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drait impossible. Si c'est là l'idéal, nous avouons qu'il nous fait peur, loin de nous séduire. Là où il y a oppression, la résistance est un droit et même un devoir. Or, l'oppression est toujours possible; elle l'est dans les États actuels, elle le sera alors même que les nations seront souveraines, puisque ce seront des hommes, êtres imparfaits et passionnés, qui exerceront la souveraineté. De là la légitimité des révolutions, et à défaut de révolution, la minorité opprimée aurait au moins la faculté de quitter une patrie où l'on ne respecte pas ses droits. Que deviendrait la liberté si la puissance de tout le genre humain était concentrée dans un État qui disposerait d'une force à laquelle les peuples ne pourraient pas résister? Où serait le refuge contre cet État, s'il devenait tyrannique? La paix régnerait dans le monde, mais ce serait la paix de l'empire romain, c'est à dire la servitude. Nous préférons mille fois les vices de la désorganisation actuelle qui rend au moins la résistance possible. Ceci nous paraît capital. Ce n'est pas la paix qui est le but; l'idéal c'est le droit; or toutes les garanties imaginables ne préviennent pas la violation du droit ; dès lors il faut laisser une ouverture à la résistance. Mieux vaut la révolution, mieux vaut la guerre, que la paix dont jouissent les troupeaux.

§ 2. Paix et droit

No 1. L'antiquité

L'amour de la paix est un des caractères de la civilisation moderne. Nos goûts sont pacifiques, nos intérêts le sont, et nos sentiments reculent devant l'effusion du sang humain. Il n'en était pas de même dans l'antiquité, la guerre y dominait. Cependant la nature humaine était chez les anciens ce qu'elle est aujourd'hui. Si le sang nous fait horreur au point que nous permettons à peine à la justice de verser le sang des coupables, c'est que la nature nous crie que Dieu a fait les hommes pour qu'ils s'aiment et non pour qu'ils s'entre-tuent. Ce sentiment de l'humanité, fleur exquise de la morale, manquait aux anciens. Toutefois on trouve chez eux le germe des tendances pacifiques qui se développent aujourd'hui avec une

force irrésistible. C'est la religion qui les a inspirées, comme pour témoigner que c'est elle qui fait l'éducation du genre humain.

Moïse ordonne aux Israélites que le sang a souillés de se purifier. Dieu ne permet pas à David de bâtir le temple, parce qu'il est homme de guerre et qu'il a répandu beaucoup de sang; cette gloire est réservée à son fils Salomon, parce qu'il est pacifique. Les Hébreux souffrirent des maux de la guerre plus qu'aucun peuple; ils ne pouvaient voir dans la conquête qu'un fléau, dans les conquérants que les destructeurs des nations; les prophètes les représentent sous la figure de bêtes qui dévorent, brisent et foulent tout. Le peuple de Dieu espérait que le Messie rallierait tous les peuples au culte de Jéhovah, et que le genre humain ne faisant qu'une famille, la guerre cesserait. Cette époque messianique était pour les Juifs ce que l'âge d'or était pour les Gentils; mais il y a cette grande différence, c'est que les premiers ont le regard tourné vers l'avenir. C'est en essence l'idée du progrès.

Le désir de la paix se fit jour, même chez des peuples guerriers; les Grecs, tout en passant leur vie dans les combats, avaient des goûts pacifiques. Déjà dans les poèmes d'Homère, la société n'est plus exclusivement guerrière; des mœurs plus douces révèlent le caractère et la mission civilisatrice de la race héllénique. Les hostilités étaient supendues à l'occasion des jeux olympiques, et l'Élide, où ils se célébraient, devait jouir d'une paix permanente. Cette consécration d'un pays tout entier à Jupiter et à la paix est une idée digne de la religion qui l'a inspirée. On dirait l'âge d'or réalisé, au moins dans un petit coin de la terre, qui partout était souillée du sang de ses habitants. Ce n'était, en réalité, que la prophétie d'un avenir bien éloigné; pour les Grecs, cet idéal n'eut que la durée d'un rêve.

Mais l'idée de la paix, une fois née et entrée dans la conscience générale, sous l'influence de la religion, ne périt plus. La philosophie s'en empara et lui donna des développements remarquables. Sur la question de la guerre et de la paix, Platon s'écarte entièrement des institutions doriennes qui, en général, lui servent de type. Il déclare que celui qui organise la république en vue de la guerre, n'est pas un bon politique ni un sage législateur. C'est en vue du plus grand bien qu'il faut porter les lois, or le plus grand bien d'un État, c'est la paix. Aristote est du même avis. Il avoue

que la plupart des États sont constitués pour la conquête; malgré ce fait universel, il décide que la guerre ne saurait être le but suprême de l'État. De même que pour l'homme la félicité consiste dans la vertu, de même l'État le plus sage sera aussi le plus fortuné, car les éléments du bonheur sont identiques pour les individus et pour la société. Le philosophe trouve étrange qu'un homme d'État ait pu se proposer la conquête pour but; bien loin de procurer le bonheur à sa cité, il lui prépare la servitude: lorsque le législateur lui-même, dit Aristote, ne songe qu'à la domination, chaque citoyen ne pensera qu'à s'emparer du pouvoir absolu. Parole profonde, que l'expérience des siècles a confirmée. Platon n'hésite pas à dire que les conquérants sont les plus injustes des hommes; car la plus grande injustice consiste à attenter à la liberté d'autres États. Le philosophe grec attribue, et non sans raison, l'humeur conquérante des rois de Perse au gouvernement despotique. Encore une profonde vérité, et que tout peuple libre doit prendre à cœur, si la liberté lui est chère.

L'histoire de Rome donne une éclatante confirmation à la doctrine des philosophes grecs. Nés pour la guerre, les Romains identifiaient l'idée de vertu avec celle de courage. Ils firent la conquête du monde, mais à quoi aboutit-elle? Quand ils n'eurent plus rien à conquérir, ils se déchirèrent entre eux dans d'horribles guerres civiles; puis vint le despotisme de l'empire qui leur enleva l'apparence de liberté dont ils avaient joui sous la république. L'empire fut acclamé par la démocratie; ce qui prouve qu'elle ne connut jamais la vraie liberté. Les poètes aussi chantèrent la paix que les empereurs donnaient au monde ensanglanté jusque-là par des guerres continuelles. Depuis le commencement des temps historiques, l'Orient et les Barbares, la Grèce et Rome avaient vécu dans des hostilités permanentes; pour la première fois l'antiquité connut les bienfaits de la paix. On conçoit que les poètes et les philosophes aient célébré un état de choses qui semblait réaliser l'âge d'or. Les Pères de l'Église rapportèrent cet immense bienfait à Jésus-Christ, le prince de la paix. Cependant la paix de l'empire était une fausse paix. Il est vrai que la paix régnait dans l'empire qui comprenait une grande partie de la terre connue des anciens; mais elle expirait aux limites de la domination romaine. La guerre ne cessa pas entre les Romains et les Bar

bares, il n'y avait entre eux aucun lien de droit ni d'humanité. On ne peut pas même dire que l'empire ait assuré la véritable paix aux peuples qui lui étaient soumis. Car cette paix n'était autre chose que le despotisme des Césars qui mit fin aux sanglantes convulsions de la république. Les citoyens cessèrent de s'entreégorger. Voilà la paix romaine. Les peuples vaincus cessèrent de vivre dans les combats perpétuels. Mais à quel prix? Au prix de leur indépendance. Ainsi les droits les plus sacrés de l'homme et des nations étaient méconnus, pour assurer la paix, et la paix n'était pas même assurée, car il n'y a pas de paix là où le droit ne règne pas. Or le droit est incompatible avec le pouvoir absolu d'un César.

Voilà comment la première monarchie universelle, digne de porter ce nom, réalisa la paix! Cependant au point de vue de l'antiquité, le spectacle de la paix romaine était une chose admirable, et nous comprenons l'enthousiasme qu'elle inspira aux poètes et même aux Pères de l'Église. La paix imparfaite qui régnait dans un immense empire, donna, dit-on, à l'empereur Probus l'idée d'une paix plus générale vainqueur des Barbares, il comptait donner la paix au monde entier. C'est le premier projet de paix perpétuelle dont l'histoire fasse mention. Chose singulière! Il fut conçu à la veille de la chute de l'empire, à un moment où les terribles Barbares allaient ouvrir une nouvelle ère de guerre. Jamais l'idéal n'abandonne l'humanité; elle espère toujours un meilleur avenir. Et Dieu lui aurait donné ces hautes aspirations comme un leurre! Non, c'est l'instinct du progrès, et le progrès n'est pas un rêve, c'est un fait. Il n'y a pas jusqu'à l'utopie de paix perpétuelle qui ne soit un fait, en ce sens que les peuples modernes sont unis par les liens de la fraternité, et qu'ils considèrent la paix comme l'état naturel de leurs relations, tandis que les anciens regardaient la paix comme une exception qui n'existait que lorsqu'elle était stipulée par des traités. C'était dire que la guerre était la loi du genre humain. Eh bien, aujourd'hui la guerre a fait place à la paix.

Avant de quitter l'antiquité, nous citerons un curieux témoignage du progrès des idées. Au dix-huitième siècle, les philosophes firent une guerre à mort à la guerre et aux conquérants. Qui croirait qu'ils eurent un précurseur au sein du peuple-roi? Sénèque fut traduit, commenté, comme un auxiliaire, par d'Hol

bach, par Diderot; et il était réellement un des leurs. En lisant ses déclamations contre l'esprit de conquête, on croirait lire Voltaire. A ses yeux la guerre est un véritable crime : « On punit les meurtres que les particuliers commettent, s'écrie le philosophe romain. Et que dira-t-on des guerres et de ces massacres que nous appelons glorieux parce qu'ils détruisent des nations entières? On commet des crimes en vertu de sénatus-consultes. » L'antiquité · célébrait les conquérants comme des demi-dieux. Sénèque s'élève avec violence contre cette idolâtrie; il flétrit ce que le vulgaire adore « L'amour des conquêtes est une folie, les conquérants sont des fléaux non moins funestes à l'humanité que les déluges et les tremblements de terre. » Le philosophe ne fait pas même grâce à Alexandre, le plus grand de tous : « Brigand dès l'enfance, destructeur des nations, il estimait comme souverain bien d'être la terreur des hommes... »

Nous ne continuons pas cet acte d'accusation, il est injuste. Mais il ne faut pas pour cela condamner le sentiment qui inspire le philosophe romain. L'inspiration était vraie, c'est le cri de l'humanité qui proteste contre la force. Platon déjà avait réprouvé la guerre, et Aristote s'était joint à son maître. Quand ils écrivirent, ils passèrent certes pour des rêveurs. Or, il se trouve que les rêveurs étaient des prophètes. Ce qui n'était qu'un sentiment particuler est devenu une conviction générale. Témoignage éclatant du progrès qui régit le monde.

N° 2. Le christianisme et les Barbares

I

Dans l'antiquité la guerre est permanente; les empires s'élèvent et tombent avec une effrayante rapidité. La lutte ne cesse un instant que lorsque les nations sont brisées et réunies sous les lois de la ville éternelle. On croirait que la passion de la guerre ne peut pas aller plus loin. Cependant quand les Barbares arrivèrent, les Romains furent étonnés, épouvantés de leur ardeur batailleuse. Nous ne parlons pas des hommes du Nord chez lesquels c'était une fureur; nous nous en tenons au portrait que Tacite a tracé des Germains. A Rome, le jeune homme est revêtu de la

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