue sur le citoyen; l'homme n'avait aucun droit comme tel; il n'en avait que comme membre de la cité. C'était détruire l'individualité humaine, et comment l'harmonie pourrait-elle exister là, où il n'y a point d'êtres ayant une personnalité distincte? C'est la confusion, c'est le panthéisme en petit, ce n'est pas l'unité. De plus si l'on confond la liberté avec la souveraineté, les hommes seront poussés à s'emparer chacun à son profit de la puissance souveraine. Tel est le spectacle que présentent les cités grecques : il y a une lutte permanente entre l'aristocratie et la démocratie, entre les riches et les pauvres. Là où l'aristocratie domine, elle abuse de sa domination pour opprimer le peuple. Quand la démocratie l'emporte, elle se livre à une réaction violente contre les nobles, pour mieux

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