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logique appliquée à des questions de métaphysique et de morale. Cette philosophie n'a rien de commun avec les doctrines modernes; les maîtres qui l'enseignent, ou ne connaissent point les progrès réels qu'a faits la science, et c'est le plus souvent le cas; ou ils ne croient pas devoir s'en occuper. Leur enseignement n'a point changé avec les temps; il est resté au dix-neuvième siècle à peu de chose près ce qu'il a été au dix-septième, et c'est un spectacle singulier au milieu du mouvement des connaissances modernes qui ont pris de nouvelles méthodes, un nouveau langage parce qu'il y a eu des idées nouvelles, de voir la philosophie scolastique garder ses anciennes allures, rester dans la routine, ne marchant point avec le siècle, ne voulant se mêler en aucune manière avec lui, bien qu'au fond elle participe à son esprit plus qu'elle ne le sait, et c'est là justement son plus grand mal. Gardant la forme argumentative et le langage du moyen âge, elle n'en a plus la science profonde ni la foi vigoureuse; elle est cartésienne par le fond, et c'est de ce point de vue qu'il faut l'envisager pour comprendre le peu d'influence qu'elle exerce aujourd'hui.

Nous avons vu précédemment comment la philosophie du moyen âge avait été envahie par la dialectique. La méthode argumentative était en plein usage dans les écoles, et aucune vérité métaphysique ne paraissait certaine, si elle n'était sanctionnée par la

raison et présentée sous la forme syllogistique. Cependant, comme il faut des prémisses au raisonnement, et que les majeures doivent être admises comme évidentes par elles-mêmes, si elles ne sont le résultat d'une démonstration antérieure, on en appelait encore à la Parole sacrée pour les établir; et ainsi on n'était point sorti de la voie légitime, car les principes métaphysiques étant tirés des vérités révélées, la raison a plein droit d'en déduire les conséquences. Mais elle ne s'en tint pas à la déduction; elle voulut trouver les principes en elle et par elle-même; elle prétendit les établir par le raisonnement, et c'est alors que fut brisé le dernier lien entre la philosophie et la théologie. Descartes, qui certainement ne pressentait pas les conséquences de son système, déclara que la sphère de la foi pouvait et devait être séparée de celle de la connaissance; que tout en croyant comme Chrétien à ce que la révélation et l'Église enseignent, on pouvait examiner les mêmes points en philosophe, les sou→ mettre à la critique, au jugement de la raison, afin d'en acquérir une certitude mieux fondée. Il ne songeait pas que la raison, ainsi émancipée et lancée sans guide dans une région qui n'est pas la sienne, pouvait s'égarer. Il crut qu'en se faisant des idées claires et distinctes, et tirant des conséquences légitimes de ces idées par le raisonnement, elle ne pouvait manquer d'atteindre la vérité. Il ne s'agissait donc plus que de bien raisonner pour acquérir la science, dont

la logique ou le syllogisme qui la résume devint l'instrument unique et infaillible. Cette erreur introduite dans des écoles chrétiennes acheva la scission de la philosophie moderne et de la théologie, et établit entre elles cette opposition hostile qui n'a fait que s'accroître depuis.

Le doute méthodique de Descartes ayant été adopté par la plupart des écoles, ç'a été depuis une opinion reçue généralement, que quand on veut faire de la philosophie il faut commencer, pour prendre position, par se faire incrédule, sinon sérieusement du moins en imagination; il faut faire abstraction des croyances reçues, déposer les convictions acquises, afin qu'elles n'influent en rien sur le procédé scientifique de la raison qui doit élever à neuf l'édifice de la connaissance. Ce doute méthodique, comme on l'appelle, ce reniement simulé de la foi, on le propose comme condition préparatoire de l'étude de la philosophie aux élèves du sanctuaire, à ceux qui devront être un jour les héraults de la foi! On leur dit qu'en philosophie il ne s'agit point de croire en Dieu, mais qu'il faut l'établir par la raison et le démontrer; qu'il faut disserter sur Dieu, sur l'homme et sur leurs rapports, comme si Dieu ne nous eût jamais rien appris de luimême et de nous; qu'il faut faire abstraction de toutes les lumières que la révélation a répandues sur ces hautes questions, mettre sous le boisseau pour une année ou deux le flambeau divin, afin de ne ju

ger les choses que par la raison naturelle. C'est comme si on leur disait de renoncer à la clarté du jour, pour contempler le spectacle de la nature pendant la nuit, à la lueur d'une torche. Aussi combien de ces pauvres jeunes gens ne retrouvent plus, au sortir de l'école, cette foi vierge qui les avait guidés dans leur enfance, et regrettent la douce sécurité qu'elle leur donnait! Il leur arrive le plus souvent ce qui est arrivé au monde moderne tout entier. Il a commencé par se séparer de la foi pour chercher la science : il a supposé n'avoir point de foi; et en raisonnant d'après cette supposition, il s'est égaré; le cœur de l'homme s'est rempli de ténèbres, et en s'accoutumant à se passer de la foi, il a fini par n'en plus avoir.

Descartes, après avoir renoncé en spéculation à toutes ses connaissances acquises, cherche un point d'appui solide sur lequel il puisse établir le système de la science. Ce point d'appui, il le trouve en luimême, non dans sa conscience, dans son intelligence, dans son esprit, mais dans une fonction de son esprit, dans sa pensée! Ce n'était pas la peine de renoncer à tout ce qu'il possédait pour ne se poser que dans son moi, sans nous dire quelle est la base subjective et l'appui objectif de ce moi qui va enfanter la science. Descartes prétendait douter de tout, même de son existence. Mais douter, c'est revenir par la pensée sur ce qui a été acquis par la pensée.

L'homme pense en croyant, il pense en doutant : le seul fait dont l'esprit ne peut s'abstraire, c'est le fait de la pensée : c'est aussi le seul fait dont il est certain. La conscience du moi pensant, voilà le point de départ de la philosophie cartésienne; c'est de la pensée que l'auteur infère son existence par le fameux enthymème qui n'est pourtant qu'un paralogisme; car il avait le sentiment intime, la conscience instinctive de son existence et de sa vie avant d'avoir la conscience de sa pensée, et la conscience de la pensée suppose la pensée comme fait et la réflexion de ce fait par la pensée. Quoi qu'il en soit, c'est de ce fait que part Descartes; c'est par un raisonnement qu'il franchit l'abîme qui sépare le fini et l'infini, Dieu et l'homme, abîme immense qu'une métaphysique chrétienne pourrait seule combler! C'est ici que l'égarement de la raison commence, égarement qui la conduira plus tard jusqu'au panthéisme.

Descartes trouve en lui l'idée de l'infini. Ce n'est pas lui-même qui s'est donné cette idée, puisqu'il n'est pas infini; donc il existe hors de lui une cause de cette idée ou un être dont elle provient et auquel elle correspond; et voilà l'existence de l'Être infini prouvée rationnellement, indépendamment de la révélation. C'est à merveille; mais qu'est-ce que cette idéc de l'infini comprise par une raison finie, par une raison qui tire les élémens de ses pensées d'un monde où tout est fini, soumis à l'espace et au temps?

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