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pris un dès l'enfance, le fit élever dans les principes de la religion chrétienne et dans la pratique des usages de l'Europe. On le vêtit richement, on lui fit apprendre plusieurs langues, et ses progrès répondirent fort bien aux. soins qu'on prit pour son éducation. Le gouverneur, espérant beaucoup de son esprit, l'envoya aux Indes avec un commissaire gé néral qui l'employa utilement aux affaires de la compagnie. Il revint au Cap après la mort du commissaire. Peu de jours après son retour, dans une visite qu'il rendit à quelques Hottentots de ses parents, il prit le parti de se dépouiller de sa parure européenne, pour se revêtir d'une peau de brebis. Il retourna au fort dans ce nouvel ajustement, chargé d'un paquet qui contenait ses anciens habits; et, les présentant au gouverneur, il lui tint ce discours: Ayez la bonté, monsieur, de faire. attention que je renonce pour toujours à » cet appareil je renonce aussi pour toute ma vie à la religion chrétienne: ina résolution est de vivre et mourir dans la religion, les Imanières et les usages de mes ancêtres. L'unique grâce que je vous demande est de. » me laisser le collier et le coutelas que je porte; je les garderai pour l'amour de » vous.» Aussitôt, sans attendre la réponse de Vander Stel, il se déroba par la fuite, et jamais on ne le revit au Cap. (Histoire des voyages, tome V, page 175.)

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(17) On pourrait m'objecter que, dans un pareil désordre, les hommes, au lieu de s'entr'égorger opiniâtrément, se seraient dispersés, s'il n'y avait point eu de bornes à leur dispersion: mais, premièrement, ces bornes eussent au moins été celles du monde; et si l'on pense à l'excessive population qui résulte de l'état de nature, on jugera que la terre, dans cet état, n'eût pas tardé à être couverté d'hommes, ainsi forcés à se tenir rassemblés.

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D'ailleurs, ils se seraient dispersés si le mal avait été rapide, et que c'eût été un changement fait du jour au lendemain mais ils naissaient sous le joug: ils avaient l'habitude de. le porter quand ils en sentaient la pesanteur, et ils se contentaient d'attendre l'occasion dé le secouer. Enfin, déjà accoutumés à mille commodités qui les forçaient à se tenir rassemblés, la dispersion n'était plus si facile que dans les premiers temps, où, nul n'ayant besoin que de soi-même, chacun prenait son parti sans attendre le consentement d'un autre.

(18) Le maréchal de Villars contait que, dans une de ses campagnes, les excessives friponneries d'un entrepreneur des vivres ayant fait souffrir et murmurer l'armée, il le tança vertement, et le menaça de le faire pendre. Cette menace ne me regarde pas, lui répondit hardiment le fripon, et je suis bien aise de vous dire qu'on ne pend point un homme qui dispose de cent mille écus. Je ne sais comment cela se fit, ajouta naïvement le maréchal, mais en effet il ne fut point pendu, quoiqu'il eût cent fois mérité de l'être.

(19) La justice distributive s'opposerait même à cette égalité rigoureuse de l'état de nature, quand elle serait praticable dans la société civile, et comme tous les membres de l'Etat lui doivent des services proportionnés à leurs talents et à leurs forces, les citoyens à leur tour doivent être distingués et favorisés à proportion de leurs services. C'est en ce sens qu'il faut entendre un passage d'Isocrate, dans lequel il loue les premiers Athéniens d'avoir bien su distinguer quelle était la plus avantageuse des deux sortes d'égalités, dont l'une consiste à faire part des mêmes avantages à tous les citoyens indifféremment, et l'autre à les distribuer selon le mérite de chacun. Ces habiles politiques,

ajoute l'orateur, bannissant cette injuste égalité qui ne met aucune différence entre les méchants et les gens de bien, s'attachérent inviolablement à celle qui récompense et punit chacun selon son mérite. Mais, premiérement, il n'a jamais existé de société, à quelque degré de corruption qu'elle ait pu parvenir, dans laquelle on ne fît aucune différence des méchants et des gens de bien : et dans les matières de mœurs, où la loi ne peut fixer de mesure assez exacte pour servir de règle au magistrat, c'est très-sagement que, pour ne pas laisser le sort ou le rang des citoyens à sa discrétion, elle lui interdit le jugement des personnes pour ne lui laisser que celui des actions. Il n'y a que des mœurs aussi pures que celles des anciens Romains qui puissent supporter des censeurs, et de pareils tribunaux auraient bientôt tout bouleversé parmi nous. C'est à l'estime publique à mettre de la différence entre les méchants et les gens de bien. Le magistrat n'est juge que du droit rigoureux : mais le peuple est le véritable juge des mœurs, juge intègre et même éclairé sur ce point, qu'on abuse quelquefois, mais qu'on ne corrompt jamais. Les rangs des citoyens doivent donc être réglés, non sur leur mérite personnel, ce qui serait laisser aux magistrats le moyen de faire une application presque arbitraire de la loi, mais sur les services réels qu'ils rendent à l'Etat, et qui sont susceptibles d'une estimation plus exacte.

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Lettre de J.-J. Rousseau à M. Philopolis (*)

Vous voulez, monsieur, que je vous réponde, puisque vous me faites des questions. Il s'agit, d'ailleurs, d'un ouvrage dédié à mes concitoyens je dois, en le défendant, justifier l'honneur qu'ils m'ont fait de l'accepter. Je laisse à part dans votre lettre ce qui me regarde en bien et en mal, parce que l'un compense l'autre à peu près, que j'y prends peu d'intérêt, le public encore moins, et que tout cela ne fait rien à la recherche de la vérité. Je commence donc par le raisonnement que vous me proposez, comme essentiel à la question que j'ai tâché de résoudre.

L'état de société, me dites-vous, résulte immédiatement des facultés de l'homme, et par conséquent de sa nature. Vouloir que l'homme ne devînt pas sociable, ce serait donc vouloir qu'il ne fût point homme, et c'est attaquer l'ouvrage de Dieu que de s'élever contre la société humaine. Permettez-moi, monsieur, de vous proposer à mon tour une difficulté, avant de résoudre la vôtre. Je vous épargnerais ce détour si je connaissais un chemin plus sûr pour aller au but.

Supposons que quelques savants trouvassent un jour le secret d'accélérer la vieillesse et l'art d'engager les hommes à faire usage de cette rare decouverte persuasion qui ne serait peut-être pas si difficile à produire qu'elle paraît au premier aspect, car la raison, ce grand véhicule de toutes nos sottises, n'aurait garde de nous manquer à celle-ci. Les philosophes, et surtout les gens sensés, pour secouer le joug des passions et goûter le précieux repos

(*) Charles Bonnet, de Genève, métaphysicien et naturaliste célèbre, s'était caché sous ce nom.

de l'âme, gagneraient à grands pas l'âge de Nestor, et renonceraient volontiers aux désirs qu'on peut satisfaire, afin de se garantir de ceux qu'il faut étouffer: il n'y aurait que quelques étourdis qui, rougissant même de leur faiblesse, voudraient follement rester jeunes et heureux, au lieu de vieillir pour être sages. Supposons qu'un esprit singulier, bizarre, et, pour tout dire, un homme à paradoxes, s'avisât alors de reprocher aux autres l'absurdité de leurs màximes, de leur prouver qu'ils courent à la mort en cherchant la tranquillité, qu'ils ne font que radoter à force d'être raisonnables, et que, s'il faut qu'ils soient vieux un jour, ils devaient tâcher au moins de l'être le plus tard qu'il serait possible.

Il ne faut pas demander si nos sophistes, craignant le décri de leur arcane, se hâteraient d'interrompre ce discoureur importun : « Sages vieillards, diraient-ils à leurs sectateurs, remerciez le Ciel des grâces qu'il vous accorde, et félicitez-vous sans cesse d'avoir si bien suivi ses volontés. Vous êtes décrépits, il est vrai, languissants, cacochymes, tel est le sort inévitable de l'homme, mais votre entendement est sain: vous êtes perclus de tous les membres, mais votre tête en est plus libre: vous ne sauriez agir, mais vous parlez comme des oracles et si vos douleurs augmentent de iour en jour, votre philosophie augmente avec elles. Plaignez cette jeunesse impétueuse, que sa brutale santé prive des biens attachés à votre faiblesse. Heureuses infirmités, qui rassemblent autour de vous tant d'habiles pharmaciens fournis de plus de drogues que vous n'avez de maux, tant de savants médecins qui connaissent à fond votre pouls, qui savent en grec les noms de tous vos rhumatismes, tant de zélés consolateurs et d'héritiers fidèles qui vous conduisent agréablement à votre dérnière heure! Que de secours perdus pour vous,

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