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à proportion de fa dépenfe, mais à proportion qu'on la fçait mieux ordonner. Un fou peut jetter des lingots dans la mer & dire qu'il en ajoui: mais quelle comparaison entre cette extravagante jouiffance, & celle qu'un homme fage eût fçu tirer d'une moindre somme?

Il n'y a point de richeffe abfolue. Ce mot ne fignifie qu'un rapport de furabondance entre les défirs & les facultés de l'homme riche. Tel eft riche avec un arpent de terre ; tel eft gueux au milieu de fes monceaux d'or. Le défordre & les fantaisies n'ont point de bornes, & font plus de pauvres que les vrais befoins.

*

MENDIANS.

NOURRIR

OURRIR les Mendians, c'eft contribuer à multiplier les Gueux & les Vagabonds qui fe plaifent à ce lâche métier, & fe rendant à charge à la fociété, la privent encore du travail qu'ils y pourroient faire. Voilà les maximes dont de complaifans raisonneurs aiment à flatter la dureté des riches.

On fouffre & l'on entretient à grands frais des multitudes de profeffions inutiles dont plufieurs ne fervent qu'à corrompre & gâter les mœurs. A ne regarder l'état de Mendiant que comme un métier, loin qu'on en ait rien de pareil à craindre, on n'y trouve que de quoi nourrir en nous les fentimens d'intérêt & d'humanité qui devroient unir tous les hommes, Si l'on veut le confi

dérer

dérer par le talent, pourquoi ne récompenferois-je pas l'éloquence de ce Mendiant qui me remue le cœur & me porte à le fecourir, comme je paye un Comédien qui me fait verfer quelques larmes ftériles? Si l'un me fait aimer les bonnes actions d'autrui, l'autre me porte à en faire moi-même : tout ce qu'on fent à la Tragédie s'oublie à l'inftant qu'on en fort; mais la mémoire des malheureux qu'on a foulagés donne un plaifir qui renaît fans ceffe. Si le grand nombre des Mendians eft onéreux à l'Etat, de combien d'autres profeffions qu'on encourage & qu'on tolere n'en peut-on pas dire autant? C'eft au Souverain de faire enforte qu'il n'y ait point de Mendians mais pour les rebuter de leur

:

profeffion faut-il rendre les Citoyens inhumains & dénaturés? Pour moi fans fçavoir ce que les pauvres font à l'Etat, je fçais qu'ils font tous mes M

freres, & que je ne puis fans une inexcufable dureté leur refuser le foible fecours qu'ils me demandent. La plûpart font des vagabonds, j'en conviens; mais je connois trop les peines de la vie pour ignorer par combien de malheurs un honnête homme peut fe trouver réduit à leur fort; & comment puis-je être sûre que l'inconnu qui vient implorer au nom de Dieu mon affiftance, & mendier un pauvre morceau de pain, n'eft pas, peut-être, cet honnête homme prêt à périr de mifere, & que mon refus va réduire au défespoir? Quand l'aumône qu'on leur donne ne feroit pour eux un fecours réel, c'est au moins un témoignage qu'on prend part à leur peine, un adouciffement à la dureté du refus, une forte de falutation qu'on leur rend. Une petite monnoie ou un morceau de pain ne coutent guères plus à donner & font une réponse plus hon

nête qu'un, Dieu vous affifte; comme fi les dons de Dieu n'étoient pas dans la main des hommes, & qu'il eût d'autres greniers fur la terre que les magasins des riches? Enfin, quoiqu'on puiffe penfer de ces infortunés, fi l'on ne doit rien au gueux qui mendie, au moins fe doit-on à foi-même de rendre honneur à l'humanité fouffrante ou à fon image, & de ne point s'endurcir le cœur à l'afpect de fes miferes.

Nourrir les mendians, c'eft, difent les détracteurs de l'aumône, former des pépinieres de voleurs ; & tout au contraire, c'eft empêcher qu'ils ne le deviennent. Je conviens qu'il ne faut pas encourager les pauvres à fe faire mendians; mais quand une fois ils le font, il faut les nourrir, de peur qu'ils ne se faffent voleurs. Rien n'engage tant à changer de profeffion que de ne pouvoir vivre dans la fienne: or tous ceux qui

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