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premier de ces fruits, le résultat le plus clair que la jeunesse retire de ses études philosophiques, c'est la persuasion qu'il y a faiblesse à croire ce qui dépasse la portée de la raison, et lâcheté à reconnaître une volonté supérieure à la nôtre et à lui obéir. L'homme, dit-on, est sa loi à lui-même et ne dépend que de lui. De là le repoussement de toute autorité religieuse, sociale ou naturelle; de là cette agitation qui porte le jeune homme à tout remuer autour de lui et à vouloir renverser tout ce qui fait obstacle à l'exercice illimité de sa liberté. Joignez à cette activité d'un esprit qui ne connaît pas de frein, parce qu'il n'a pas de foi et que l'expérience lui manque; joignez à cette exaltation de l'ambition, l'entraînement des sens, de l'imagination et des passions du jeune âge, et vous concevrez d'où vient cette fièvre qui tourmente aujourd'hui la société, qui lui donne le transport, la jette dans le délire, et l'épuisant par des mouvemens désordonnés qui se répètent périodiquement, finira, si la Providence n'y met la main, par la plonger dans le marasme, symptôme avant-coureur de la dissolution.

"

VINGT-HUITIEME LETTRE.

(1835.)

La lettre qu'on va lire est écrite depuis long-temps. C'est ce que reconnaîtront facilement ceux qui ont lu le discours sur l'enseignement de la philosophie en France au dix-neuvième siècle. Le passage sur la doctrine scolastique qui s'y trouve, n'est que l'abrégé d'un travail plus étendu et plus approfondi, qui avait été fait pour ceux auxquels ces lettres s'adressent. Malgré les clameurs que ce passage a excitées, malgré les accusations qu'il a soulevées, nous n'avons pas cru devoir supprimer cette lettre, d'abord parce qu'elle est historique dans notre correspondance; puis parce que notre opinion en cette matière est restée la même au fond, et enfin parce que notre manière de voir et nos intentions ayant été singulièrement défigurées, nous espérons les faire mieux comprendre par une exposition plus complète. C'est aussi dans ce but que nous ajoutons cette note, désirant surtout que ceux qui ont pris si à cœur la cause de

la scolastique, soient bien convaincus que nous n'avons entendu blesser personne, et qu'en critiquant une méthode, nous n'avons jamais voulu déprécier ceux qui l'emploient.

Chose étrange, et qui montre la force de l'habitude, du préjugé et de l'esprit de parti dans les hommes les plus recommandables souvent sous d'autres rapports! Quelques plaisanteries sur les abus de la scolastique ont été traitées d'assertions scandaleuses et presque de blasphèmes! Cependant depuis Boileau et Molière, qui ne s'est pas moqué de ces abus? Et comment serait-il scandaleux ou blasphematoire de rire de ce qui est ridicule ? Le blasphème ne peut porter que sur ce qui est saint; et pour qu'il y ait scandale en une chose, il faut que la conscience y soit intéressée. La scolastique n'est-elle pas la logique d'Aristote, appliquée soit à la philosophie soit à la théologie? Y a-t-il quelque chose de saint dans la méthode d'Aristote? Est-on obligé en conscience de l'adopter dans l'étude des sciences ou dans l'enseignement? Et en supposant même qu'elle soit la meilleure, ce qui est très contestable et très contesté, serait-ce un crime ou une impiété que de ne pas l'employer? On nous permettra de ne pas le croire; car nous ne sommes plus au temps où une citation d'Aristote avait presque autant d'autorité qu'un verset de la Bible. Il nous semble qu'il y a ici une singulière méprise : on prend la forme pour le fond,

ou bien on affecte de confondre deux choses qui sont essentiellement distinctes. D'une question de méthode on voudrait faire une question de doctrine, presque de dogme, afin d'attribuer un caractère de fixité, de nécessité à ce qui est variable et relatif de sa nature. A coup sûr les plus chauds partisans de la scolastique ne se feront pas forts aujourd'hui de défendre comme la vérité même tout ce que le philosophe de Stagyre a écrit; et il sera sans doute loisible de trouver beaucoup d'assertions fausses ou peu fondées dans sa physique, beaucoup de subtilités et d'obscurités dans sa métaphysique, beaucoup de sécheresse et d'inutilités dans sa dialectique, sans mériter pour cela d'être mis hors la loi et comme au ban de l'école. Aussi n'avons-nous pas pris au sérieux toutes ces accusations, et nous sommes convaincus que ceux qui les ont mises en avant, n'en ont pas été plus inquiets que nous-mêmes. Ce sont de ces exagérations bannales qu'on se permet quelquefois dans l'intérêt de la cause qu'on défend, et qui au fond n'ont guère plus de poids et de conséquence que les inculpations réciproques des avocats à l'audience: on ne s'en souvient plus après qu'on a plaidé.

Mais, nous a-t-on objecté, pourquoi critiquer une méthode que l'Église emploie ou laisse employer dans ses écoles depuis six cents ans? N'est-ce pas se mettre en opposition avec l'Église? A quoi il est facile de répondre Nous ne nions pas que la méthode scolas

tique ne soit en usage dans la plupart des écoles ecclésiastiques depuis le douzième siècle. Mais nous nions la conséquence qu'on voudrait tirer de ce fait, savoir que l'Église aurait adopté cette méthode comme la seule bonne, et l'aurait ainsi consacrée comme sienne. Une méthode n'est qu'une voie pour parvenir à un but, un moyen de faire, et quoi qu'on en dise, les voies et les moyens dans ce monde sont variables comme les choses et les hommes; car ils dépendent du temps et des circonstances qui varient sans cesse. La forme de l'enseignement de l'Église n'est pas plus immuable que sa 'discipline, et ni l'une ni l'autre n'ont jamais participé à la fixité du dogme. Or, s'il est de l'essence de la méthode de changer avec les temps, il est très permis, il est même à propos d'indiquer l'opportunité de ces changemens, quand la disposition des esprits et les besoins de l'époque paraissent les demander. Ceux qui, vers la fin du onzième siècle, introduisirent la dialectique dans la théologie malgré les usages reçus, les docteurs sententiaires ou nouveaux, comme on les appelait alors par opposition aux docteurs bibliques qui suivaient l'ancienne manière, ceux-là, dis-je, qu'on a accusés si long-temps d'être des novateurs, et qui ont été même plusieurs fois censurés par des conciles et des papes, se sont-ils mis réellement en opposition avec l'Église, quand ils ont commencé à enseigner la théologie et la philosophie à la manière d'Aristote, et non

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