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- « Les grandes âmes ne sont pas celles qui «< aiment le plus souvent, mais quand elles «< commencent à aimer, elles aiment beaucoup « mieux. >>

Mais on lira plus loin tout entières ces pages, qui n'ont point de supérieures dans Fénélon et dans Platon.

Le Discours sur les passions de l'amour se rattache-t-il à quelques circonstances particulières de la vie de Pascal? Nous n'en doutons pas ; et voici les conjectures qui, rapprochées entre elles, nous semblent avoir la force d'une véritable démonstration.

Longtemps avant que ce discours nous fût connu, et sur la simple lecture des lettres de Pascal à mademoiselle de Roannez, nous avions pensé qu'il avait eu pour elle une vive inclination. Sous les formes graves et sévères que revêtent les exhortations religieuses qu'il lui adresse, on sent une tendre sollicitude que la charité seule n'expliquerait point.

Charlotte Gouffier de Roannez avait quinze ou seize ans' lorsque Pascal se lia d'une étroite amitié

'Elle était née en 1633, suivant l'acte de baptême que l'on trouve dans les registres de l'ancienne paroisse de St-Méri, aujourd'hui conservés à l'hôtel de ville de Paris. « Le samedi 16me jour d'apvril 1655, « fut baptisée une fille sur cinq heures du soir, née à huit heures du << matin le jour précédent, et nommée Charlotte, fille de Henry Gouf«fier, marquis de Boysy et de dame Marie Hennequin, sa femme. Le « parin François de Cossé, duc et pair de France de Brissac, lieute

avec son frère. Cette amitié devint l'origine d'un sentiment plus vif. Reçu à tout moment dans l'intimité de l'hôtel de Roannez', Pascal se trouvait souvent dans la compagnie de la sœur de son ami. Peu à peu il s'habitua à la voir et à l'aimer; et sans calculer la distance du rang, peutêtre conçut-il l'espérance de devenir son époux 2. Charlotte de Roannez joignait sans doute à l'éclat de sa naissance les agréments d'une belle physionomie et surtout le charme des qualités morales, puisqu'elle fut aimée de Pascal. Mais peutêtre un peu d'ambition se mêla-t-il au commencement de cet attachement. Pascal avait encore des idées mondaines, et la main de la sœur d'un duc et pair pouvait lui paraître désirable pour les projets d'avenir qu'il s'était formés. N'y a-t-il pas un sentiment et une révélation de sa situa

• nant-général pour le roi en Bretagne; la marrine, Charlotte de Montmorency, duchesse d'Angoulême. »

'Pascal avait, dit Marguerite Perier, une chambre chez le duc de Roannez, et il y allait demeurer de temps en temps, quoiqu'il eût une maison dans Paris. (Voy. Appendice du Ier vol., I.)

On peut objecter contre cette conjecture la distance même du rang qui, dans la hiérarchie sociale de ce temps-là, était une barrière difficile à franchir. Mais on peut répondre que Pascal n'était pas d'une condition commune, puisque ses aïeux avaient reçu des lettres de noblesse de Louis XI; que son grand-père, Martin Pascal, avait été trésorier de France à Riom, et son père intendant des finances en Normandie et conseiller d'État. D'un autre côté, Mile de Roannez n'avait pas beaucoup de fortune: « Comme elle ne pouvait << pas être un grand parti, dit Marguerite Perier, M. son frère, dont << on ne savait pas la résolution, étant encore dans le monde, ceux « qui pensaient à elle n'étaient pas de fort grands seigneurs. » ( Vo Appendice du Ier vol, I.)

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tion personnelle dans ce passage du même disQuand on aime une dame sans éga«lité de condition, l'ambition peut accompagner <«<le commencement de l'amour, mais en peu << de temps il devient le maître : c'est un tyran

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qui ne souffre point de compagnon; il veut être seul, il faut que toutes les passions ploient et « lui obéissent. - Une haute amitié remplit bien mieux qu'une commune et égale le cœur de l'homme; et les petites choses flottent dans sa capacité. Il n'y a que les grandes qui s'y arrê<<< tent et qui y demeurent. »

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Pascal n'avait point encore acquis toute sa célébrité; il n'était ni surintendant, ni fermier général; son rang était inférieur à celui de la personne qu'il aimait ; ces causes réunies durent s'opposer à son union avec mademoiselle de Roannez. Il s'enfonça de plus en plus dans les austérités et dans les méditations mystiques. Qui pourrait dire que l'amour déçu n'eût pas une part dans son retour à la vie religieuse ? Et après tout, son âme n'était-elle pas de celles qui, ne trouvant pas ici-bas de cœur assez fidèle et assez vaste pour s'y épancher, se détournent vers la source même de toute beauté et de tout amour, et vont se consumer au sein de l'Etre souverainement parfait, éternel et infini?

Pascal trouva-t-il de la réciprocité dans les sentiments de mademoiselle de Roannez? Il est

permis de le croire, quand on voit s'établir entre eux un commerce épistolaire, qui suppose le plus haut degré d'estime et de confiance mutuelle. A notre grand regret on ne connaît rien des lettres de mademoiselle de Roannez à Pascal, et l'on ne possède que quelques fragments de celles que Pascal lui adressa; la rigidité des copistes jansénistes n'a conservé de ces lettres que les passages qui pouvaient fournir matière à édification.

Pascal était alors engagé dans sa lutte avec les jésuites, et cependant il trouvait encore le temps de s'occuper de la direction religieuse de mademoiselle de Roannez; de la même plume qui traçait les Provinciales, il lui écrivait pour la soutenir de ses conseils et de ses exhortations contre les séductions mondaines. Et telle était l'influence de ses directions, que mademoiselle de Roannez quittait sa famille et venait entrer au noviciat à Port-Royal pour se faire religieuse '. Quel spectacle sévère et touchant que celui de Pascal revenu de toutes les illusions de la renommée et de la fortune, n'ayant plus qu'une seule ambition, celle d'arriver à la perfection en vue de Dieu et de l'éternité, et s'efforçant, au milieu des plus

'C'était en 1656 ou 1657, c'est-à-dire à l'époque même à laquelle ont été écrites les lettres de Pascal à Mlle de Roannez dont les extraits ont été conservés. Ce ne fut qu'après la mort de Pascal que Mile de Roannez, livrée à elle-même, rentra dans le monde. (Voy. Appendice, no I.)

graves travaux, de disputer au monde, pour la donner à la religion, une personne qui ne pouvait pas être à lui!

Mais nous ne faisons pas ici la biographie de Pascal; quittons cet épisode intéressant de sa vie ', sur lequel, cependant, notre devoir d'éditeur fidèle nous obligeait de nous arrêter, et achevons de rendre compte de notre travail.

Une des plus grandes difficultés de cette édition était l'ordre à établir parmi les milliers de fragments recueillis dans les divers Mss. que nous venons de décrire. Le classement suivi dans les éditions précédentes était plutôt un embarras qu'un secours; car il était incomplet et arbitraire, et ne répondait plus au but qu'on devait se proposer dans une édition nouvelle, destinée nonseulement à restituer dans le détail les écrits de Pascal déjà publiés, mais aussi à restituer l'ensemble de sa pensée, en ajoutant à l'ancien texte les textes inédits. C'était comme un édifice qu'on ne pouvait compléter et agrandir sans

Il résulte de tout ce que nous avons dit à ce sujet que le Discours sur les passions de l'amour appartient à la période de la vie de Pascal qu'on peut appeler intermédiaire et qui commence après le retour de son père à Paris, à la fin de 1648. C'est alors que Pascal sortit de sa pieuse et studieuse retraite et fit connaissance avec le duc de Roannez qui n'avait guère que dix-neuf ou vingt ans; mais ce n'est qu'en 1652, après la mort de son père, que Pascal se livra tout à fait au monde, et qu'il songea, comme nous l'apprennent les documents de famille, à acheter une charge et à se marier.

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