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bilité de l'abus de la liberté dans l'homme, dans l'être moral qui choisit entre deux termes contraires; mais ce choix suppose la préexistence des deux termes, et c'est justement ce qui est en question. Comment, avant que le mal n'existât, la créature libre a-t-elle pu abuser de sa liberté? Et cette liberté qui doit résoudre l'énigme n'est-elle pas elle-même la plus mystérieuse de toutes?

La liberté est ce qu'il y a de plus excellent dans l'homme; sa moralité, sa dignité, sa vraie grandeur en dérivent: c'est par elle qu'il est homme. Comment se fait-il que ce soit précisément cette prérogative sublime qui devienne la cause de tous ses maux? Oh! mon cher maître, pardonnez la témérité de mes questions, pardonnez à mon ignorance qui se heurte contre des contradictions qu'elle ne peut résoudre, qui ne sait comment concilier ce qu'on lui dit de la sagesse, de la justice, de la miséricorde du Créateur, d'un côté ; et de l'autre, de la loi, du devoir, de la culpabilité de la créature. Y aurait-il de la sagesse dans l'Être qui a créé l'homme libre, tout en prévoyant qu'il abuserait de sa liberté? Y a-t-il de la bonté de l'avoir soumis à une épreuve dont Dieu devait prévoir l'issue fatale? Était-ce justice de le punir de sa faiblesse, de l'essai ou de l'abus qu'il a fait de sa liberté? Si Dieu ignorait que la créature libre devait faillir, il n'est plus Dieu. S'il le savait, est-il Dieu encore, l'Être cruel qui a mis la faiblesse de la volonté humaine dans cette terrible al

ternative? Enfin, comment parler de la miséricorde de l'Être qui punit la créature pour avoir enfreint sa loi, quand il l'a exposée lui-même au danger de l'infraction? N'est-ce pas la loi qui a fait naître et abonder le péché? N'est-ce pas la défense qui a provoqué la violation? Sans la loi, point d'infraction de la lọi, point d'abus de la liberté, point de mal possible. Le Législateur a posé la loi, et avec elle la possibilité de ne pas l'observer, puisqu'il m'a fait libre. Il a prévu la prévarication et ses suites terribles; il l'a donc voulue. Il a voulu mon malheur, puisqu'il a voulu ma faiblesse. Ma raison ne peut sortir de ce cercle, et je ne sais plus ce que je suis, où j'en suis, ni ce que je deviendrai. Mon avenir, ma destinée éternelle m'est redevenue un problème, et la doctrine chrétienne me paraît un non-sens. Cette doctrine se fonde sur la Rédemption; mais qu'est-ce que la Rédemption pour celui qui ne sait ce que c'est que le mal, la liberté, le péché? Si l'humanité est libre, il n'y avait pas lieu à la racheter. Si elle est esclave, il y a une puissance du mal à côté du bien. Mais si je doute de la réalité de la Rédemption, je doute de la vérité de la parole chrétienne en laquelle il m'était si doux de me confier; je doute de votre enseignement qui en est le commentaire; je doute de l'utilité de mes rapports avec vous, qui cependant m'ont déjà fait tant de bien; enfin, je doute de ma voie, de ma vie présente, de tout ce qui fait en ce moment ma

force, ma consolation, mon espérance, et la fin à laquelle j'aspirais est de nouveau mise en question. Eh quoi! n'ai-je entrevu un instant la lumière de l'Évangile que pour la perdre aussitôt et retomber dans de plus épaisses ténèbres? Mes convictions religieuses s'ébranleront-elles toujours à mesure que j'en veux fouiller les fondemens? Serai-je donc sans cesse partagé entre le désir de croire et le besoin de savoir, entraîné par mes pressentimens chrétiens et entravé par les difficultés qu'ils soulèvent? Si c'est un devoir pour tout homme sensé de chercher à se rendre compte de sa foi, règle de sa conduite et fondement de ses espérances, ce devoir n'est-il point encore plus impérieux pour celui qui se trouvant en dehors de la société chrétienne, mais attiré vers elle et désirant y entrer, se trouve par cela même dans le cas de rompre les liens les plus chers, de contrister ceux qui lui sont le plus attachés, de sortir peut-être comme Abraham de sa parenté, de la maison de son père, de tout sacrifier enfin pour suivre la voix de la vérité?

Oui, ô vérité sainte! je suis prêt à vous consacrer ma vie, à vous immoler mes affections les plus tendres. Si c'est vous qui m'appelez, qui m'attirez, vous me donnerez aussi la force de vous suivre. Mais, Ô éternelle vérité! puisque je veux être à vous, faites que je vous connaisse telle que vous êtes, pure et sans nuage! Déchirez le voile qui pèse sur mon cœur,

et que je voie clairement pourquoi je dois devenir Chrétien, disciple de celui qu'on appelle Rédempteur des hommes, de celui pour lequel jusqu'à présent je n'avais senti que de l'aversion ou de l'indifférence, et qui m'attire maintenant, par sa doctrine, d'une manière si puissante et si extraordinaire. Donnez au maître que je révère, et qui est votre organe pour moi, la charité, la lumière, la science que je réclame de lui; qu'il me la transmette comme il convient à ma faiblesse et à mon ignorance; qu'il ne refuse pas de scruter avec moi les mystères de ma nature pour y découvrir la raison de ma loi, de ma liberté et de mon devoir.

TRENTE-CINQUIÈME LETTRE.

LE MAITRE A EUDORE.

NON, mon cher Eudore, je ne refuserai point de descendre avec vous dans les profondeurs du moi humain, pour y reconnaître les faits primitifs de votre conscience, pour y découvrir le principe de ces faits et les conditions sous lesquelles ils se manifestent, pour y trouver, comme vous dites, la raison de votre loi, de votre liberté et de votre devoir.

Les questions qui vous agitent ont été dans tous les temps l'objet de la méditation des hommes sérieux, de tous ceux qui ont cherché sincèrement la solution des grands problèmes de l'homme et du monde, et qui ont voulu savoir d'où ils sont, pourquoi ils existent et où ils vont. Ces esprits méditatifs, qui savent rentrer en eux-mêmes et chercher la vérité au dedans, sont rares. Aussi l'ardeur et la constance que vous mettez à cette investigation, redoublent mon intérêt pour vous. Nous allons donc traiter ces questions avec l'étendue que notre correspondance comportera, et

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