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antique constitution, c'était certes leur droit; ils avaient été dépouillés de leur indépendance par Napoléon; les libérateurs de l'Europe n'auraient-ils pas dû respecter leur vou? Ils les annexèrent à la Sardaigne, en dépit de leurs protestations. Les Génois avaient pour eux une existence séculaire, leur république était florissante à une époque où telle puissance alliée n'avait pas encore de nom; ils pouvaient donc invoquer leur droit au point de vue diplomatique. Droit et vœux furent foulés aux pieds par les libérateurs de l'Europe.

On sait les débats scandaleux qui s'élevèrent au sein du Congrès, quand il s'agit de partager les dépouilles du grand empire. Les vainqueurs furent sur le point d'en venir aux mains. Ils ne songèrent pas à consulter les désirs des populations qu'ils avaient appelées à la liberté; les peuples ne comptaient plus que pour le nombre de têtes, comme le bétail d'une métairie. La comparaison est de Talleyrand. Le plus cupide parmi les copartageants était le prince qui avait toujours la liberté sur la langue, le czar Alexandre. A Paris il ne parlait que de liberté, il voulait réparer le crime de Catherine II, en rétablissant la Pologne. A Vienne, la comédie de la générosité aboutit à l'annexion des malheureux Polonais. Il fallait dédommager la Prusse. Alexandre lui jeta la Saxe. C'est dans les discussions qui précédèrent cet attentat, que le généreux Alexandre laissa échapper des paroles que l'histoire doit noter. Talleyrand invoquait le droit public de l'Europe : « Votre droit public, s'écria le czar, n'est rien pour moi; je ne sais ce que c'est. Quel cas croyez-vous que je fasse de tous vos parchemins et de vos traités?» C'était proclamer, dit Talleyrand, « que tout est légitime à celui qui est le plus fort. »>

Tel est le droit royal. Ce qui se passa à Vienne prouve que la vieille royauté est inalliable avec les nationalités. On conçoit qu'avant 89, les rois aient méconnu les droits des nations; ils ne se doutaient pas même de leur existence. Mais après les guerres de la Révolution où un peuple devenu libre vainquit l'Europe monarchique, après la guerre de la délivrance où les peuples vainquirent l'invincible, il n'y avait plus à douter de la puissance des nationalités. Si l'intérêt n'était pas aveugle, l'intérêt aurait dû suffire pour reconnaître les droits de ceux qui étaient les vrais vainqueurs. Mais l'intérêt des rois aboutit aussi à la force. Il faut

donc que la royauté disparaisse, ou qu'elle se transforme. Encore doutons-nous que la transformation soit possible. Ce n'est en réalité qu'une transition. La fiction doit faire place à la vérité, c'est dire que les rois doivent faire place aux nations.

Après la révolution de 48, le principe des nationalités fut proclamé officiellement par le gouvernement provisoire. Lamartine lança une proclamation, pour faire connaître les principes qui allaient diriger à l'extérieur la politique du gouvernement français. Il répudia toute pensée de conquête et même de propagande c'était l'esprit de 89. En même temps Lamartine déclara que la paix devait reposer désormais sur la reconnaissance et le respect de l'indépendance des peuples. En 1792, dit-il, la France et l'Europe n'étaient pas préparées à comprendre l'harmonie des nations; pour couronner l'œuvre de la Révolution, il faut reconnaître le droit des nationalités. La constitution de 48 reproduit cette doctrine en substance. « La République française, y est-il dit, respecte les nationalités étrangères, comme elle entend faire respecter la sienne. »>

C'est pour la première fois que le mot de nationalité figure dans un acte politique. Bientôt l'idée entra avec éclat dans le domaine des faits. En 1859, Napoléon III mit l'armée française au service de la nationalité italienne. Dans sa proclamation de guerre, il dit que la France tirait l'épée, non pour dominer, mais pour affranchir : « Le but de cette guerre est de rendre l'Italie à ellemême, non de la faire changer de maître; nous aurons à notre frontière un peuple ami qui nous devra son indépendance. » Arrivé à Milan, l'empereur appela les Italiens aux armes. Il déclara qu'il ne mettrait aucun obstacle à la libre manifestation de leurs vœux « Votre désir d'indépendance si longtemps comprimé, si souvent démenti, se réalisera, si vous vous en montrez dignes. Unissez-vous dans une seule pensée, l'affranchissement de votre pays. >>

Jamais plus belles paroles ne furent prononcées par un vainqueur. L'affranchissement de l'Italie fera la gloire de celui qui a conçu ce dessein, et de la nation qui a versé son sang pour l'exécuter. Ce n'est pas seulement l'Italie qui profitera des victoires de Magenta et de Solferino. Elles ont fait triompher les principes de 89 dans l'ordre des relations internationales. Il n'y aura plus

de partage de Pologne, l'on ne traitera plus les peuples comme du bétail. Il faudra sans doute bien des luttes avant que toutes les nationalités soient définitivement assises et il y aura plus d'une défaillance; mais qu'importe? Le principe de nationalité est entré dans la conscience générale, et il ne périra plus.

CHAPITRE IV

LOI DES RELATIONS INTERNATIONALES

§ 1. Fédération et association

No 1. Diversité et unité

Humboldt dit que la nature est l'unité dans la diversité (1). En effet, l'unité et la diversité sont empreintes tout ensemble dans la création, comme si Dieu avait voulu indiquer aux hommes la voie dans laquelle ils doivent marcher pour remplir leur mission. La nature présente dans toutes ses manifestations le spectacle d'une variété infinie se déployant sur un fond identique. Les éléments produisent des organisations différentes; mais ils constituent dans leur ensemble une seule terre. Les langues sont diverses comme expression du génie divers qui distingue les branches de la grande famille humaine'; toutefois les règles fondamentales des langues sont les mêmes, parce que l'esprit humain qui les formule est un. Les religions diffèrent, mais il y a des croyances communes, rayons de la vérité éternelle qui illumine l'humanité. Le droit varie d'un pays à l'autre, ce qui ne l'empêche pas, quoi qu'en dise Pascal, d'avoir des règles universelles qui se retrouvent partout.

La grande loi signalée par Humboldt s'applique au monde moral comme au monde physique. Ce que nous venons de dire du droit et de la langue suffit pour le prouver. Le droit et les langues sont l'expression de la vie; si le droit est un et divers, si les langues

(1) Humboldt, Cosmos, t. I, pag. 5.

sont identiques et diverses, c'est qu'il y a dans l'humanité, de même que dans la nature, un élément d'unité et un élément de diversité. Prenons la société la plus simple, celle où l'unité semble dominer. Les enfants reproduisent-ils les traits, le caractère, les facultés intellectuelles et morales de leurs parents? Il y a, comme on dit, un air de famille; mais quelle prodigieuse diversité dans les détails? Deux jumeaux diffèrent parfois comme s'ils appartenaient à des familles, que dis-je? à des races différentes. Cependant ils sont élevés dans le même milieu, ils subissent les mêmes influences. Preuve que l'enfant naît avec des dispositions que le père ne crée point, qu'il peut développer, modifier, neutraliser dans une certaine mesure, mais qu'il ne peut point détruire. Il y a cependant des traits de ressemblance qui se montrent à travers ces diversités et qui témoignent d'une souche commune.

Cette même loi, l'unité dans la diversité, régit aussi le genre humain. Les nations, comme les individus, sont douées de dispositions particulières. Quelle que soit l'initiation qu'elles reçoivent du dehors, cette éducation ne détruit pas plus leur individualité que l'éducation paternelle ne change la nature de l'enfant. Malgré la puissance d'assimilation de Rome, les Gaulois restèrent des Gaulois, modifiés seulement par l'élément' latin. L'invasion des Barbares mit les Gallo-Romains en rapport avec les nations germaniques; les vaincus civilisèrent les vainqueurs. Est-ce à dire que les Germains devinrent des Romains? Les Germains et les Romains passèrent à travers la conquête, sans avoir perdu les caractères essentiels de leur nationalité. Chaque peuple a donc une existence particulière, un caractère individuel, une civilisation spéciale.

Voilà l'élément de diversité. Il y a aussi un élément d'unité. Le comte de Maistre dit, pour ridiculiser la déclaration des droits de l'homme, qu'il n'a jamais rencontré l'espèce homme, qu'il n'a vu dans sa vie que des Français, des Anglais, des Allemands ou des Russes. Mais pour être Français ou Anglais, cessons-nous d'être hommes? Avant qu'il y eût des nationalités bien distinctes, n'y avait-il pas des êtres humains? Ce n'est pas tout. Les hommes ne cessent pas d'être hommes, quand ils font partie d'une société particulière. Il reste donc un lien entre les membres des diverses nations, le lien de l'humanité. C'est la grande société qui embrasse

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