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reau, et ce Dieu-bourreau ne différerait guère du Dieu de Bossuet!

Pour mieux dire, c'est un peuple barbare, à moitié sauvage, qui écrit ses annales; et il se représente Dieu d'après ses sentiments et ses idées. Mais ces grossières conceptions sont consignées dans une Écriture dite sainte; il faut donc que le Dieu de vengeance, le Dieu-bourreau, reste pour l'éternité le Dieu de l'humanité. Autant vaudrait lui imposer le culte des fétiches! A vrai dire, le Dieu de Bossuet a les allures d'une divinité de sauvages. « Il fait la guerre pour son peuple du haut des cieux d'une façon extraordinaire et miraculeuse. » Nous recommandons ce Dieu miraculeux aux écrivains qui accusent le gouvernement providentiel de reproduire la superstition du miracle. Le miracle remplace l'action des hommes par l'intervention de Dieu. Écoutez le Dieu de Bossuet: « Ne craignez pas, dit- Moïse, ce peuple immense dont vous êtes poursuivi. Le Seigneur combattra pour vous, et vous n'aurez qu'à demeurer en repos. » Et le Seigneur fait ainsi : « A la fameuse journée, dit Bossuet, où le soleil s'arrêta à la voix de Josué, pendant que l'ennemi était en fuite, Dieu fit tomber du ciel de grosses pierres comme une grêle, afin que personne ne pût échapper, et que ceux qui avaient évité l'épée fussent accablés des coups d'en haut (1). » Dieu s'amusant à jeter des pierres du haut des cieux sur des malheureux qui fuient, afin d'achever leur extermination! Voilà une belle occupation pour la Providence!

On sait les horreurs de cette guerre à toute outrance, de cette guerre à feu et à sang que Dieu commanda à son peuple élu et qu'il dirigea du haut des cieux. Intervertir les lois de la nature, arrêter le soleil, pour exterminer des peuples maudits, voilà le miracle, et le gouvernement providentiel de Bossuet. Ce n'est pas tout. Les horreurs de la guerre sacrée sont célébrées comme l'œuvre de Dieu. Écoutons Dieu gourmandant par la bouche de Moïse, les Israélites qui avaient fait des prisonniers : « Moïse se mit fort en colère contre les chefs, et leur dit: N'avez-vous pas laissé vivre les femmes ?... Tuez les mâles d'entre les petits enfants et tuez toute femme qui aura eu compagnie d'homme (2). »

(1) Bossuet, Politique tirée de l'Écriture sainte. (Œuvres, t. IX, pag. 953–955.) (2) Nombres, xxx1, 7-12, 14-18.

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entre tous a été l'objet de l'éducation miraculeuse que Bossuet déolare nécessaire pour ramener les hommes à Dieu le peuple de Dieu méconnaît les prophéties, il se rit des miracles, il met à mort le Fils de Dieu qui est venu pour le sauver! Il valait bien la peine de multiplier les miracles et les prophéties!

Il y a aussi, si nous en croyons les écrivains catholiques, une marque du gouvernement providentiel dans la malédiction qui pèse sur la malheureuse race d'Israël. « C'est une chose étonnante, dit Pascal, et digne d'une étrange attention, de voir le peuple juif subsister depuis tant d'années, et de le voir toujours misérable étant nécessaire pour la preuve de Jésus-Christ, et qu'ils subsistent pour le prouver, et qu'ils soient misérables, puisqu'ils l'ont crucifié (1). » Bossuet célèbre également ce profond dessein de Dieu par lequel les juifs subsistent encore au milieu des nations, où ils sont dispersés et captifs. « Mais ils subsistent, dit-il, avec le caractère de leur réprobation, déchus visiblement par leur infidélité des promesses faites à leurs pères, bannis de la terre promise, n'ayant même aucune terre à cultiver, esclaves partout où ils sont, sans honneur, sans liberté, sans aucune figure de peuple (2). « Si cet horrible tableau était l'expression de la vérité, que prouverait-il? L'inanité du gouvernement providentiel tel que le christianisme le conçoit. Quoi! Dieu témoigne par des faits éclatants sa prédilection pour le peuple élu, il le conduit à la vérité à force de miracles, il lui envoie des prophètes pour lui annoncer la venue de son Fils, et quand le Fils de Dieu vient témoigner de sa mission par des prodiges inouïs, les juifs crucifient leur Dieu! Qui ne se demanderait à quoi sert le gouvernement miraculeux? A maintenir les juifs dans une servitude éternelle, afin qu'ils témoignent toujours en faveur du crucifié! Les écrivains catholiques ont triomphé trop tôt de la misère des juifs. A qui cette misérable condition doit-elle être imputée? A la sauvage intolérance du christianisme traditionnel. Grâce à la philosophie, l'humanité a fait place à la persécution. L'Assemblée constituante a mis fin à l'esclavage des juifs; elle a proclamé leur égalité; la grande voix de la Révolution a anéanti par là et les

(1) Pascal. Pensées, XIX, 4.

(2) Bossuet, Discours sur l'histoire universelle. (OEuvres, t. IX, pag. 217.)

prophéties, et les décrets des conciles, et les paroles des papes, toutes autorités sacrées; elle a mis à néant le prétendu gouvernement providentiel qui se manifeste par l'action miraculeuse de Dieu.

Les miracles sont une chose imaginaire; dès lors le gouvernement qui se fonde sur les miracles doit aussi être imaginaire. Bossuet nous en fournit une singulière preuve. Il s'agit du dénombrement ordonné par l'empereur Auguste, lequel dénombrement amena à Bethléem la sainte Vierge. Ainsi s'accomplit la parole du prophète qui prédit que le Messie naîtrait dans la ville de David. Malheureusement pour les prophètes et pour Bossuet leur interprète, Auguste ne songea jamais à faire un dénombrement : tout, dans ce fait miraculeux, est donc fable et fiction. Écoutons maintenant l'aigle de Meaux célébrer, dans son pompeux langage, un fait imaginaire, pour y fonder un gouvernement providentiel tout aussi imaginaire : « Que faites-vous, princes du monde, en mettant tout l'univers en mouvement, afin qu'on vous dresse un rôle de tous les sujets de votre empire? Vous en voulez connaître la force, les tributs, les soldats futurs, et vous commencez, pour ainsi dire, à les enrôler. C'est cela ou quelque chose de semblablable que vous pensez faire; mais Dieu a d'autres desseins que vous exécutez, sans y penser, par vos vues humaines. Son Fils doit naître à Bethléem, humble patrie de David; il l'a fait ainsi prédire par son prophète, il y a plus de sept cents ans, et voilà que tout l'univers se remue pour accomplir cette prophétie (1). »

Il y a dans ces paroles de Bossuet un dédain superbe pour les vains desseins des hommes. Voilà les plus puissants des princes, ceux qui s'intitulent les empereurs du monde, qui s'agitent, qui se remuent, pour dénombrer leurs sujets. Aveugles conducteurs d'aveugles! Ils préparent l'avénement du prince de la paix qui mettra fin à leur empire! Bossuet rabaisse l'homme pour exalter Dieu. Mais comme ce gouvernement miraculeux devient ridicule, quand on le met en face de la réalité des choses! La prophétie est un fait imaginaire, le dénombrement est une fiction, le voyage à Bethléem est une fable, tout le gouvernement de la providence, tant célébré par le plus magnifique des orateurs est un rêve. Que

(1) Bossuet, Élévations sur les mystères, XVI, 5. (OEuvres, t III, pag. 610.)

la leçon profite aux historiens! Qu'ils laissent là les prophéties et les miracles, œuvre de l'imagination, et qu'ils s'inspirent de l'étude des faits; ils y apercevront à chaque pas la main de Dieu. Tandis que le gouvernement miraculeux de la révélation chrétienne rapetisse l'histoire et la fausse.

No 3. Dieu et les Gentils

I

Bossuet a écrit un discours sur l'histoire universelle; il s'y arrête avec complaisance sur la vraie Église à laquelle il ne trouve rien de comparable. Mais la suite des empires, dit-il, n'est guère moins profitable à tous ceux, princes ou particuliers, qui contemplent dans ces grands objets les secrets de la divine providence. Les empires ont été fondés par les Gentils, leur histoire est l'histoire proprement dite, dans laquelle les Juifs disparaissent en quelque sorte. Bossuet renverse la réalité des choses; à l'entendre, les peuples païens, leurs guerres, leurs révolutions, n'ont de raison d'être que si on les met en rapport avec la destinée du peuple de Dieu. Voyons ce gouvernement providentiel à l'œuvre. La base étant imaginaire, tout l'édifice ne peut être qu'un rêve.

La plupart des empires, dit Bossuet, ont une liaison nécessaire avec l'histoire du peuple élu. Dieu s'est servi des Assyriens et des Babyloniens pour le châtier, des Perses pour le rétablir, d'Alexandre pour le protéger, des Romains pour soutenir sa liberté. Quand les Juifs ont méconnu Jésus-Christ et l'ont crucifié, ces mêmes Romains ont prêté leurs mains, sans y penser, à la vengeance divine, et ont exterminé ce peuple ingrat (1). En vérité, Herder n'avait pas tort d'écarter de l'histoire le prétendu gouvernement de la providence, tel que le conçoivent les écrivains catholiques, et parmi eux le plus grand. Quoi! les bouleversements du monde n'auraient pour objet que de châtier, de rétablir, de protéger, ou d'exterminer un petit peuple qui figure à peine dans l'histoire!

(1) Bossuet, Discours sur l'histoire universelle. (OEuvres, t. IX, pag. 294.)

Quoi! Alexandre est allé en Asie pour prendre la défense des Juifs! Si au moins Bossuet nous disait pourquoi le peuple élu a été mis en rapport avec toutes les nations qui ont joué un rôle dans le développement religieux de l'humanité. Oui, en un certain sens, ce peuple était un peuple élu; il avait sa mission, et il n'y en a pas de plus haute. Dans son sein devait naître le Christ, il fallait donc qu'il s'appropriât les fruits du travail religieux de toute l'antiquité. Ne serait-ce pas pour cela qu'il passa un siècle en Égypte, qu'il fut mis en contact avec la race aryenne, puis avec la philosophie grecquc? Il y avait dans cette destinée merveilleuse un magnifique sujet pour le génie de Bossuet. Mais l'Église au nom de laquelle il parle ne lui permettait pas de voir des précurseurs du Christ dans les révélateurs et dans les sages de l'antiquité. Les Juifs seuls ont une mission religieuse; eux seuls sont le peuple élu; les autres nations ne sont que des instruments dans la main de Dieu, pour châtier, rétablir, protéger, et enfin pour exterminer les Juifs!

Les plus grands personnages de l'histoire ancienne sont représentés par Bossuet comme de simples instruments dont Dieu se sert pour exercer sa redoutable justice : « Considérez, dit-il, les César et les Alexandre, et tous ces autres ravageurs de provinces, que nous appelons conquérants: Dieu ne les envoie sur la terre que dans sa fureur. Ces braves, ces triomphateurs, ne sont ici-bas que pour troubler la paix du monde par leur ambition démésurée (1). » La justice de Dieu est sans doute un élément de son gouvernement providentiel. Mais la justice divine est-elle une fureur? N'at-elle d'autre objet que de châtier et d'exterminer? Que devient, dans cette horrible conception, la destinée des peuples? L'histoire n'est plus qu'un immense champ de carnage, sur lequel des bourreaux s'entr'égorgent. On ne peut lire sans horreur ces paroles de Bossuet (2): « Quand deux peuples se font la guerre, Dieu veut sans doute se venger de l'un, et souvent de tous les deux. Dieu châtie les uns par les autres, et il châtie ordinairement ceux par lesquels il châtie les autres. » Nous avons tort de dire que les peuples sont des bourreaux qui s'entre-tuent; ils sont les victimes,

(1) Bossuet, Sermon pour la circoncision de Notre-Seigneur. (OEuvres, t. V, pag. 258.) (2) Idem, OEuvres, t. VI, pag. 832. (Sermon.)

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