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PENSÉES DIVERSES.

I. M. de Roannez disait : « Les raisons me viennent après, mais d'abord la chose m'agrée ou me choque sans en savoir la raison; et cependant cela me choque par cette raison que je ne découvre qu'ensuite. » Mais je crois non pas que cela choquait par ces raisons qu'on trouve après, mais qu'on ne trouve ces raisons que parce que cela choque '.

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II. Quand notre passion nous porte à faire quelque403 chose, nous oublions notre devoir. Comme on aime un livre on le lit, lorsqu'on devrait faire autre chose. Mais pour s'en souvenir il faut se proposer de faire quelque chose qu'on hait, et lors on s'excuse sur ce qu'on a autre chose à faire et on se souvient de son devoir par ce moyen.

III. Les choses du monde les plus déraisonnables deviennent les plus raisonnables à cause du déréglement des hommes. Qu'y a-t-il de moins raisonnable

Ile Recueil MS. du P. Guerrier, pag. 192.

que de choisir pour gouverner un État le premier fils d'une reine? L'on ne choisit pas pour gouverner un bateau celui des voyageurs qui est de meilleure maison cette loi serait ridicule et injuste. Mais parce qu'ils le sont et le seront toujours, elle devient raisonnable et juste; car qui choisira-t-on? Le plus vertueux et le plus habile? Nous voilà incontinent aux mains chacun prétend être ce plus vertueux et ce plus habile. Attachons donc cette qualité à quelque chose d'incontestable. C'est le fils aîné du roi. Cela est net, il n'y a point de dispute. La raison ne peut mieux faire, car la guerre civile est le plus grand des maux '.

85 IV. La puissance des rois est fondée sur la raison 79 et sur la folie du peuple, et bien plus sur la folie. La plus grande et importante chose du monde a pour fondement la faiblesse et ce fondement-là est admirablement sûr; car il n'y a rien de plus sûr 2 que cela, que le peuple sera faible. Ce qui est fondé sur la saine raison est bien mal fondé, comme l'estime de la sagesse.

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Ni

'MSS. de la biblioth. roy., portefeuilles du médecin Vallant. cole, dans son livre de l'Education d'un prince, a donné, en modifiant les expressions de Pascal, une partie de cette pensée qui est une de celles que nous publions pour la première fois. Les éditions des Pensées ne donnent que ces deux lignes :

« On ne choisit pas pour gouverner un vaisseau celui des voya-85 geurs qui est de meilleure maison. »

Cette réflexion, qui, dans les éditions, a été rattachée à un passage qui n'y a aucun rapport, se retrouve dans le MS., écrite de la main de Pascal, à l'état de note isolée.

Le mot sûr manque dans le MS.

V. Opinions du peuple saines.

84 Le plus grand des maux est les guerres civiles. Elles 243 sont sûres, si on veut récompenser les mérites; car tous diront qu'ils méritent. Le mal à craindre d'un sot qui succède par droit de naissance, n'est ni si grand, ni si sûr.

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VI.* Opinions du peuple saines.

Être brave n'est pas trop vain; car c'est montrer 252 qu'un grand nombre de gens travaillent pour soi; c'est montrer par ses cheveux qu'on a un valet de chambre, un parfumeur, etc.; par son rabat, le fil, le passement, etc.

Or, ce n'est pas une simple superficie, ni un simple harnois, d'avoir plusieurs bras.

*Plus on a de bras, plus on est fort. Être brave

est montrer sa force.

89 VII. Le peuple a les opinions très - saines par 224 exemple,

1° D'avoir choisi le divertissement et la chasse plutôt que la poésie. Les demi-savants s'en moquent, et triomphent à montrer là-dessus la folie du monde; mais, par une raison qu'ils ne pénètrent pas, on a raison.

2o D'avoir distingué les hommes par le dehors, comme par la noblesse ou le bien le monde triom

Le mot Brave signifie ici bien mis. On l'emploie encore dans cette acception, dans le langage populaire d'une partie de la France.

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phe encore à montrer combien cela est déraisonnable; mais cela est très-raisonnable '.

* 5° De s'offenser pour avoir reçu un soufflet; ou de tant désirer la gloire.

* Mais cela est très-souhaitable, à cause des autres biens essentiels qui y sont joints; et un homme qui a reçu un soufflet sans s'en ressentir est accablé d'injures et de nécessités.

* 4. Travailler pour l'incertain; aller sur la mer; passer sur une planche.

VIII. Les hommes sont si nécessairement fous, que 485 ce serait être fou par un autre tour de folie, de ne pas être fou.

IX. Le monde juge bien des choses, car il est dans 154 l'ignorance naturelle qui est le vrai siége de l'homme. 69 Les sciences ont deux extrémités qui se touchent: la première est la pure ignorance naturelle où se trouvent tous les hommes en naissant. L'autre extrémité est celle où arrivent les grandes âmes qui ayant par

En cet endroit a été écrite après coup par Pascal la note suivante: Cannibales se rient d'un enfant roi. » Cette note a été prise évidemment sur le passage des Essais où Montaigne raconte comment trois habitants du Nouveau-Monde, qu'il appelle cannibales, vinrent de son temps à Rouen, et eurent une longue entrevue avec le roi Charles IX alors enfant. Quelqu'un leur ayant demandé ce qu'ils avaient trouvé de plus admirable à Rouen, « ils dirent qu'ils trouvaient en << premier lieu fort estrange que tant de grands hommes portant « barbe, forts et armés, qui estaient autour du roy (il est vraisem« blable qu'ils parlaient des Suisses de sa garde) se sousbmissent a « vn enfant, et qu'on ne choisissait plustost quelqu'vn d'entre eux << pour commander. » Essais, liv. ter, chap. xxx.

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couru tout ce que les hommes peuvent savoir, trouvent qu'ils ne savent rien et se rencontrent en cette même ignorance d'où ils étaient partis. Mais c'est une ignorance savante qui se connaît. Ceux d'entre deux qui sont sortis de l'ignorance naturelle et n'ont pu arriver à l'autre, ont quelque teinture de cette science suffisante et font les entendus. Ceux-là troublent le monde et jugent mal de tout. Le peuple et les habiles composent le train du monde. Ceux-là le méprisent et sont méprisés; ils jugent mal de toutes choses et le monde en juge bien.

C'est au verso de ce fragment que se trouve la pensée qui suit sur le Système du Monde de Descartes':

IX bis. Descartes.

Il faut dire en gros cela se fait par figure et mou- 132 vement; car cela est vrai. Mais de dire quels et composer la machine, cela est ridicule, car cela est inutile et incertain et pénible. Et quand cela serait vrai, nous n'estimons pas que toute la philosophie vaille une heure de peine 2.

'Bien que cette pensée de Pascal semble dirigée contre la philosophie entière de Descartes, il est évident qu'elle lui a été surtout inspirée par la III partie des Principia philosophiæ, laquelle a pour titre : de Mundo adspectabili. — Page 415 du MS. autog., on trouve encore ces mots isolés : « Descartes inutile et incertain. »

'Nous avons quelques remarques à faire sur cette pensée à cause des commentaires contradictoires dont elle a déjà été l'objet :

1° Personne ne la connaissait avant nous, autrement que par les deux copies. Nous l'avons découverte dans le MS. autographe, en faisant disparaître une partie de la feuille de papier fort épais sous laquelle elle était collée et qui la cachait entièrement à la vue.

2o Elle est tracée d'une écriture très rapide et offre l'aspect d'une

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