dicules, que tous nos raifonnemens doivent être infenfés devant l'être pour qui les tems n'ont point de fucceffion, ni les lieux de diftance! nous comptons pour rien ce qui eft loin de nous, nous ne voyons que ce qui nous touche quand nous aurons changé de lieu nos jugemens feront tout contraires, & ne feront pas mieux fondés. Nous réglons l'avenir fur ce qui nous · convient aujourd'hui, fans fçavoir s'il nous conviendra demain ; nous jugeons de nous comme étant toujours les mê& nous changeons tous les jours. Qui fçait, fi nous aimerons ce que nous aimons, fi nous voudrons ce que mes, nous voulons fi nous ferons ce que nous Ꮓ bonheur? Montrez-moi la régle de la fagesse humaine, & je vais la prendre pour guide. Mais fi la meilleure leçon eft de nous apprendre à nous défier d'elle, recourons à celle qui ne trompe -point, & faifons ce qu'elle nous infpire. HOMME SAUVAGE, LEs défirs de l'Homme sauvage ne paffent pas fes befoins phyfiques : les feuls biens qu'il connoiffe dans l'univers font la nourriture, une femelle & le repos; les feuls maux qu'il craigne, font la douleur & non la mort ; car jamais l'animal ne fçaura ce que c'eft que mourir; & la connoiffance de la mort & de fes terreurs, eft une des premieres acquifitions que l'Homme ait faites, en s'éloignant de la condition animale. Seul,oifif,& toujours voifin du danger, l'Homme fauvage doit aimer à dormir, & avoir le fommeil leger comme les animaux qui penfant peu, dorment, pour ainfi dire, tout le tems qu'ils ne penfent point. Sa propre confervation faifant prefque fon unique foin, fes facultés les plus exercées doivent être celles qui ont pour objet principal l'attaque & la défenfe, foit pour fubjuguer fa proie, foit pour se garantir d'être celle d'un autre animal: au contraire, les organes qui ne fe perfectionnent que par la molleffe, & la fenfualité, doivent refter dans un état, de groffiereté, qui exclut en lui toute espéce de délicateffe; &fes fens fe trouvant partagés fur ce point, il aura le toucher & le goût d'une rudeffe extrême, la vue, l'ouie & l'odorat de la plus grande fubtilité. Tel eft l'état animal en général, & c'eft auffi, felon le rapport des voyageurs, celui de la plupart des peuples fauvages. Le corps de l'Homme fauvage étant le feul inftrument qu'il connoiffe, il l'emploie à divers ufages, dont, par le défaut d'exercice, les nôtres font incapables; & c'eft notre induftrie qui nous ôte la force & l'agilité que la néceffité oblige d'acquérir. S'il avoit eu une hache, fon poignet romproit-il de fi fortes branches? S'il avoit eu une fronde, lanceroit-il de la main une pierre avant tant de roideur? S'il avoit eu une échelle, grimperoit-il fi légerement fur un arbre? S'il avoit eu un cheval, feroit-il fi vîte à la courfe? Laiffez à l'Homme civilifé le tems de raffembler toutes fes machines autour de lui; on ne peut douter qu'il ne furmonte facilement l'Homme fauvage mais fi vous voulez voir un combat plus inégal encore, mettez-les puds & défarmés vis-à-vis l'un de l'autre; & vous connoîtrez bien-tôt quel eft l'avantage d'avoir fans ceffe toutes fes forces à fa difpofition, d'être tou jours prêt à tout événement, & de fe porter, pour ainsi dire, toujours tout entier avec foi, Il y a deux fortes d'Hommes dont les corps font dans un exercice continuel, & qui fûrement fongent auffi peu les uns que les autres à cultiver leur ame; fçavoir, les payfans & les fauyages. Les premiers font ruftics, grof fiers, mal-a-droits, les autres connus par leur grand fens, le font encore par la fubtilité de leur efprit: généra lement il n'y a rien de plus lourd qu'un paysan, ni rien de plus fin qu'un fauvage. D'où vient cette différence ? C'eft que le premier faifant toujours ce qu'on lui commande ou ce qu'il a vû faire à fon pere, ou ce qu'il a fait lui-même dès fa jeuneffe, ne va jamais que par routine; & dans fa vie prefqu'automate, occupé fans ceffe des mêmes |