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il ne peut y avoir, dans cette hypothèse, ni véritable société, ni corps politique, ni d'autre loi que celle du plus fort; 20 Que ces mots de fort et de faible sont équivoques dans le second cas; que, dans l'intervalle qui se trouve entre l'établissement du droit de propriété ou de premier occupant et celui des gouver nements politiques, le sens de ces termes est mieux rendu par ceux de pauvre et de riche, parce qu'en effet un homme n'avait point, avant les lois, d'autre moyen d'assujettir ses égaux qu'en attaquant leur bien, ou leur faisant quelque part du sien; 3° Que les pauvres n'ayant rien à perdre que leur liberté, c'eût été une grande folie à eux de s'ôter volontairement le seul bien qui leur restait, pour ne rien gagner en échange; qu'au contraire, les riches étant, pour ainsi dire, sensibles dans toutes les parties de leurs biens, il était beaucoup plus aisé de leur faire du mal; qu'ils avaient, par conséquent, plus de précautions à prendre pour s'en garantir; et qu'enfin, il est raisonnable de croire qu'une chose a été inventée par ceux à qui elle est utile plutôt que par ceux à qui elle fait du tort.

Le gouvernement naissant n'eut point une forme constante et régulière. Le défaut de philosophie et d'expérience ne laissait apercevoir que les inconvénients présents, et l'on ne songeait à remédier aux autres qu'à mesure qu'ils se présentaient. Malgré tous les travaux.

des plus sages législateurs, l'état politique demeura toujours imparfait, parce qu'il était presque l'ouvrage du hasard, et que, mal commencé, le temps, en découvrant les défauts et suggérant les remèdes, ne put jamais réparer les vices de la constitution : on raccommodait sans cesse, au lieu qu'il eût fallu commencer par nettoyer l'aire et écarter tous les vieux matériaux, comme fit Lycurgue à Sparte, pour élever ensuite un bon édifice. La société ne consista d'abord qu'en quelques conventions générales que tous les particuliers s'engageaient à observer, et dont la communauté se rendait garante envers chacun d'eux. Il fallut que l'expérience montrât combien une pareille constitution était faible, et combien il était facile aux infracteurs d'éviter la conviction ou le châtiment des fautes dont le public seul devait être le témoin et le juge: il fallut que la loi fût éludée de mille manières : il fallut que les inconvénients et les désordres se multipliassent continuellement, pour qu'on songeât enfin à confier à des particuliers le dangereux dépôt de l'autorité publique, et qu'on commît à des magistrats le soin de faire observer les délibérations du peuple; car de dire que les chefs furent choisis avant que la confédération fût faite, et que les ministres des lois existèrent avant les lois mêmes, c'est une supposition qu'il n'est pas permis de combattre sérieusement.

Il ne serait pas plus raisonnable de croire que les peuples se sont d'abord jetés entre les bras d'un maître absolu, sans conditions et sans retour, et que le premier moyen de pourvoir à la sûreté commune qu'aient imaginé des hommes fiers et indomptés a été de se précipiter dans l'esclavage. En effet, pourquoi se sont-ils donné des supérieurs, si ce n'est pour les défendre contre l'oppression, et protéger leurs biens, leurs libertés et leurs vies, qui sont, pour ainsi dire, les éléments constitutifs de leur être? Or, dans les relations d'homme à homme, le pis qui puisse arriver à l'un étant de se voir à la discrétion de l'autre, n'eût-il pas été contre le bon sens de commencer par se dépouiller entre les mains d'un chef des seules choses pour la conservation desquelles ils avaient besoin de son secours? Quel équivalent eût-il pu leur offrir pour la concession d'un si beau droit? et, s'il eût osé l'exiger sous le prétexte de les défendre, n'eût-il pas aussitôt reçu la réponse de l'apologue: Que nous fera de plus l'ennemi? Il est donc incontestable, et c'est la maxime fondamentale de tout le droit politique, que les peuples se sont donné des chefs pour défendre leur liberté, et non pour les asservir. Si nous avons un prince, disait Pline à Trajan, c'est afin qu'il nous préserve d'avoir un maître (*).

(*) M. G. Petitain fait observer que ce n'est pas là précisément l'idée de Pline dans le passage ci-après,

Les politiques font sur l'amour de la liberté les mêmes sophismes que les philosophes ont faits sur l'état de la nature par les choses qu'ils voient, ils jugent des choses trèsdifférentes qu'ils n'ont pas vues, et ils attribuent aux hommes un penchant naturel à la servitude, par la patience avec laquelle ceux qu'ils ont sous les yeux supportent la leur; sans songer qu'il en est de la liberté comme de l'innocence et de la vertu, dont on ne sent le prix qu'autant qu'on en jouit soi-même, et dont le goût se perd sitôt qu'on les a perdues. « Je connais les délices de ton pays, disait Brasidas à un satrape qui comparait la vie de Sparte à celle de Persépolis; mais tu ne peux connaître les plaisirs du mien. »

Comme un coursier indompté hérisse ses crins, frappe la terre du pied et se débat impétueusement à la seule approche duù mors, tandis qu'un cheval dressé souffre patiemment la verge et l'éperon, l'homme barbare ne plie point sa tête au joug que l'homme

le seul auquel la citation de Rousseau puisse être appliquée: Scis, ut sunt diversa natura dominatio et principatus, ita non aliis esse principem gratiorem, quam qui maxime dominum graventur. (Paneg., 45.) « Comme la différence qui se trouve na» turellement entre le pouvoir despotique et le gou» vernement légitime ne vous est pas inconnue, vous » n'avez pas de peine à comprendre qu'il n'y a point » d'hommes plus attachés à un prince juste, que ceux » qui abhorrent les tyrans. » Traduction de Sacy.

civilisé porte sans murmure, et il préfère la plus orageuse liberté à un assujettissement tranquille. Ce n'est donc pas par l'avilissement des peuples asservis qu'il faut juger des dispositions naturelles de l'homme pour ou contre la servitude, mais par les prodiges qu'ont faits tous les peuples libres pour se garantir de l'oppression. Je sais que les premiers ne font que vanter sans cesse la paix et le repos dont ils jouissent dans leurs fers, et que miserrimam servitutem pacem appellant (*): mais quand je vois les autres sacriffer les plaisirs, le repos, la richesse, la puissance, et la vie même, à la conservation de ce seul bien si dédaigné de ceux qui l'ont perdu; quand je vois des animaux, nés libres et abhorrant la captivité, se briser la tête contre les barreaux de leur prison; quand je vois des multitudes de sauvages tout nus mépriser les voluptés européennes, et braver la faim, le feu, le fer et la mort, pour ne conserver que leur indépendance, je sens que ce n'est pas à des esclaves qu'il appartient de raisonner de liberté.

Quant à l'autorité paternelle, dont plusieurs ont fait dériver le gouvernement absolu et toute la société, sans recourir aux preuves contraires de Locke et de Sidney, il suffit de remarquer que rien au monde n'est plus éloi

(*) TACITE, Hist., lib. iv, 17.

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