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anciens crient haro sur la doctrine nouvelle: de toutes parts on l'attaque. C'est Hobbes, Gassendi, Daniel Huet. Les catholiques l'accusent de calvinisme, les calvinistes de pelagianisme, les protestans de déisme, Voëtius d'athéisme. En 1643, on l'interdit en Italie: à Rome, elle est mise à l'index; à Paris, elle est proscrite son auteur se sauve, se cache, meurt en exil. La faculté de théologie censure les thèses qui attaquent Aristote. Le parlement ordonne que ces thèses soient déchirées, et fait défense à toutes personnes, ά peine de la vie, de tenir, ni enseigner aucune maxime contre les anciens auteurs approuvés, ni faire aucune dispute que celles qui seront approuvées par les docteurs de ladite faculté de théologie.

Et malgré les arrêts, les censures et la peine de mort, Descartes prévalut. Il dut son triomphe définitif en France à une plaisanterie. Tout le monde sait qu'en 1671 on allait présenter requête au parlement (car le parlement se mêlait de tout alors, voire de philosophie) pour empêcher qu'on enseignât la philosophie de Descartes, quand l'arrêt burlesque publié par Boileau, au nom du parlement, en faveur et pour le maintien de la doctrine d'Aristote, fit retirer la requête, et permit à la doctrine cartésienne de se justifier par ses fruits. Aujourd'hui, ce qui reste de la Sorbonne, de la faculté de théologie, du parlement et des jésuites, est aussi cartésien que leurs devanciers l'étaient peu.

De tous ces faits, mon cher maître, j'ai cru pouvoir tirer les conclusions suivantes, qui me paraissent répondre à la question d'Eudore, et que je proposerai à nos amis, si vous les approuvez.

Il faut bien se garder de confondre l'Église et ses décisions avec les écoles théologiques et leurs opi

nions.

L'Église seule est infaillible, parce que l'Esprit-Saint parle par elle. Les docteurs sont faillibles, et ainsi, quelque grande que soit leur autorité, leurs assertions peuvent toujours être controversées. Aussi les avons-nous vues varier souvent dans le cas qui nous occupe.

Le rationalisme a été banni des écoles théologiques dans les époques de foi et de simplicité chrétienne, parce qu'il ne répondait pas au besoin général des esprits. Il a envahi ces écoles comme toutes les autres, quand il a dominé le monde, quand il a présidé au mouvement intellectuel de la société.

C'est, comme vous nous l'avez montré, au temps où Aristote fut plus connu en Europe, et lorsque la raison moderne, commençant à se développer et à faire usage de ses forces, prit goût à la dialectique et finit par s'engouer avec une espèce de fureur du philosophe de Stagyre; c'est alors que les théologiens, ne pouvant résister à l'entraînement général des esprits, se mirent à aristotéliser avec leur siècle qui ne jurait que par Aristote. Ils adoptèrent donc d'abord, presque mal

gré eux, une méthode qu'ils ont défendue plus tard avec tant d'ardeur.

Au milieu de ces changemens de méthodes et de formes d'enseignement, l'Église est restée inébranlable avec la parole divine dont elle est l'infaillible interprète, et qu'elle propose par ses décisions universelles à la foi de tous les âges. Elle a toléré successivement toutes les méthodes d'instruction dans ses écoles, parce qu'elle se prête avec une grande indulgence aux besoins des hommes de tous les temps et de tous les degrés ; et c'est pourquoi elle permet quelquefois ce qui n'est pas le mieux en soi, mais ce qui peut être relativement utile. C'est ainsi qu'elle a souffert l'introduction de l'aristotélisme dans son enseignement, quand la dialectique était un besoin et comme une manie du siècle. Il fallait bien s'accommoder en quelque chose à la disposition des esprits pour pouvoir les diriger et les instruire. Mais ce serait s'abuser étrangement que de croire qu'en permettant l'application de la syllogistique à la théologie, elle ait entendu autoriser cette méthode comme la seule bonne, comme la meilleure, comme la sienne. Il y aurait un étrange sophisme à appeler la scolastique la méthode de l'Église, parce qu'elle a été usitée pendant quelques siècles dans les écoles de l'Église. L'Église n'autorise pas tout ce qu'elle tolère, et certes de nouveaux philosophes, de nouveaux théologiens peuvent aujourd'hui, sans cesser d'être orthodoxes,

abandonner la forme scolastique employée depuis six cents ans, comme ceux du douzième siècle ont quitté pour la scolastique la méthode positive qui y était suivie depuis l'origine du Christianisme. Ils peuvent à coup sûr, sans que leur foi soit en péril, être de nos jours aussi peu partisans de l'aristotélisme que l'étaient le concile de Sens, le pape Grégoire IX, le pape Clément V, Pierre d'Ailly, l'aigle de France, Gerson l'incomparable, Clémangis le docteur théologien, S. Bernard, Thomas à Kempis et tant d'autres qu'il serait trop long de nommer. Ils peuvent certainement, sans dévier de la ligne catholique, être au dix-neuvième siècle aussi peu enthousiastes de Descartes et de son rationalisme, que l'étaient au dixseptième la faculté de théologie et le parlement, la Sorbonne et les jésuites.

SUPPLÉMENT

A LA

VINGT-NEUVIÈME LETTRE.

(1835.)

DEPUIS que ces lettres sur l'enseignement de la philosophie ont été écrites, les choses ont marché en France. Un mouvement plus énergique s'y est manifesté sous la puissante influence d'une révolution, qui en changeant la position extérieure du clergé, et le plaçant avec ses seules ressources en face de la société, a fait mieux paraître ce qu'il peut et ce qu'il ne peut pas aujourd'hui pour elle. Chose admirable! Cette révolution qui s'annonçait comme hostile à la cause de la religion, a tourné à son avantage. Elle a réveillé le sentiment religieux, le besoin de la foi. Beaucoup d'hommes qui éprouvent ce besoin, ne craignant plus de s'entendre accuser de servilisme ou d'hypocrisie, l'avouent franchement; et ce qui domine depuis quel

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